29 octobre 2012

Un mythe en construction.


Réédition de Dishonored (Agent X 27, 1931) et de Shanghai Express (1932) de Josef von Sternberg.

            Quelle place mérite vraiment Josef von Sternberg dans l’histoire du cinéma, quand on sait que bon nombre d’historiens et de critiques le tiennent en très haute estime, évoquant même parfois un auteur de génie ? Force est de constater d’ailleurs, à voir ou revoir ses films, et en particulier ceux de la période Dietrich comme les deux que l’Action-Christine propose aujourd’hui en réédition après L’Impératrice rouge (The Scarlet Empress, 1934) il y a seulement quelques mois, force est de constater donc la cohérence extrême de sa démarche qui en fait même, d’une certaine façon, une caricature d’auteur. Mais une large part de sa filmographie reste finalement dans l’ombre (la période muette notamment) et sans doute, si l’on ose dire, l’arbre Dietrich cache-t-il la forêt d’une œuvre autrement plus diverse qu’on ne l’imagine.

27 octobre 2012

Un mal nécessaire?


Amour, de Michael Haneke (2012).

            Disons-le d’entrée de jeu pour ne plus avoir à y revenir : Amour, le dernier film de Michael Haneke (et récente Palme d’or cannoise) n’est pas plus une défense et illustration de l’euthanasie que Le Ruban blanc (2009, et autre Palme d’or) n’était une étude sur les racines obscures du nazisme comme on a pu le dire et l’écrire ici ou là. Ce n’est pas non plus, autant le savoir, une expérience plaisante et confortable  --  mais a-t-on jamais attendu de Haneke un cinéma plaisant et confortable ? Il n’y a rien là qui réjouisse ou qui attire, mais on a sans doute affaire à un film nécessaire  --  comme on dit parfois d’un mal qu’il est nécessaire.

24 octobre 2012

Une languissante comédie, n'est-il pas?


Astérix et Obélix : au service de Sa Majesté, de Laurent Tirard (2012).

            Parce qu’on aime bien et depuis longtemps les aventures d’Astérix en bandes dessinées (du moins celles écrites par l’excellent René Goscinny) ; parce qu’après l’échec retentissant du précédent opus une revanche s’imposait ; parce que se trouvent ici réunis, d’Edouard Baer à Bouli Lanners, quelques comédiens dont l’humour très personnel promettait de nous sortir des sentiers battus ; parce qu’il aurait été heureux et bien venu qu’un vrai grand succès populaire vienne conclure une rentrée particulièrement faste, en termes qualitatifs, pour le cinéma hexagonal ; pour toutes ces raisons et quelques autres qui tiennent au plaisir tout simple de rire sans arrières pensées d’aucune sorte, on aimerait dire le plus grand bien d’un film qui propose rien moins que  l’adaptation de deux des plus mémorables albums de la série, « Astérix chez les Bretons » et « Astérix et les Normands ».

22 octobre 2012

Un échec aussi monumental qu'incompréhensible.


Paperboy, de Lee Daniels (2012).

            Ceux qui ont lu et aimé « Paperboy », le roman de Pete Dexter publié aux Etats-Unis en 1995 et traduit la même année en français aux éditions de l’Olivier, savaient que se trouvaient réunis là tous les éléments pour que le cinéma s’en saisisse et le transforme un jour ou l’autre en un grand film noir. Deux reporters qui mènent une enquête pour provoquer la révision d’un procès ; une femme fatale qui s’amourache par correspondance d’un prisonnier peut-être victime d’une erreur judiciaire ; la chaleur moite d’un Sud où le racisme tient encore le haut du pavé (l’action se déroule en Floride en 1969) ; des « hommes des bois » qui vivent dans les marais, à l’écart du monde et de ses lois, « avec des couteaux et des chiens, qui suspendent des peaux de bêtes aux arbres de leur cour » et chassent les crocodiles ; des éclairs de violence aveugle et la mort qui rôde sans cesse entre les mots  --  il y avait, on le voit, de quoi inspirer un cinéaste, pourvu qu’il fût de qualité. La déception n’en est aujourd’hui que plus vive et à la hauteur de l’attente  --  autant dire immense.

20 octobre 2012

Un marivaudage fitzgeraldien.


Au galop, de Louis-Do de Lencquesaing (2012).

            Un peu comme le Cherchez Hortense de Pascal Bonitzer, voici un film dont le titre n’a que peu de rapport avec son objet. Pas du tout même, bien que le récit s’efforce incidemment de lui donner un sens. Peut-être faut-il y voir en réalité un appel du pied, conscient ou pas, en direction de ces hussards de la littérature qui traversèrent au galop l’immédiate après-guerre  --  les positions politiques droitières en moins[1]. On retrouve ici ce même goût pour des personnages blessés mais qui taisent ou masquent leur douleur ; ce même ton doux-amer, désenchanté et désengagé, qui ne s’attache guère qu’aux intermittences du cœur ; ces mêmes pieds de nez qu’on adresse à la camarde  --  ce que l’on pourrait appeler, quitte à passer pour un peu cuistre, un marivaudage fitzgeraldien.

