27 septembre 2013

Kurosawa, entre virtuosité et humanisme.



Réédition de Rashômon, de Akira Kurosawa (1950).

            A ceux qu’agacerait mon insistance à parler en toute occasion de mise en scène au sens le plus classique du terme, je ne saurais trop conseiller d’aller voir (ou revoir) le Rashômon de Kurosawa qui vient tout juste d’être réédité. On me rétorquera, non sans raison, que je ne prends guère de risques avec Kurosawa, pas plus que je n’en prendrais, dans de tous autres registres formels, avec Mizoguchi ou Ozu ; et j’en prends d’autant moins que Kurosawa est sans doute le plus « occidental » des cinéastes nippons, tant sur le fond, quand il adapte plus ou moins directement Shakespeare, Dostoievski ou Gorki, voire des romans noirs, de Hammett (« La Moisson rouge » a largement inspiré Yojimbo/Le Garde du corps, 1961) à Ed McBain (pour Entre le ciel et l’enfer, 1963), que sur la forme, avec notamment un montage extrêmement dynamique  --  et jusqu’à une curieuse utilisation du « Boléro » de Ravel. Il est frappant de voir la profonde influence qu’il a exercée en retour sur nombre de cinéastes occidentaux, et s’il est de notoriété publique que Star Wars et ses suites portent son empreinte[1] (au-delà même de la silhouette de Dark Vador), à revoir Rashômon, on comprend tout ce qu’un Sergio Leone lui doit  --  et pas seulement le sujet de Yojimbo (que démarque Pour une poignée de dollars), lui-même reprenant il est vrai le canevas de « La Moisson rouge », mais aussi son goût pour des cadres soigneusement composés et jouant habilement sur l’utilisation de l’espace, le placement des acteurs et la profondeur de champ.

7 septembre 2013

Une éblouissante réhabilitation.



Réédition de Ryan’s Daughter (La Fille de Ryan), de David Lean (1970).

Le cinéma britannique n’a jamais eu très bonne presse de ce côté-ci de la Manche, en dépit des efforts méritoires d’une poignée de passionnés  --  Raymond Lefèvre et Roland Lacourbe publiant en 1976 leur « Trente ans de cinéma britannique », Bertrand Tavernier défendant avec la fougue qu’on lui connaît l’œuvre de Michael Powell[1] ou le cinéma des Ealing Studios. La faute à Truffaut peut-être, jamais à court de propos aussi fielleux que définitifs, qui n’hésitait pas à écrire dans les années 50 : « Dire que le cinéma anglais est mort serait excessif puisque aussi bien il n’a pratiquement jamais existé. Le film anglais actuel est incolore, inodore et sans saveur particulière… »[2]. Mais, soyons juste, il n’y avait pas que lui pour mépriser alors le cinéma britannique, et aujourd’hui encore une large partie de la critique ne juge sa production (trop souvent envisagée comme une annexe du cinéma américain[3]) qu’avec une condescendance légèrement arrogante qu’il ne mérite assurément pas. Rares sont donc, dans ce contexte, les rééditions  --  sinon quelques œuvres du free cinema et de sa mouvance (mieux accueillies peut-être du fait de leur proximité avec la Nouvelle Vague française) comme les premiers films de John Schlesinger ou, récemment, la trilogie de Bill Douglas. Mais pour le reste, c’est le désert ou presque, alors même que l’on a affaire à un véritable continent cinématographique d’une très grande richesse. Aussi, ces dernières années, les reprises peuvent-elles se compter sur les doigts d’une seule main : le délicieux Million Pound Note (L’Homme au million, Ronald Neame, 1954) il y a presque deux ans, The Victim (La Victime, Basil Dearden, 1961) il y a plus longtemps encore, et aujourd’hui Ryan’s Daughter de David Lean, je ne dois pas en oublier beaucoup.

24 août 2013

Une certaine idée du cinéma français.



            Il y a maintenant plus de cinquante ans que ceux que l’on a appelé les « jeunes turcs » de la Nouvelle Vague, d’abord comme critiques, essentiellement dans les Cahiers du Cinéma et pour quelques uns d’entre eux (Truffaut notamment) dans l’hebdomadaire culturel Arts, puis comme cinéastes, décrétèrent qu’il existait deux sortes de cinéma français, l’un ancien, académique, obsolète, péjorativement baptisé « cinéma de la qualité française », l’autre jeune, novateur, libre, rejetant les recettes anciennes (ainsi les vieilles ficelles de l’adaptation littéraire[1]) et qu’ils prétendaient incarner. Cette dichotomie absurde, qui a plus nui au cinéma français qu’elle ne lui a rapporté (sauf pour Truffaut et ses amis qui ont atteint le but qu’ils s’étaient fixés : prendre la place des anciens et faire carrière à leur tour), cette dichotomie donc perdure encore aujourd’hui au sein d’un cinéma français qui se veut l’héritier de la Nouvelle Vague et que soutient contre vents et marées une certaine frange de la critique. Critique qui prétend régner en maître des colonnes des Cahiers du Cinéma (vieille histoire d’héritage) à celles du Monde en passant par Libération, Les Inrockuptibles, France Culture ou le site Slate (avec le blog de Jean-Michel Frodon, ancien rédacteur en chef des Cahiers) ; critique pour qui l’histoire du cinéma français commence et s’achève avec cette Nouvelle Vague devenue semble-t-il l’alpha et l’omega de toute création cinématographique ; critique enfin qui a ses dieux et ses prophètes, ses génies généralement maudits (Leos Carax figure en bonne place dans ce curieux Panthéon) et ses penseurs dont on ne saurait faire l’économie  --  Serge Daney étant la référence quasi obligatoire et une pincée de Douchet, Deleuze et/ou Barthes ne pouvant qu’enrichir le tableau.

