30 septembre 2012

L'obéissance à tout prix?


Compliance, de Craig Zobel (2012).

            Voilà un film fort peu aimable et cependant d’excellente qualité, qui transforme le spectateur plus que jamais en voyeur et lui jette en pâture un drame tout à la fois insupportable et banal  --  et que sa banalité même rend d’autant plus insupportable. On se surprend ici à vouloir apostropher les acteurs, ou plutôt les personnages qu’ils incarnent tous de façon remarquable, voire à quitter la salle en cours de projection tant le malaise qu’on ressent est profond. C’est dire la force d’un film qui repose en partie sur la célèbre expérience du psychologue Stanley Milgram mettant en lumière les ravages de l’obéissance aux ordres et de la soumission à l’autorité[1]. Il arrive même que l’on doute parfois d’une histoire dont on nous assure pourtant (formule irritante mais ici justifiée) qu’elle est inspirée de faits réels  --  et qu’elle s’est même répétée à plusieurs reprises à travers le territoire des Etats-Unis.

27 septembre 2012

L'irréel, de la scène à l'écran.


Vous n’avez encore rien vu, d’Alain Resnais (2012).

            C’est peu dire qu’Alain Resnais est aujourd’hui le plus grand cinéaste vivant  --  et vivant de quelle façon, lui qui, à 90 ans, nous donne à voir un art d’une insolente jeunesse. Le plus grand, mais aussi le plus libre, sans doute parce qu’à son âge et avec l’œuvre qui est la sienne, courts et longs métrages confondus, il n’a assurément plus rien à prouver et peut donc tout se permettre, comme d’embarquer son spectateur dans un long rêve éveillé où il réunit, jouant sous leur propre nom tout en se jouant de leur propre rôle, une quantité impressionnante de comédiens et de comédiennes de première grandeur. Mais il est vrai que l’on ne doit guère se faire prier pour travailler avec lui.

25 septembre 2012

Un "western" inattendu.


Réédition de Le Clan des irréductibles (Never Give an Inch), Paul Newman (1971).

Contrairement à Clint Eastwood, qui a progressivement glissé de l’état de comédien à celui de cinéaste faisant l’acteur de temps à autre, Paul Newman sera toujours et avant tout resté un comédien, ne passant que très ponctuellement derrière la caméra. Il a certes réalisé presque coup sur coup trois films entre 1968 et 1972 : Rachel, Rachel en 1968 et De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites (The Effect of Gamma Rays on Man-in-the-Moon Marigolds) en 1972 avec, entre les deux, celui qui bénéficie aujourd’hui d’une opportune réédition, Le Clan des irréductibles (Never Give an Inch) en 1971 ; mais ensuite, et jusqu’à sa mort en 2008, deux films seulement, L’Affrontement (Harry and Son, 1984) et La Ménagerie de verre (The Glass Menagerie, 1987).

23 septembre 2012

Du bon usage de la paranoïa.


Jason Bourne : l’héritage (The Bourne Legacy), de Tony Gilroy (2012).

            Longtemps, pour le cinéma américain, l’image du mal s’est incarnée dans ces ennemis étrangers que furent tour à tour le nazi et le communiste, avec leurs variantes domestiques : l’espion ou le saboteur  --  bref : le terroriste. Cette image demeure d’autant plus forte aujourd’hui que le 11-septembre lui a donné un évident regain d’actualité. Mais il est un autre ennemi,  dont on peut dater l’apparition du début des années 60 avec l’assassinat de John Kennedy et les soupçons de complot qu’il a nourris (et continue de nourrir d’ailleurs), et que l’on appellera moins ennemi intérieur (il s’agirait alors d’une sorte de cinquième colonne) qu’ennemi familier. Il n’est pas indifférent que ce soit un cinéaste proche des Kennedy, John Frankenheimer, qui, le premier, a illustré ce glissement, d’abord avec The Manchurian Candidate (Un Crime dans la tête, 1962), qui met en scène un assassinat politique en lien avec la guerre de Corée et le maccarthysme, mais surtout avec Seven Days in May (Sept jours en mai, 1964) qui décrit une tentative de coup d’état militaire aux Etats-Unis[1]. The Parallax View (A cause d’un assassinat, Alan J. Pakula, 1974) et Three Days of the Condor (Les Trois jours du condor, Sydney Pollack, 1975) débusquaient une dizaine d’années plus tard l’ennemi au cœur  même du système en dénonçant les méfaits de certaines agences gouvernementales, frayant la voie à une longue série de thrillers paranoïaques dont la trilogie Jason Bourne fait assurément partie. L’ennemi peut être désormais n’importe qui, et surtout quelqu’un de votre propre camp qui vous manipule jusqu’à ce que mort s’ensuive  --  voilà pour le postulat de base d’un genre que l’intrusion récente des nouvelles technologies n’a fait qu’exacerber en l’enrichissant de ressources nouvelles.