18 octobre 2012

Survivre et sauver son humanité.


Sous la ville (In the Darkness), de Agnieszka Holland (2011).

            Cinéaste pour le moins irrégulière, ayant mené une curieuse et décevante carrière internationale à travers l’Europe et jusqu’aux Etats-Unis, Agnieszka Holland (née à Varsovie en 1948) n’est jamais plus à son affaire que lorsqu’elle retrouve ses racines polonaises et le souvenir d’une guerre qu’elle n’a pas connue mais qui hante ses films les plus réussis : Europa, Europa (Hitlerjunge Salomon), en 1990, ou Sous la ville aujourd’hui, où l’on retrouve l’indiscutable influence du Kanal d’Andrzej Wajda (1957), dont elle fut l’assistante, bien qu’il s’agisse ici de Juifs désarmés et non de résistants polonais ; et aussi, plus logiquement, de La Liste de Schindler (Schindler’s List, 1993) de Steven Spielberg et du Pianiste (The Pianist, 2002) de Roman Polanski. Mais pour autant, avec cette histoire authentique d’une poignée de Juifs du ghetto de Lvov réfugiés dans les égouts de la ville pendant plus d’un an, jusqu’à l’arrivée des troupes soviétiques à l’été de 1944, la cinéaste parvient à faire œuvre personnelle en transformant la destinée dramatique mais finalement heureuse (ils seront sauvés) de ses personnages en un remarquable raccourci de la Shoah.

16 octobre 2012

Du lourd, mais assez drôle.


Ted, de Seth MacFarlane (2012).

            Il n’y a pas loin d’une vingtaine d’années maintenant que sont apparues les premières comédies bêtes et potaches (mais pas méchantes pour deux sous) des frères Farrelly (Dumb and Dumber en 1994), suivies aussitôt par celles, tout aussi lourdes et vulgaires (les avis sont partagés sur ce dernier point), de Judd Apatow. Sans doute est-ce bien de ce côté-là que Seth McFarlane a été chercher son inspiration pour Ted, mais en partie seulement. Car, l’anthropomorphisme de l’ours en peluche aidant, il est difficile de ne pas voir se profiler à l’arrière-plan  (MacFarlane venant lui-même du dessin animé) les silhouettes de Garfield, le chat paresseux imaginé par Jim Davis, et surtout de Fritz le Chat, héros, dans les années 60, des bandes dessinées undergrounds de Robert Crumb, adaptées au cinéma en 1972 par Ralph Bakshi  --  le premier film d’animation classé X et interdit aux enfants.

14 octobre 2012

Un produit calibré pour ne déplaire à personne.


Tous les espoirs sont permis (Hope Springs), de David Frankel (2012).

            Pouvait-on décemment s’attendre à une bonne surprise de la part du médiocre David Frankel dont le seul titre de gloire à ce jour reste d’avoir obtenu un gros succès commercial avec Le Diable s’habille en Prada (The Devil Wears Prada, 2006)  --  film par ailleurs oubliable et qui valait surtout pour, déjà, la performance de Meryl Streep ? On ne change pas un tandem qui gagne ont du se dire les producteurs. Aussi retrouve-t-on ici la même Meryl Streep, flanquée cette fois de Tommy Lee Jones sur sa droite et, face à elle, dans le rôle du psy qui se propose de rafistoler leur couple devenu bancal avec l’âge, un Steve Carell nettement en retrait, pas mauvais d’ailleurs mais un peu sacrifié et qui se contente de renvoyer la balle avec talent.

12 octobre 2012

Un fascinant jeu de miroirs et de tiroirs.


Dans la maison, de François Ozon (2012).

            Il faut toujours se méfier des bandes-annonces, trompeuses par vocation. La plupart mettent l’eau à la bouche du spectateur, au risque de la déception, quand quelques-unes le laissent dubitatif, voire vaguement inquiet  --  celle de Dans la maison est du nombre. Hé quoi, allait-on nous resservir pour la énième fois un de ces faits divers, pittoresques mais en général insipides, inspirés de faits réels, pour reprendre le mantra qui dorénavant excuse et justifie tout ? Ou s’agit-il au contraire d’un jeu de tromperie rien moins que réaliste et qui commence, précisément, dès la bande-annonce ?

10 octobre 2012

Détresse ou désastre?


Damsels in Distress, de Whit Stillman (2011).

            Whit Stillman tourne apparemment très peu  --  quatre films seulement en plus de vingt ans et le dernier en date, Les Derniers jours du disco (The Last Days of Disco) remonte à 1998. Doit-on le déplorer ? J’avoue à ma grande honte n’en avoir vu aucun  --  mais Damsels in Distress, sa dernière réalisation, ne m’incite guère à découvrir les autres.