5 juillet 2013

Une bonne surprise et une belle réussite.



The Bay, de Barry Levinson (2013).

            Il y a des films que l’on n’attend pas, que l’on pourrait même négliger par inadvertance  --  et The Bay est assurément l’un d’eux. A soixante-dix ans passés (il est né en 1942), après une carrière de scénariste, producteur et metteur en scène riche et abondante, largement récompensée sinon toujours convaincante, on pouvait légitimement penser Barry Levinson revenu de tout, plus attentif à suivre la carrière de son fils Sam (Another Happy Day , 2011) qu’à tenter l’aventure d’un film novateur (pour lui), incisif et mené hors des entiers battus. C’est pourtant ce qu’il fait ici avec une production bien plus qu’intéressante et rien moins que routinière  --  sans doute, dans sa simplicité et sa modestie apparentes, un de ses meilleurs films.

20 juin 2013

Tintin au Brésil.



Réédition de L’Homme de Rio, de Philippe de Broca (1963).

            Curieuse destinée que celle de Philippe de Broca (né en 1933, la même année que Belmondo et un an après François Truffaut, et disparu en 2004), cinéaste un peu oublié aujourd’hui après avoir été longtemps méprisé par la critique  --  et que de récentes sorties en DVD blu-ray (Le Magnifique, Les Tribulations d’un Chinois en Chine et … L’Homme de Rio justement)  semblent vouloir timidement réhabiliter. Formé par l’école de la rue de Vaugirard sans être passé par la case cinéphilique des Cahiers du Cinéma et de ses annexes, il s’est d’abord frotté à quelques vieux briscards dénués de génie mais pas de savoir-faire (Georges Lacombe notamment, sur Cargaison blanche, 1957[1]) avant d’assister François Truffaut et surtout Claude Chabrol qui produira en 1960 ses deux premiers longs métrages, Le Farceur et Les Jeux de l’Amour.

8 juin 2013

Une séparation et ce qui s'ensuit.



Le Passé, de Asghar Farahdi (2013).

            Après le succès critique et public plutôt inattendu de son précédent film (Une Séparation, 2010), le cinéaste iranien Asghar Farhadi revient avec un nouvel opus où il poursuit dans la voie qu’il fraie pour ainsi dire depuis ses débuts. Les relations interpersonnelles au sein d’une famille, le drame des séparations et les lentes et parfois pénibles reconstructions qui s’ensuivent, les difficultés pour communiquer et se comprendre dans des situations d’un antagonisme extrême  --  autant de thèmes qu’il reprend d’œuvre en œuvre avec obstination, module et fait évoluer. Cette fois cependant, il quitte son Iran natal pour se transporter en France  --  mais sans pour autant éclaircir une palette aux couleurs particulièrement sombres.

3 juin 2013

Un formalisme sans issue?



Only God Forgives, de Nicolas Winding Refn (2013).

            Partisan d’un cinéma radical et d’une violence souvent extrême, Nicolas Winding Refn a connu une sorte de consécration en recevant, à l’occasion du festival de Cannes 2011, pour son précédent film, Drive, non point la Palme d’or (qui échut à Terrence Malick) mais le Prix de la mise en scène  --  distinction d’autant plus justifiée que la forme importe souvent davantage pour lui que le fond. Only God Forgives, présenté à Cannes cette année mais passé plutôt inaperçu, s’inscrit dans une démarche formaliste plus proche du Guerrier silencieux (Valhalla Rising, 2009), fascinante expérience non verbale, que de Drive où un fil narratif relativement charpenté (il s’agissait de l’adaptation d’un roman de James Sallis[1])  compensait la tendance esthétisante, voire pictorialiste, du cinéaste.

27 mai 2013

Une grossière attraction pour parc de loisirs.


Gatsby le magnifique (The Great Gatsby), de Baz Luhrmann (2013).

            Que je sois honnête : ce n’est certes pas le nom de Baz Luhrmann qui m’a incité à aller voir ce Great Gatsby, présenté tout de même en ouverture du festival de Cannes (on croit rêver !), mais bien sûr le livre de Scott Fitzgerald, pas son meilleur peut-être (on peut lui préférer « Tendre est la nuit »), mais assurément un des grands romans américains de la première moitié du XXème siècle cependant, et un des plus mythiques. Aussi pouvait-on craindre le pire d’un cinéaste qui n’a guère brillé jusqu’ici, sinon par des débauches de choix esthétiques particulièrement clinquants  --  et le pire est bien arrivé et même, si l’on ne craignait de pratiquer l’hyperbole, le pire du pire.