21 septembre 2012

Savoureux, mais pas seulement.


Les Saveurs du palais, de Christian Vincent (2012).

            Il y a quelque chose d’étonnant à voir le peu d’appétence du cinéma français pour la cuisine et la gastronomie  --  ce que d’aucuns considèrent comme un trésor national, classé au surplus par l’UNESCO comme patrimoine culturel et immatériel de l’humanité. Certes les séquences organisées « autour d’une table » ne manquent pas et il est même arrivé que la cuisine et ses dépendances servent de prétextes à diverses péripéties qui, de La Cuisine au beurre (Gilles Grangier, 1963) à La Cuisine américaine (Jean-Yves Pitoun, 1998) en passant par Le Grand restaurant (Jacques Besnard, 1966), L’Aile ou la cuisse (Claude Zidi, 1976) ou, très récemment, Comme un chef (Daniel Cohen, 2012), ont souvent donné lieu à  d’intéressantes variations sur le thème du navet. Mais rares ont été les films dont faitouts et casseroles ont composé le menu ordinaire. Même si son personnage principal est une Française en exil (et interprétée par une actrice elle-même française : Stéphane Audran[1]), Le Festin de Babette, peut-être le film le plus emblématique dans ce domaine, demeure une production danoise  (Gabriel Axel, 1987) et le dernier en date des films abordant la question avec quelque intérêt est américain, Julie et Julia de Nora Ephron (Julie and Julia,  2009), passé d’ailleurs injustement inaperçu. Peut-être est-ce pour avoir eu la révélation du cinéma en voyant La Règle du jeu de Jean Renoir (1939), où l’on apprend que pour réussir une salade de pommes de terre il faut savoir se brûler les doigts, que Christian Vincent s’attaque aujourd’hui à un sujet où cuisine et gastronomie occupent une place centrale. Centrale mais pas unique pour autant.

20 septembre 2012

Une leçon de vie au-delà de la mort.


Quelques heures au printemps, de Stéphane Brizé (2012).

            Il y a des films (ou des spectacles en général) d’où l’on sort avec le cœur lourd et dans un état de profond accablement, mais d’un accablement nécessaire parce qu’il est des fragments de vie (et de mort) dont il faut savoir être le témoin, presque en situation de voyeurisme, pour mieux les affronter soi-même le moment venu  --  et Stéphane Brizé nous en donne à voir quelques-uns, et non des moindres, dans son dernier film, Quelques heures de printemps.

16 septembre 2012

Sans loi ni grandeur.


Des Hommes sans loi (Lawless), de John Hillcoat (2012).

            Si de nombreux films ont été consacrés aux bootleggers, ceux qui faisaient le commerce de l’alcool illégal à l’époque de la prohibition, il y en a eu beaucoup moins en revanche pour s’intéresser aux bouilleurs de cru qui le fabriquaient  --  ceux que l’on appelait les moonshiners parce qu’ils profitaient de la nuit et du clair de lune pour exercer leurs coupables activités. Il n’y en a pas eu beaucoup non plus pour s’attacher à ces « pauvres blancs » des Appalaches, côté deep south, portant salopettes et feutres déformés, connus sous le nom de hillbillies  --  petites gens des collines, ombrageux et souvent ignorants, vivant en famille autour d’un alambic clandestin. Aussi, adaptant un roman de Matt Bondurant[1], John Hillcoat (cinéaste australien « récupéré » par Hollywood) et son scénariste et musicien Nick Cave abordent-ils ici des terres relativement vierges ou, à tout le moins, fort peu fréquentées  --  même sur le plan littéraire[2].

