2 septembre 2012

Bluffant mais court en bouche.


Total Recall. Mémoires programmées (Total Recall), de Len Wiseman (2012).

            Connaissant assez mal l’œuvre de Philip K. Dick, que l’on dit importante au-delà des limites de la seule science-fiction, j’ignore à quel degré exact le cinéma l’a trahie  --  mais il y a en général trahison, les familiers de Dick le disent, alors pourquoi ne pas les croire ? D’autant que la nouvelle « Souvenirs à vendre », que j’ai lue à l’époque du film de Verhoeven, n’entretient effectivement que peu de rapports, hormis le début, avec les deux adaptations qu’elle a inspirées sous le titre de Total Recall, qu’il s’agisse de la version originelle, réalisée en 1990 par Paul Verhoeven avec Arnold Schwarzenegger, ou du remake que vient tout juste de commettre Len Wiseman.

            Mais pour autant, même trahi, Dick aura malgré tout inspiré quelques bons films, et qui comptent parmi les réussites de leurs auteurs  --  Blade Runner, de Ridley Scott (1982), Minority Report, de Steven Spielberg (2002) ou encore Paycheck, de John Woo (2003), que je persiste à trouver très bien (on a ses plaisirs coupables !). On attend avec intérêt que David Cronenberg, un des grands admirateurs du Maître, se lance un jour ou l’autre dans l’aventure d’une adaptation, lui dont Existenz (1999) serait, si l’on en croit les connaisseurs, un des rares films d’esprit authentiquement dickien [1].

            Faut-il d’ailleurs parler de Dick à propos de la production qu’on nous propose aujourd’hui et qui ne reprend en aucune façon la nouvelle d’origine mais le scénario qu’en avaient tiré Ronald Shusett, Dan O’Bannon et Gary Goldman  pour Verhoeven en 1990 ? On peut soutenir certes que, s’intéressant au point qui sépare la réalité d’autres choses (rêves, mondes parallèles, univers de simulacres) et aux manipulations qui s’ensuivent, cette nouvelle version ne s’éloigne nullement des obsessions bien connues du romancier, mais que dire du traitement que lui fait subir Len Wiseman ? Après un démarrage sur les chapeaux de roues, le film se calme le temps de quelques séquences (les seules à peu près fidèles à la nouvelle de Dick) avant de s’emballer dans une sorte de course-poursuite frénétique, mélange de cascades et d’effets spéciaux, une fois encore plus proche du jeu vidéo que de l’art cinématographique. C’est techniquement irréprochable et, convenons-en, le travail sur les décors ne manque pas d’allure. Il y a là une indiscutable imagination graphique, une extraordinaire machinerie  --  mais qui tourne désespérément à vide. Partant sans doute du principe que « plus ça bouge et meilleur c’est », Wiseman et ses scénaristes ne s’embarrassent guère de psychologie, réduisant des personnages dont ils n’ont que faire à l’état de robots  --  semblables à ces synthés tout droit sortis des Star Wars de Georges Lucas. Car si ce Total Recall se veut un remake (relativement) fidèle à son modèle, c’est aussi à d’autres adaptations de Dick qu’il emprunte sans vergogne : Blade Runner pour le décor et l’ambiance générale de la Colonie, Minority Report et ses autoroutes en apesanteur ou encore le principe de la traque d’un individu à la mémoire troublée mais détenteur d’un secret tout droit venu de Paycheck  --  et je dois en oublier beaucoup d’autres.

            Tout cela ne serait finalement pas très grave, et l’on parlerait alors de citations, d’hommages ou de clins d’œil, si Wiseman parvenait par ailleurs à faire œuvre personnelle à la façon d’un Nolan revisitant l’univers de Batman. Mais en bon tâcheron discipliné, il se contente ici de respecter le cahier des charges qu’on lui a confié et le budget de 200 millions de dollars qui l’accompagne, et le résultat est à la hauteur des espérances. Autrement dit, ou plutôt comme le disait à peu près (dans le Mondovino de Jonathan Nossiter) un vigneron bourguignon à propos de ces vins sans caractère et au goût uniforme qu’ils soient produits en Californie ou dans le bordelais : bluffant mais court en bouche. Traduisons en termes cinématographiques : aussitôt vu, aussitôt oublié.



[1] Notons au passage que l’apport de Christopher Priest, autre grand auteur de science-fiction à qui l’on doit Le Prestige adapté par Christopher Nolan en 2006, s’est limité à la novelization du scénario original.

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