24 mai 2013

Retour vers le passé.


Sous surveillance (The Company You Keep), de Robert Redford (2012).

            On aimerait dire sans la moindre réserve le plus grand bien de toutes les entreprises menées par Robert Redford, tant pour l’acteur dont la carrière demeure exceptionnelle que pour l’homme dont les engagements forcent le respect. On ne saurait à cet égard minorer l’importance du Sundance Institute et de ses satellites (dont le fameux festival) qui ont largement contribué depuis plusieurs décennies au développement du cinéma américain indépendant. On en est donc d’autant plus gêné de ne pas s’enthousiasmer pour l’œuvre de Redford devenu cinéaste dès 1980 avec Des gens comme les autres (Ordinary People, 1980), œuvre non point indigne ou scandaleuse mais qui n’est jamais parvenue à s’imposer vraiment  --  au point que son précédent film, La Conspiration (The Conspirator, 2010), a été très mal accueilli et n’a pas même connu en France d’exploitation commerciale[1]. Des titres, assez peu d’ailleurs, demeurent dans les mémoires (notamment Et au milieu coule une rivière/A River Runs Through It, 1992, et L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux/The Horse Whisperer, 1998), mais aucune cohérence d’ensemble qui permette d’affirmer, au-delà des contraintes du système hollywoodien, que l’on a affaire à un cinéaste d’envergure avec une vision du monde et le style qui l’accompagne. A cet égard, que cela plaise ou non sur un plan politique, on est à des années-lumière de l’œuvre d’un Clint Eastwood, comédien plus limité et moins attachant dans ses prises de positions idéologiques mais d’une toute autre pointure une fois passé derrière la caméra.

17 mai 2013

A la croisée des grands mythes américains.

Mud, de Jeff Nichols (2012).

            Ceux qui, fort peu nombreux, ont découvert naguère (janvier 2008) l’éblouissant coup d’essai de Jeff Nichols, Shotgun Stories (2007), dans des salles pour ainsi dire désertes, peuvent aujourd’hui constater avec satisfaction, après Take Shelter (2011) et plus encore Mud, que le jeune réalisateur (il est né en 1978) se place désormais sans l’ombre d’un doute dans le peloton de tête de la nouvelle génération des cinéastes américains  --  et à l’une des toutes premières places.

13 mai 2013

Donner vie à une pensée abstraite.


Hannah Arendt, de Margarethe von Trotta (2012).

            D’abord actrice, Margarethe von Trotta (née en 1942) a participé à l’éclosion du jeune cinéma allemand des années 70, aux côtés de Rainer Maria Fassbinder notamment, mais aussi de son époux d’alors, Volker Schlöndorff (pour L’Honneur perdu de Katharina Blum/Die verlorene Ehre der Katharina Blum, en 1975, et Le Coup de grâce/Der Fangschuss, d’après Marguerite Yourcenar, l’année suivante). Elle est passée à la réalisation au milieu des années 70  --  et ses films les plus intéressants (Les Années de plomb/Die Bleierne Zeit, 1981, ou Rosa Luxemburg/Die Geduld der Rosa Luxemburg, 1985, avec déjà Barbara Sukowa, ou encore Les Années du mur/Das Versprechen, 1995) s’attachent à l’exploration des relations que l’Allemagne entretient avec son passé. Bien que consacré à une philosophe certes allemande d’origine mais naturalisée américaine dès 1951, Hannah Arendt s’inscrit aujourd’hui dans une même démarche, où le fond importe davantage que la forme.

2 mai 2013

Un jeu élégant mais vain.


The Grandmaster (Yi dai zong shi), de Wong Kar-Wai (2013).

            Habitué des festivals et choyé par la critique, Wong Kar-Wai me paraît être un des cinéastes contemporains les plus surestimés  --  jugement, comme il se doit, qui n’engage que moi. Ajouterai-je, histoire d’aggraver mon cas déjà désespéré et quitte à passer pour un iconoclaste irresponsable, que In the Mood for Love (2000) est à mes yeux un des films les plus surfaits de ces quarante ou cinquante dernières années ? C’est cependant avec un véritable et sincère intérêt que je suis allé découvrir The Grandmaster, plutôt curieux de voir ce que pouvait donner la rencontre du cinéaste avec ce que l’on appellera, faute d’un terme plus précis, le film de kung fu. Et le résultat, curieusement hybride, n’est pas pleinement satisfaisant, même s’il n’est pas toujours désagréable.

25 avril 2013

"Vingt-quatre heures de la vie d'une femme".


Le Temps de l’aventure, de Jérôme Bonnell (2013).