13 septembre 2012

Des qualités mais peut mieux faire.


Camille redouble, de Noémie Lvovsky (2012).

            Qui n’a jamais rêvé de revivre une partie de sa vie pour en corriger les défauts (ou ce que l’on croit tel) à l’aune de l’expérience acquise par la suite ? Tout en sachant qu’il suffit peut-être de modifier un élément de sa vie, aussi modeste soit-il, pour qu’elle s’en trouve toute entière changée. Je ne sais quel crédit il faut accorder au fameux « effet papillon » et la Camille de Noémie Lvovsky n’en a d’ailleurs cure puisque, à l’évidence, son retour vers le passé ne changera rien à un futur qui se conjugue en fait au présent. Peut-être cependant la cinéaste aurait-elle dû rendre au passage à Coppola ce qui lui revient de droit tant il est difficile de ne pas penser à tout ce que cette Camille de 2012 doit à sa Peggy Sue de 1986 (Peggy Sue s’est mariée/Peggy Sue Got Married).

12 septembre 2012

Billy Wilder confirme son génie.


Stalag 17, de Billy Wilder (1953).

            C’est une excellente idée qu’a eue la Cinémathèque de proposer, en marge de la rétrospective Preminger, une projection du Stalag 17 de Billy Wilder  --  proposition d’autant plus pertinente que le cher Otto y interprète d’une façon particulièrement remarquable un rôle d’officier nazi d’une suffisance sadique dont il semble se régaler. Quant au film lui-même, s’il n’est pas inaccessible, très loin de là (on le trouve aisément en DVD), il n’est pas de toutes les œuvres de Wilder la plus connue ni celle que l’on considère avec le plus d’attention. Un observateur mal informé et abusé par un titre certes justifié mais qui ne rend qu’imparfaitement compte de son sujet pourrait en effet s’attendre à un de ces récits d’aventures dont un John Sturges fera plus tard ses choux gras (The Great Escape/La Grande évasion, 1963)  --  William Holden frayant en quelque sorte la voie à Steve McQueen. Il serait en fait bien loin du compte.

10 septembre 2012

Pignon fixe et pas de freins.


Premium Rush, de David Koepp (2012).

            On doit à David Koepp l’écriture des scénarios de quelques mémorables blockbusters relevant peu ou prou de l’étrange, du fantastique voire de la science-fiction, pour Steven Spielberg (Jurassic Park, 1993, et La Guerre des mondes/War of the Worlds, 2005, entre autres), Brian De Palma (de L’Impasse/Carlitto’s Way à Snake Eyes, 1998) ou David Fincher (Panic Room, 2002) et la réalisation d’une poignée de films de formats nettement plus modestes et pas désagréables à l’arrivée, illustrant tous ses genres favoris (Réactions en chaîne/The Trigger Effect, son coup d’essai en 1996, Hypnose/A Stir of Echoes, 1999, ou encore Fenêtre secrète/Secret Window, 2004) jusque dans leurs variations les plus comiques (Ghost Town/La Ville fantôme, 2008). Avec Premium Rush, son dernier opus, qui met en scène dans les rues de New-York les (més)aventures d’un coursier à bicyclette particulièrement véloce,  il abandonne son domaine de prédilection pour une manière de thriller urbain filmé quasiment en temps réel et sur un rythme trépidant  --  mais d’où l’étrange et le fantastique ne sont pas totalement absents tant ces personnages de coursiers, véritables kamikazes à deux roues, semblent évoluer dans un monde parallèle qui défie les lois de la gravitation.

8 septembre 2012

Une noirceur "couleur de néant".


Killer Joe, de William Friedkin (2011).