9 octobre 2012

Une comédie charmante mais sans relief.


Elle s’appelle Ruby (Ruby Sparks), de Jonathan Dayton et Valerie Faris (2012).

            Sans doute se souvient-on encore du précédent et premier film réalisé par le tandem Faris-Dayton, Little Miss Sunshine. C’était une comédie très enlevée, avec des personnages bien dessinés, un heureux enchaînement de situations originales, un humour plutôt délicat et, pour finir, une mise en scène assez passe-partout. Bref, le type même du film de scénariste où les réalisateurs assurent tant bien que mal sans chercher midi à quatorze heures.  Après un silence de six ans, Faris et Dayton remettent le couvert, cette fois sur un scénario de Zoe Kazan (la fille de Nicholas et la petite-fille d’Elia) mais d’une qualité nettement inférieure à celui de Michael Arndt pour Little Miss Sunshine.

7 octobre 2012

Un grand cirque noir et cynique.


Réédition de Ace in the Hole/The Big Carnival (Le Gouffre aux chimères), de Billy Wilder (1951).

            Il y a toujours eu avec Billy Wilder une sorte de malentendu. Le succès de quelques-unes de ses comédies les plus célèbres (The Seven Year Itch/Sept ans de réflexion, 1955, Certains l’aiment chaud/Some Like It Hot, 1959, ou encore The Apartment/La garçonnière, 1960) l’a longtemps fait passer pour un simple amuseur, qui plus est à la patte jugée souvent lourde. C’est oublier que les plus grandes réussites de ses débuts de cinéaste sont des films sombres (Double Indemnity/Assurance sur la mort, 1944, ou Sunset Boulevard/Boulevard du crépuscule, 1950, par exemple), y compris Le Gouffre aux chimères qui nous est aujourd’hui proposé en réédition. Peut-être est-ce d’ailleurs l’échec commercial du film qui incita Wilder à se tourner vers la comédie  --  même fortement teintée de noirceur et reflétant une vision du monde dénuée de tout angélisme.

5 octobre 2012

"Le monde est chose bouffonne."


Reality, de Matteo Garrone (2012).

            Après l’indiscutable réussite qu’a été le précédent film de Matteo Garrone, Gomorra, on attendait le cinéaste au tournant, et autant dire d’entrée de jeu que Reality ne déçoit pas notre attente  --  contrairement à ce qu’un accueil critique assez frais pourrait laisser penser. Je ne sais si Garrone méritait ou non d’être distingué à Cannes, où le Grand prix lui a été décerné pour la deuxième fois, mais il est indiscutable qu’il s’affirme aujourd’hui comme un des cinéastes italiens parmi les plus intéressants  --  sinon le plus intéressant, stylistiquement plus inventif que Nanni Moretti et à tous égards moins racoleur  que Paolo Sorrentino (voir l’épouvantable This Must Be the Place, 2011).

4 octobre 2012

Une allègre danse macabre.


Le Magasin des suicides, de Patrice Leconte (2012).

            Il faudrait assurément réévaluer l’abondante production de Patrice Leconte, cinéaste très irrégulier dont certains films resteront à coup sûr alors même que d’autres sont d’ores et déjà oubliés  --  encore serait-il bon de vérifier qu’ils méritaient de l’être. Lui qui a beaucoup vitupéré contre une critique elle-même loin d’être au-dessus de tout soupçon, il n’est pas sans assurer une manière de continuité avec un certain cinéma français  --  celui de cette « qualité française » que Truffaut et ses amis stigmatisèrent en leur temps. Il serait un peu hasardeux, si l’on veut poursuivre la comparaison entre les deux époques, de le confondre avec des cinéastes comme Clouzot ou Becker mais, mutatis mutandis, sa carrière rappelle celle d’un Christian-Jaque, capable du meilleur et du moins bon, voire parfois du pire. L’un et l’autres ont été à l’origine de quelques succès populaires mémorables, ce qui n’a rien de blâmable, et leurs filmographies respectives montrent assez qu’ils ont su s’illustrer dans les genres les plus variés  --  quoi de commun en effet entre Les Bronzés (1978), Monsieur Hire (1989) et Ridicule (1996) ? Et aujourd’hui Leconte choisit une fois encore d’élargir sa palette en nous proposant un film d’animation  --  Le Magasin des suicides.

2 octobre 2012

Trafic équitable.


Savages, d’Oliver Stone (2012).

            Le cinéma d’Oliver Stone ne brille guère par la sobriété, c’est entendu, et s’il a réalisé quelques films mémorables, la plupart ne présentent que peu d’intérêt  --  voire parfois pas d’intérêt du tout. Aussi Savages apparaît aujourd’hui comme une plutôt bonne surprise, un film certes pas vraiment parfait, mais il ne faut pas demander l’impossible.