            On pouvait craindre (et la bande annonce allait hélas dans ce sens) avec le dernier film de Jérôme Bonnell sinon le pire (le cinéaste a jusqu’ici fait preuve d’une tenue de bon aloi) du moins le récit très convenu d’une de ces  « brèves rencontres » impossible entre deux êtres que tout sépare, l’âge, l’éducation, l’origine géographique, les activités professionnelles, et qui pourtant vont vivre une rapide mais fulgurante passion amoureuse. Certes, Le Temps de l’aventure, c’est aussi cela, mais pas seulement, très loin de là, et Jérôme Bonnell s’attache tout autant, sinon plus, à l’analyse de la psychologie de ses personnages qu’aux seuls sentiments, pourtant très forts, qui les rapprochent. Il y a là quelque chose d’un Stefan Zweig, auteur dont on parle beaucoup ces temps-ci, explorateur exemplaire des angoisses de la psyché humaine confrontée à la confusion des sentiments. Ainsi, mutatis mutandis,  se trouve-t-on davantage du côté de « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme », la nouvelle de Zweig, que de Brève rencontre, le film de Lean.

20 avril 2013

Les derniers feux de la comédie musicale.


Réédition de Funny Face (Drôle de frimousse), de Stanley Donen (1957).

            Vu pour la dernière fois il y a plus de trente ans, à une époque où je m’intéressais de très près au travail de l’immense Fred Astaire, je gardais de Funny Face le souvenir d’un spectacle trop soigneusement élaboré pour être honnête, carrément plombé par de redoutables afféteries esthétisantes (le numéro « He Loves and She Loves » notamment, avec son herbe trop verte et ses trop blanches colombes) et d’où toute spontanéité paraissait absente, tant (me semblait-il alors) Donen mettait d’ostentation à se chercher des alibis culturels et intellectuels (ainsi de l’apport comme conseiller visuel du très sophistiqué photographe Richard Avedon) pour bien faire comprendre que lui, cinéaste intelligent et sérieux, ne se laissait pas prendre aux naïvetés d’un genre qu’il jugeait mineur et, pour tout dire, indigne de son talent.

15 avril 2013

Comédies "à l'anglaise"?


Quartet, de Dustin Hoffman (2012).
Mariage à l’anglaise (I Give it a Year), de Dan Mazer (2013).

            Difficile de donner aujourd’hui une définition de ce que l’on pourrait appeler une comédie « à l’anglaise », pour utiliser une expression plus proche de l’art culinaire que du cinéma, sinon dans une perspective purement historique avec un genre qui fit florès dans les années d’après-guerre avec quelques films à la « construction parfaite qui s’organise à partir d’une situation de départ absurde poussée dans ses prolongements les plus logiques »[1] et mêlant cocasserie, sérieux imperturbable, goût pour un décorum britishissime et humour plutôt tongue in cheek que franchement burlesque. Rappelons au passage quelques titres mémorables, disponibles pour la plupart en DVD, et qui fonctionnent encore admirablement : Passeport pour Pimlico (Passport to Pimlico, Henry Cornelius, 1949), le bien connu Noblesse oblige (Kind Hearts and Coronets, Robert Hamer, 1949) ou encore les très belles réussites d’Alexander Mackendrick, un bon cinéaste injustement oublié[2] : Whisky à gog (Whisky Galore, 1948), L’Homme au complet blanc (The Man in the White Suit, 1951) et Tueurs de dames (The Ladykillers, 1955[3]). Mais peut-on dire pour autant, après toutes les vicissitudes vécues par le cinéma d’outre-Manche, que la comédie « à l’anglaise » (il vaudrait mieux parler de « comédie britannique » d’ailleurs) existe encore de nos jours ? Oui, dans la mesure où de nombreuses productions (et Quartet en fait partie) jouent sur le charme légèrement suranné d’une british touch en grande partie nostalgique ; non, parce qu’elle tend depuis longtemps à se fondre dans un mélange de comédie de mœurs et de comédie romantique  --  c’est le cas de Mariage à l’anglaise.

10 avril 2013

Des vertus de l'humilité.


Effets secondaires (Side Effects), de Steven Soderbergh (2013).

            Steven Soderbergh, qui tourne beaucoup et à un rythme soutenu, n’est finalement jamais meilleur que lorsqu’il se consacre à de « petits » sujets (mais qui peuvent être de « grosses » productions : voir ainsi Ocean’s Eleven, 2001)  --  je veux dire par là des sujets relevant de ce cinéma de genre qui a fondé le grand cinéma américain classique plutôt , par exemple, que de la fresque historique à la façon de son interminable et catastrophique biographie de Guevara (Che, 2008). Ainsi, assez proche du récent Haywire (Piégée, 2011), Side Effects convainc bien davantage que le non  moins récent Contagion (2011 également), nettement plus ambitieux dans ses intentions mais d’une maladresse d’exécution qui ne pardonne pas  --  et alors même que l’un et l’autre sortent de la plume du même scénariste, Scott Z. Burns.

5 avril 2013

Un quartet au paradis.


Perfect Mothers, d’Anne Fontaine (2012).

            Un esprit peu charitable ou particulièrement inattentif, voire carrément somnolent, pourrait accuser Anne Fontaine de vouloir faire sortir la catégorie milf [1] de son habituel ghetto pornographique pour la hisser au niveau d’une production à l’érotisme chic et choc pour magazine sur papier glacé, et ici légèrement épicée de variations plus ou moins sulfureuses. Ce serait en fait bien mal voir tant le sujet de Perfect Mothers, qui adapte une nouvelle (ou un court roman) de Doris Lessing un peu méchamment intitulé « The Grandmothers »[2], se situe résolument sur un autre plan.