            William Friedkin est un cinéaste un peu à part dans le cinéma américain contemporain. Né en 1935, il n’appartient pas à la génération légèrement plus âgée  des réalisateurs venus de la télévision (même s’il y a fait ses premières armes), mais  pas non plus tout à fait à celle qui l’a suivie et qu’on appelle un peu fallacieusement le « Nouvel Hollywood ». Cinéaste inclassable et à la carrière atypique, il a connu une notoriété aussi brutale qu’éphémère avec French Connection  (The French Connection, 1971) et L’Exorciste (The Exorcist, 1973)[1], deux films aussi juteux financièrement que douteux cinématographiquement  --  L’Exorciste tout particulièrement. L’indiscutable savoir-faire du cinéaste s’y diluait dans un brio racoleur avec la volonté cyniquement affichée d’assommer le spectateur en lui en mettant plein la gueule. Mais le soufflé est vite retombé et Friedkin n’a ensuite guère cessé de décevoir  --  à l’exception de The Brinks Job (Têtes vides cherchent coffres pleins, 1978), pochade plaisante dans sa modestie même, et sans doute faudrait-il revoir Cruising (La Chasse, 1980) dont le sujet (un policier infiltre la communauté homosexuelle S.M. pour démasquer un criminel) lui valut un (relatif) succès de scandale. Mais, c’est bien connu, il ne faut jamais frapper un homme à terre, il peut toujours se relever, et il semble bien qu’aujourd’hui, à plus de soixante-dix ans, peut-être grâce à son compagnonnage avec le dramaturge Tracy Letts, il soit parvenu à se remettre en selle et à relancer sa carrière avec deux indiscutables réussites, Bug en 2006 et Killer Joe aujourd’hui.

7 septembre 2012

Du cinéma de papa?


Cherchez Hortense, de Pascal Bonitzer (2012).

            Qui a connu Pascal Bonitzer il y a une quarantaine d’années, à l’époque où il était « critique et théoricien de haut vol aux Cahiers du Cinéma »[1], revue qui mêlait alors, dans un indigeste salmigondis, sémiologie, psychanalyse, structuralisme, marxisme, maoïsme et quelques autres ismes que j’ai oubliés, époque aussi où il invitait un parterre d’étudiants vite découragés (j’en étais) à décortiquer plan par plan le Mabuse de Fritz Lang (qui n’en demandait pas tant) selon les différents préceptes théoriques évoqués plus haut ; qui a donc connu Pascal Bonitzer dans ces années-là peut légitimement s’étonner de le voir signer aujourd’hui un film tel que celui-ci. Le Bonitzer d’alors ne manquerait sans doute pas de considérer de haut le Bonitzer d’aujourd’hui et d’exécuter sommairement et avec mépris Cherchez Hortense, lui reprochant notamment d’appartenir à la frange la plus outrageusement bourgeoise et rétrograde d’un cinéma dit « de la qualité française » que les Cahiers stigmatisèrent cruellement en d’autres temps  --  Nouvelle Vague contre cinéma de papa, voire de grand-papa ; avant-garde éclairée contre arrière-garde obscurantiste. Il aurait cependant grand tort.

5 septembre 2012

L'aura magique de "Laura".


Actualité d’Otto Preminger (2) : reprise de Laura (1944) et Whirlpool (Le Mystérieux Docteur Korvo, 1949).


            Avec un sens de l’opportunité dont on ne peut que les féliciter, les animateurs des studios Action (Christine et ex-Ecole, Desperado si l’on préfère) profitent de la rétrospective que la Cinémathèque consacre ces jours-ci à Otto Preminger pour reprendre trois films importants du cinéaste et appartenant à la période Fox de sa carrière, Laura, Whirpool et, cette semaine, Where the Sidewalk Ends (Mark Dixon, Détective, 1950), j’y reviendrai.

2 septembre 2012

Bluffant mais court en bouche.


Total Recall. Mémoires programmées (Total Recall), de Len Wiseman (2012).

            Connaissant assez mal l’œuvre de Philip K. Dick, que l’on dit importante au-delà des limites de la seule science-fiction, j’ignore à quel degré exact le cinéma l’a trahie  --  mais il y a en général trahison, les familiers de Dick le disent, alors pourquoi ne pas les croire ? D’autant que la nouvelle « Souvenirs à vendre », que j’ai lue à l’époque du film de Verhoeven, n’entretient effectivement que peu de rapports, hormis le début, avec les deux adaptations qu’elle a inspirées sous le titre de Total Recall, qu’il s’agisse de la version originelle, réalisée en 1990 par Paul Verhoeven avec Arnold Schwarzenegger, ou du remake que vient tout juste de commettre Len Wiseman.

31 août 2012

Une époque qui tourne mal.


Superstar, de Xavier Giannoli (2012).

