Total
Recall. Mémoires programmées (Total
Recall), de Len Wiseman (2012).
Connaissant assez mal l’œuvre de
Philip K. Dick, que l’on dit importante au-delà des limites de la seule
science-fiction, j’ignore à quel degré exact le cinéma l’a trahie -- mais
il y a en général trahison, les familiers de Dick le disent, alors pourquoi ne
pas les croire ? D’autant que la nouvelle « Souvenirs à
vendre », que j’ai lue à l’époque du film de Verhoeven, n’entretient
effectivement que peu de rapports, hormis le début, avec les deux adaptations
qu’elle a inspirées sous le titre de Total
Recall, qu’il s’agisse de la version originelle, réalisée en 1990 par Paul
Verhoeven avec Arnold Schwarzenegger, ou du remake
que vient tout juste de commettre Len Wiseman.
Mais pour autant, même trahi, Dick
aura malgré tout inspiré quelques bons films, et qui comptent parmi les
réussites de leurs auteurs -- Blade
Runner, de Ridley Scott (1982), Minority
Report, de Steven Spielberg (2002) ou encore Paycheck, de John Woo (2003), que je persiste à trouver très bien
(on a ses plaisirs coupables !). On attend avec intérêt que David
Cronenberg, un des grands admirateurs du Maître, se lance un jour ou l’autre
dans l’aventure d’une adaptation, lui dont Existenz
(1999) serait, si l’on en croit les connaisseurs, un des rares films d’esprit
authentiquement dickien [1].
Faut-il d’ailleurs parler de Dick à
propos de la production qu’on nous propose aujourd’hui et qui ne reprend en
aucune façon la nouvelle d’origine mais le scénario qu’en avaient tiré Ronald
Shusett, Dan O’Bannon et Gary Goldman
pour Verhoeven en 1990 ? On peut soutenir certes que, s’intéressant
au point qui sépare la réalité d’autres choses (rêves, mondes parallèles,
univers de simulacres) et aux manipulations qui s’ensuivent, cette nouvelle
version ne s’éloigne nullement des obsessions bien connues du romancier, mais
que dire du traitement que lui fait subir Len Wiseman ? Après un démarrage
sur les chapeaux de roues, le film se calme le temps de quelques séquences (les
seules à peu près fidèles à la nouvelle de Dick) avant de s’emballer dans une
sorte de course-poursuite frénétique, mélange de cascades et d’effets spéciaux,
une fois encore plus proche du jeu vidéo que de l’art cinématographique. C’est
techniquement irréprochable et, convenons-en, le travail sur les décors ne
manque pas d’allure. Il y a là une indiscutable imagination graphique, une
extraordinaire machinerie -- mais qui tourne désespérément à vide. Partant
sans doute du principe que « plus ça bouge et meilleur c’est »,
Wiseman et ses scénaristes ne s’embarrassent guère de psychologie, réduisant
des personnages dont ils n’ont que faire à l’état de robots --
semblables à ces synthés tout
droit sortis des Star Wars de Georges
Lucas. Car si ce Total Recall se veut
un remake (relativement) fidèle à son modèle, c’est aussi à d’autres
adaptations de Dick qu’il emprunte sans vergogne : Blade Runner pour le décor et l’ambiance générale de la Colonie, Minority Report et ses autoroutes en apesanteur
ou encore le principe de la traque d’un individu à la mémoire troublée mais
détenteur d’un secret tout droit venu de Paycheck -- et
je dois en oublier beaucoup d’autres.
Tout cela ne serait finalement pas
très grave, et l’on parlerait alors de citations, d’hommages ou de clins d’œil,
si Wiseman parvenait par ailleurs à faire œuvre personnelle à la façon d’un
Nolan revisitant l’univers de Batman. Mais en bon tâcheron discipliné, il se
contente ici de respecter le cahier des charges qu’on lui a confié et le budget
de 200 millions de dollars qui l’accompagne, et le résultat est à la hauteur
des espérances. Autrement dit, ou plutôt comme le disait à peu près (dans le Mondovino de Jonathan Nossiter) un
vigneron bourguignon à propos de ces vins sans caractère et au goût uniforme
qu’ils soient produits en Californie ou dans le bordelais : bluffant mais
court en bouche. Traduisons en termes cinématographiques : aussitôt vu,
aussitôt oublié.
[1]
Notons au passage que l’apport de Christopher Priest, autre grand auteur de
science-fiction à qui l’on doit Le
Prestige adapté par Christopher Nolan en 2006, s’est limité à la novelization du scénario original.
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