3 avril 2013

Quelque part au-delà des pins.


The Place beyond the Pines, de Derek Cianfrance (2012).

            N’ayant pas vu le précédent film de Derek Cianfrance, Blue Valentine (personne n’est parfait et je compte réparer sans tarder cette coupable négligence), un cinéaste dont j’ignorais donc tout, c’est sans a priori particulier que je suis allé voir son nouveau et troisième film[1] au titre quelque peu déroutant  --  aussi le choc n’en a-t-il été que plus fort tant il s’agit d’un exceptionnel coup de maître.

27 mars 2013

Un interminable pensum.


Cloud Atlas, de Tom Tykwer, Lana et Andy Wachowski (2013).

            Difficile, à l’instant d’aborder Cloud Atlas, le film, de ne pas évoquer, ne serait-ce qu’en quelques lignes, « Cloud Atlas », le roman de David Mitchell[1]  --  œuvre que l’on pouvait à bon droit (et l’auteur lui-même le tout premier) juger inadaptable au cinéma. Ce pavé de plus de six cents pages se compose de six histoires échelonnées dans le temps entre le milieu du XIXème siècle et un lointain avenir post-apocalyptique et organisées selon un schéma que l’on pourrait qualifier de pyramidal (A-B-C-D-E-F-E-D-C-B-A), la partie post-apocalyptique (F) formant le sommet de la pyramide en même temps que le pivot du récit et donc étant la seule à ne pas être coupée en deux. Chaque histoire est en apparence indépendante des autres, reliées seulement par des correspondances qui finissent par former une trame souterraine en forme de philosophie mystico-simplette du genre : nous, les humains, formons une chaîne ininterrompue dans le temps et l’espace, chacun trouvant sans cesse une réincarnation plus ou moins achevée. Tout cela écrit et composé de façon brillante et représentant une sorte de tour de force littéraire où chaque récit bénéficie d’un ton et d’un style différent. Un tour de force trahissant certes une plume habile mais qui, à l’arrivée, laisse le lecteur sur sa faim : tout ça pour ça et à quoi bon tant de talent (et de pages) pour un fond aussi creux ?

20 mars 2013

Un cinéaste dans l'impasse.


A la merveille (To the Wonder), de Terrence Malick (2012).

Cinéaste rare et précieux (six films seulement en quarante ans), Terrence Malick semble avec l’âge (il est né en 1943) vouloir accélérer son rythme de production (son précédent film, The Tree of Life, ne date que de 2011) tout en radicalisant son cinéma, le situant désormais à la limite du poème visuel et de la quête expérimentale. On en arrive ainsi avec son dernier opus, To the Wonder, à devoir aborder son art en renonçant aux habituels critères tout en s’interrogeant sur la pertinence de son évolution : acmé prodigieuse ou impasse provisoire, voire définitive ?

17 mars 2013

Un film modeste mais réussi.


Au bout du conte, d’Agnès Jaoui (2012).

            Tant au cinéma (comme scénaristes d’abord, notamment pour Alain Resnais) qu’au théâtre (« Cuisine et dépendance » date de 1991), le tandem Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri s’attache à des histoires unanimistes où les personnages vont, viennent, se croisent, s’assemblent ou au contraire se séparent, saisissant au passage ce que l’on pourrait appeler, faute d’un meilleur mot, l’air du temps  --  ce que faisait, mais dans un registre bien différent, le Sautet première manière, celui des Choses de la vie (1970) ou de Vincent, François, Paul et les autres (1974). Ils témoignent d’une qualité très régulière dans l’écriture des dialogues (héritage sans doute de leur expérience théâtrale) mais beaucoup plus fluctuante dans les développements de leurs scénarios : d’où, à l’arrivée, des films plus (Le Goût des autres, 2000) ou moins (Comme une image, 2004, et Parlez-moi de la pluie, 2008) convaincants et qui, en dépit d’une petite musique assez personnelle, ont parfois du mal à trouver leur unité et leur cohérence. Au bout du conte, leur dernier opus, comptera, si j’ose dire, au nombre de leurs réussites.

12 mars 2013

Une jolie redécouverte.


Réédition de Propriété interdite (This Property is Condemned), de Sydney Pollack (1966).