            Imaginez qu’un Grégoire Samsa d’aujourd’hui se réveille un matin métamorphosé non pas en un repoussant cancrelat mais au contraire en une sorte d’idole adulée du public et poursuivie par micros et caméras, et vous obtiendrez les prémices de la fable kafkaïenne que développe Xavier Giannoli dans son dernier film, Superstar.

            C’est donc l’histoire d’un Martin quelconque, ici Kazinski mais le nom ne fait rien à l’affaire, homme modeste et perdu dans la masse des anonymes que nous sommes, qui vit dans son coin sans rien demander à personne sinon de demeurer ignoré du monde, et qui devient célèbre du jour au lendemain. Avec son physique passe-partout, Kad Merad incarne à merveille ce personnage transparent qu’on pourrait qualifier, en paraphrasant Alexandre Vialatte, de « pull-over habité ». Comment et pourquoi en est-il arrivé là, on ne le saura pas, mais des pistes sont lancées (car, comme à tout, il y a bien une origine), qui toutes partent d’internet, cette toile d’araignée virtuelle au centre de laquelle se débat sous nos yeux incrédules et bientôt horrifiés un quidam emporté par les débordements d’une époque qui tourne décidément très mal.

30 août 2012

Comme il est loin le temps des zozos!


Associés contre le crime, de Pascal Thomas (2012).

            Jeunes cinéphiles de moins de cinquante ans qui ignorez tout des années 60 et 70, vous n’avez rien connu. Il y avait alors pléthore de revues de cinéma, des ciné-clubs à tous les coins de rues ou presque et des milliers de passionnés, à Paris et en province  --  tel un certain Roland Duval qui ralliait de temps à autre la capitale pour acheter son pain de campagne chez Poilâne (les boulangers de province ne fabriquaient plus alors que de la baguette parisienne) et en profiter pour voir quelques films, sa miche sur les genoux. Professeur au lycée de Montargis, animateur de ciné-club, fondateur, directeur, rédacteur en chef et pratiquement unique de la confidentielle et provinciale revue de cinéma V.O., comme il le disait à peu près lui-même à l’époque, Roland Duval adressa chaque mois pendant un peu plus de deux ans (de 1974 à 1976) à la revue Ecran, chère à mon cœur, une « lettre du chef-lieu » pleine d’humour et très politiquement incorrecte, bien qu’en ces temps lointains cette notion fût encore ignorée. Sans doute bien peu de gens se souviennent-ils aujourd’hui de Roland Duval, quelques vieux cinéphiles et critiques de soixante ans et plus, et aussi assurément Pascal Thomas dont on peut voir ces jours-ci le dernier film, Associés contre le crime.

27 août 2012

Un monde d'illusions où triomphe l'argent.


Magic Mike, de Steven Soderbergh (2012).

            Il y a décidément un « cas » Soderbergh. Cinéaste éminemment moderne (sans guillemets) et même expérimental parfois (voir ainsi Schizopolis, 1996, ou Bubble, 2006) au risque de dérapages pas toujours bien contrôlés, il semble vouloir empiler les films comme le faisaient autrefois les plus grands cinéastes américains sous contrat avec les studios, variant thèmes et genres mais parvenant contre vents et marées à faire œuvre personnelle et cohérente, quand bien même cette cohérence disparaissait parfois sous le masque de l’hétérogénéité d’une production aussi abondante qu’irrégulière. Aussi est-il difficile de trouver aujourd’hui un fil conducteur (mais en existent sans doute plusieurs) dans la filmographie foisonnante d’un cinéaste qui paraît, bien plus qu’à ses débuts, possédé par une boulimie de travail qui l’amène à sortir trois films en à peine plus d’un an : le très médiocre Contagion, le récent et bien plus réussi Piégée (Haywire) et aujourd’hui Magic Mike, que je situerais volontiers à mi-chemin des deux autres mais plutôt côté réussite qu’échec. Assurément, à l’instar d’un Woody Allen mais en beaucoup plus intéressant, il lui faut comprendre que quantité ne rime pas forcément avec qualité et qu’on ne progresse pas forcément en pratiquant son art à outrance  --  quitte à le vider de sa substance.

24 août 2012

Sortir du purgatoire?


Actualité d’Otto Preminger (1).