            Ce n’est pas là le coup d’essai de Sydney Pollack, cinéaste aujourd’hui un peu négligé (le meilleur de son œuvre remonte aux années 70), mais son deuxième réalisé juste après The Slender Thread (Trente minutes de sursis, 1965) où l’influence de sa formation télévisuelle se faisait encore beaucoup sentir. Comédien à l’origine, il appartient à la génération qui suit celle des cinéastes apparus dans les années 40 et au tout début des années 50 (de Wilder à Mankiewicz en passant par Aldrich, Brooks, Daves, Edwards, Huston, Kazan, Preminger et quelques autres qu’on me pardonnera de ne pas nommer). Une génération en partie formée à l’école de la télévision, à l’aube des années 60, et dont la production s’est épanouie sur une quinzaine d’années, entre 1965 et 1980, avant que l’arrivée d’une génération plus jeune et aux dents plus longues (les Spielberg, Lucas, Coppola, Scorsese, De Palma) ne les mette sur la touche de façon plus ou moins définitive  --  mais peut-être eux-mêmes n’avaient-ils plus grand-chose à dire. Quelques noms et quelques titres (sans prétendre à l’exhaustivité) : John Frankenheimer, Robert Mulligan, Arthur Penn, George Roy Hill, Alan J. Pakula, Franklin J. Schaffner, Robert Altman pour les noms ; et pour les titres : Sept jours en mai (Seven Days in May, 1964) et Le Pays de la violence (I Walk the Line, 1970) de Frankenheimer, Une Eté 42 (Summer of ’42, 1971), L’Autre (The Other, 1972) et The Nickel Ride (1974) de Mulligan, Bonnie and Clyde (1967) et Little Big Man (1970) de Penn, Butch Cassidy et le Kid (Butch Cassidy and the Sundance Kid, 1969) et L’Arnaque (The Sting, 1974) de Hill, Klute (1971) et Les Hommes du Président (All the President’s Men, 1976) de Pakula, La Planète des singes (Planet of the Apes, 1968) et Patton (1970) de Schaffner, M*A*S*H (1970) et Nashville (1975) de Altman  --  noms et titres qui n’ont ici qu’une valeur purement indicative, en tant que repères, une étude détaillée des cinéastes de cette génération (qui ne semble plus intéresser grand monde, à l’exception peut-être de Altman, et encore) restant à écrire.

6 mars 2013

Hawks tel qu'en lui-même.


Réédition d’El Dorado, de Howard Hawks (1967).

            Avant-dernier film d’Howard Hawks, réalisé alors qu’il venait d’avoir soixante-dix ans, El Dorado, que l’on peut revoir ces jours-ci au Studio Action Christine, compose avec Rio Bravo (1959) et Rio Lobo (qui sera son dernier film en 1970) une sorte de trilogie westernienne autour de figures de shérifs et de hors-la-loi, plus proche en cela de la morale que de l’épopée[1]. La présence de John Wayne dans les trois films lui permettait au surplus d’aborder à sa façon (éloignée aussi bien du Ford de L’Homme qui tua Liberty Valance/The Man who Shot Liberty Valance, 1962, que du Peckinpah de Coups de feu dans la sierra/Ride the High Country, 1961) le thème du vieillissement du héros de l’Ouest tandis que sa collaboration avec la scénariste Leigh Brackett pour quatre de ses derniers films (Hatari !, 1962, en plus des trois westerns) lui permet de renouveler de façon approfondie ses personnages féminins.

4 mars 2013

Sous les auspices d'Hitchcock et de Le Carré.


Möbius, d’Eric Rochant (2012).

            Ex-espoir déçu du cinéma français qui débuta sur les chapeaux de roue avec Un Monde sans pitié (1989), film générationnel qui connut une grande fortune publique et critique et, d’une certaine façon, lui coupa les ailes à l’aube de sa carrière (ce genre de mésaventure accompagne parfois un succès précoce), Eric Rochant n’a depuis lors cessé de tâtonner en quête d’un hypothétique second souffle, finalement jamais trouvé. Il s’est reconverti depuis peu dans le polar nerveux à la télévision (la série Mafiosa), ce qui lui a peut-être donné l’idée de revenir au monde glauque de l’espionnage, précédemment exploré avec Les Patriotes (1994). Cette fois-ci, il mêle l’actualité la plus immédiate (les opérations financières douteuses capables à elles seules de ruiner une banque, voire un pays) aux éternelles luttes souterraines qui opposent les services de renseignements dans un combat où tous les coups sont permis  --  et surtout les plus tordus.

2 mars 2013

Trivial week-end.


Week-end royal (Hyde Park on Hudson), de Roger Michell (2012).

            La mode semble bien être ces temps-ci dans le cinéma anglo-saxon aux biopics, ces biographies filmées plus ou moins romancées consacrées à de célèbres personnalités  --  et donc susceptibles, pense-t-on, d’attirer un maximum de spectateurs dans les salles obscures. A ce petit jeu, des vedettes hollywoodiennes (devant ou derrière la caméra : de Marilyn à Hitchcock ) évoluent au coude à coude avec des présidents américains  --  Lincoln voici peu, Roosevelt aujourd’hui. Mais sans que pour autant le résultat (le Lincoln de Spielberg mis à part) soit à la hauteur des enjeux.

28 février 2013

Le Paradis, entre enfer et purgatoire.


Réédition de Heavens’s Gate (La Porte du Paradis), de Michael Cimino (1980).

            Il y a des films, réputés maudits, que la cinéphilie élève, parfois à tort, d’autres fois à raison, au rang de saints et de martyrs, au nom de la liberté sacrée de l’artiste et contre la tyrannie des producteurs et des financiers. Heaven’s Gate est, à l’évidence, de ceux-là, qui défraya la chronique au tournant des années 70 et 80. On se souvient peut-être des péripéties d’une saga à l’échelle hollywoodienne : un tournage traînant en longueur, un budget initial dépassé dans des proportions gigantesques, une sortie catastrophique tant du point de vue public que critique, le film (d’une durée initiale de 219 minutes) retiré de l’affiche après une semaine d’exploitation, remonté et ramené par le cinéaste lui-même à 151 minutes, puis de nouveau présenté à la presse et au public  --  sans plus de succès que la première fois. Le tout débouchant sur l’une de ces crises de confiance qui secouent périodiquement l’industrie cinématographique américaine et liée cette fois aux insurmontables difficultés de trésorerie des Artistes Associés que le film entraîna dans sa chute.

26 février 2013

Film noir et drame passionnel.


Réédition de The Dark Corner (L’Impasse tragique), de Henry Hathaway (1946).

            Un peu à la façon d’un William Wellman et de quelques autres, Henry Hathaway (1898-1985) a toujours été considéré comme un cinéaste de second rang, homme à tout faire d’un studio (la Paramount d’abord puis la Fox dans les années 40 et 50), passant sans barguigner d’un western à un film noir (deux genres auxquels il a beaucoup sacrifié, et souvent avec bonheur) ou d’une aventure exotique (Les Trois Lanciers du Bengale/Lives of a Bengal Lancer, 1935) à une élégie romantique qui enchantait André Breton et les surréalistes (Peter Ibbetson, 1935). Il n’a guère bénéficié de l’attention de la cinéphilie française des années 50 (contrairement à un Hitchcock, un Hawks ou un Ford), et il est exact qu’en dépit des efforts méritoires d’un Bertrand Tavernier[1], le train de la renommée l’a laissé sur le quai. Les soixante-quatre films qu’il a réalisés entre 1932 et 1974 ne comptent assurément pas que des chefs d’œuvre, très loin de là : il acceptait tout ce qu’on lui proposait à la façon, comme l’écrit joliment Tavernier, « d’un mécanicien à qui l’on confie des pièces séparées et qui tente de les assembler »[2], s’efforçant toujours d’améliorer le matériau d’origine par des trouvailles ou des expérimentations. Citons (un peu arbitrairement) deux films qui illustrent bien sa manière : From Hell to Texas (La Fureur des hommes, 1958[3]) pour le western et, pour le film noir, Kiss of Death (Le Carrefour de la mort, 1947). Sans négliger, dans le même genre mais dans une approche plus hybride, The Dark Corner (L’Impasse tragique, 1946), que le Studio Action de la rue Christine réédite aujourd’hui dans une belle copie neuve.

24 février 2013

La voie du père.


Antiviral, de Brandon Cronenberg (2012).

            Il n’est pas toujours facile d’être le fils de son père  --  surtout au cinéma. Aussi, à voir aujourd’hui Antiviral, le premier long métrage de Brandon Cronenberg (né en 1980), comment ne pas se souvenir du David Cronenberg première manière dont l’ombre tutélaire plane indiscutablement sur ce coup d’essai, plutôt intéressant au demeurant.

23 février 2013

Du bluff et de l'authentique.


Gangster Squad, de Reuben Fleischer (2012)
Réédition de Miller’s Crossing, des frères Coen (1990).

            Reuben Fleischer est un habile fabricant, à la technique indiscutablement très sûre, capable de passer sans transition ou presque d’une parodie de film gore agrémentée de force références cinéphiliques (Zombieland/Bienvenue à Zombieland, 2009) à un film d’aventures policières à l’humour potache et dont il n’y a pas grand-chose à dire (30 Minutes or less/30 minutes maximum, 2011) jusqu’à cette reconstitution minutieuse de l’univers des gangsters américains de l’après-guerre qu’est aujourd’hui Gangster Squad.

20 février 2013

Un combat de monstres sacrés.


Réédition de Qui a peur de Virginia Woolf ? (Who’s Afraid of Virginia Woolf ?), de Mike Nichols (1966).

            Avec Tennessee Williams et Arthur Miller, bien que dans une moindre mesure, Edward Albee reste un des auteurs dramatiques américains les plus fameux des décennies de l’immédiat après-guerre, et « Qui a peur de Virginia Woolf ? »[1] assurément sa pièce la plus connue. Pour ses débuts cinématographiques en 1966, Mike Nichols, célèbre metteur en scène de Broadway, l’adapta à l’écran (avec la complicité du scénariste Ernest Lehman[2]), avant de passer à des projets plus originaux (Le Lauréat/The Graduate, 1967, ou Ce plaisir qu’on dit charnel/Carnal Knowledge, 1971), voire très casse-gueule (son adaptation du roman de Joseph Heller, Catch 22, 1970, par exemple). C’était aussi l’époque où le couple Burton-Taylor défrayait la chronique qu’on n’appelait pas encore people et leurs frasques intimes trouvaient une sorte d’écho dans certaines de leurs prestations, véritable combat de monstres sacrés (comme ici ou dans La Mégère apprivoisée/The Taming of the Shrew, Franci Zeffirelli, 1967)  --  assurées du même coup d’une juteuse rentabilité commerciale. Quant à Nichols lui-même, il a mené jusqu’aujourd’hui une carrière cinématographique sans vrai grand relief, mais point déshonorante cependant et qui mérite mieux que l’opprobre dans lequel une bonne partie de la critique française l’a longtemps tenue.