            Rares sont les créateurs, qu’il s’agisse de peintres, d’écrivains, de musiciens ou de cinéastes (liste non limitative), qui n’aient connu après leur mort une période de purgatoire plus ou moins longue, quelquefois même définitive. Certains ont même rencontré cette disgrâce de leur vivant, quand leur œuvre s’est par exemple infléchie, donnant une image volontiers brouillée de leur auteur, décevant parfois, à tort ou à raison, ses plus fidèles admirateurs, se coupant enfin de son public jusqu’à multiplier les échecs commerciaux : livres qui ne se vendent plus, salles d’expositions, de concerts ou de spectacles désertées ou peuplées désormais par un dernier carré de thuriféraires eux-mêmes plus très sûrs de leur admiration. Ainsi Otto Preminger, cinéaste américain issu de la prestigieuse émigration viennoise (il est né à Vienne en 1906 et mort à New-York en 1986), bénéficia-t-il d’une gloire incontestée et incontestable dans les années 40 et 50 avant de se voir repoussé peu à peu vers les ténèbres extérieures à partir du milieu des années 60. Sans doute Preminger lui-même a-t-il été en grande partie responsable de cette dérive : lui qui prétendait assurer un contrôle jaloux voire dictatorial sur ses films, dont il a souvent assuré la production, il n’a guère pu  rejeter sur un autre ses plus retentissants échecs. Mais pour autant, certains de ses films qui furent vilipendés par une critique qui l’avait en d’autre temps porté au pinacle ne méritent assurément pas certains excès d’indignité. Comme nombre d’autres cinéastes de sa génération,  il s’est trouvé marginalisé par l’arrivée de jeunes réalisateurs plus en phase avec l’évolution des goûts du public, ces « petits prodiges barbus », comme le fait dire Billy Wilder (né lui aussi à Vienne et lui aussi en 1906) à un personnage de Fedora (1978), son chef-d’œuvre ô combien testamentaire, qui « n’ont pas besoin de script, eux, juste d’une caméra légère et d’un zoom ».

19 août 2012

Un grand n'importe quoi.


Abraham Lincoln : chasseur de vampires (Abraham Lincoln : Vampire Hunter), de Timur Bekmanbetov (2012).

            Il n’y a pas de mauvais sujet, j’ai eu récemment l’occasion de le dire, et rien n’interdit de choisir un personnage historique et de broder sur un canevas biographique des variations imaginaires  --  voire franchement fantaisistes. L’uchronie ne permet-elle pas, à partir de légers détournements historiques (Napoléon a gagné la bataille de Waterloo ou les Soviétiques ont été défaits à Stalingrad, par exemple), de refaire le monde, ou plutôt de revoir l’Histoire, souvent avec bonheur et de façon originale ? Alors, transformer le Président Lincoln en un chasseur de vampires, ceux-ci ayant colonisé tout le Sud des Etats-Unis et cherchant à dominer tout le pays, pourquoi pas ? Mais encore faut-il le faire avec un minimum de talent et de savoir-faire, ne serait-ce que sur le plan technique, ce qui, phénomène pour le moins étrange s’agissant d’un film américain au budget confortable sinon opulent, est loin d’être le cas ici.

12 août 2012

Une adaptation fidèle mais étriquée.


Jane Eyre, de Cary Fukunaga (2011).

Il n’y a pas de mauvais sujets et encore moins de sujets démodés, en dépit de l’origine très littéraire et du caractère résolument daté de certains d’entre eux, qui mêlent des intrigues impeccablement construites à un charme légèrement suranné mais chargé d’une sorte d’agréable ivresse romanesque. Ainsi, pour s’en tenir au seul registre britannique, les sœurs Brontë, Jane Austen, Dickens ou, plus tardivement, Thomas Hardy ont-ils été des sources d’inspiration largement mises à contribution aussi bien par le cinéma que, plus récemment, par la télévision. Certes moins célèbre que Les Hauts de Hurlevent de sa sœur Emily, Jane Eyre, roman écrit en 1847 par Charlotte Brontë, a-t-il connu diverses fortunes cinématographiques, depuis la version réalisée en 1943 par Robert Stevenson (qui n’était d’ailleurs pas la première) jusqu’à celle que nous propose aujourd’hui le jeune cinéaste américain Cary Fukunaga, auteur d’un précédent et premier film en 2009, Sin Nombre.