18 février 2013

Un lourd prêchi-prêcha moralisateur.


Flight, de Robert Zemeckis (2012).

            Contrairement à certains de ses petits camarades de ce cinéma américain qui fut baptisé « Nouvel Hollywood » à la charnière des années 70 et 80, Robert Zemeckis n’a pas voulu (ou pu) bâtir une œuvre cohérente, préférant s’en tenir à une production hétéroclite (ce n’est pas un défaut, tant s’en faut) qui lui a valu quelques grands succès commerciaux, de la saga Retour vers le futur (Back to Future, 1985, et ses deux suites en 1989 et 1990) à Forrest Gump (1994) en passant par Qui veut la peau de Roger Rabbit (Who Framed Roger Rabbit, 1988). Une vingtaine d’années en demi-teinte ont suivi Forrest Gump (il est parfois difficile de se remettre d’un triomphe) jusqu’à Flight aujourd’hui, dernier avatar d’une filmographie protéiforme où opportunisme et roublardise auront surtout tenu lieu de talent à un cinéaste plutôt médiocre dans l’ensemble.

15 février 2013

Une éblouissante leçon de cinéma.


Passion, de Brian De Palma (2012).

            Il est curieux, révélateur et singulièrement stimulant de voir à quelques jours d’intervalle seulement le biopic de Sacha Gervasi, Hitchcock , film rien moins que médiocre où l’immense cinéaste que l’on sait n’est là qu’à titre purement anecdotique, et le remake de Crime d’amour, d’Alain Corneau (2010), que propose Brian De Palma, cinéaste qui, lui, a parfaitement su intégrer une forte influence hitchcockienne à l’univers qui est le sien et que l’on retrouve ici intact. Contrairement à ce qu’on lui reprocha jadis, c'est-à-dire de n’être rien d’autre qu’un vulgaire clone d’Hitchcock, il ne s’est jamais agi pour lui de plagier platement le réalisateur de Vertigo (Sueurs froides, 1958) et de Psycho (Psychose, 1960) mais au contraire de comprendre, d’intégrer et finalement de dissoudre la leçon du maître à l’intérieur d’une thématique et d’une forme l’une et l’autre originales et difficilement réductibles à un simple exercice d’imitation, sinon d’admiration. Passion n’échappe pas à la règle, où De Palma, en dépit de son exil européen (le film est une coproduction franco-allemande), revient avec panache et non sans une certaine insolence un peu bravache sur ses vieux démons, ceux qu’illustrèrent ses grands films des années 70  --  voyeurisme, gémellité, érotisme inquiétant, fragmentation du regard et de l’esprit, mise en abyme.

13 février 2013

Le regard du maître.


Hitchcock, de Sacha Gervasi (2012).

            Comme on n’attendait a prori pas grand-chose de ce biopic à première vue assez peu séduisant, la surprise n’est pas trop mauvaise à l’arrivée. Non qu’il s’agisse pour autant d’un bon film, n’exagérons rien, mais tous ceux qui apprécient le cinéma d’Alfred Hitchcock, un des cinéastes majeurs du XXème siècle tout de même, et singulièrement Psychose (Psycho, 1960), y prendront, je dirais presque par la force des choses, un plaisir certain.

10 février 2013

Comme un ultime coup de révolver.


Shadow Dancer, de James Marsh (2012).

            Tout à la fois documentariste et réalisateur de films de fiction, James Marsh revient sur ce que l’on appelle communément au Royaume-Uni les « troubles »  --  c'est-à-dire le conflit en Irlande du Nord, aux enjeux sociaux et politiques autant (sinon plus) que religieux. Il le fait d’un point de vue qu’il veut historique (après un rapide prologue en 1973, l’action se situe en 1993 entre Londres et Belfast) mais aussi moral, autour du thème de l’engagement, du double-jeu et de la trahison.

8 février 2013

Dans les "terres de sang".


Dans la brume (V Tumane), de Sergei Loznitsa (2012).

            Documentariste à l’origine, Sergei Loznitsa n’est passé que tout récemment à la fiction, d’abord avec My Joy en 2009 et aujourd’hui avec Dans la brume, adaptation d’un roman de l’écrivain biélorusse (mort en 2003) Vassil Bykov. Il a été les deux fois sélectionné au festival de Cannes  --  ce qui peut être une bonne et une mauvaise chose. Bonne dans la mesure où il s’agit là d’un formidable tremplin pour des cinéastes relativement peu connus et pratiquant un cinéma exigeant voire difficile ; mais mauvaise tant il est vrai que la tentation est grande pour les réalisateurs ainsi distingués de se couler avec une délectation narcissique dans le moule d’un cinéma d’auteur préfabriqué qui peut facilement tourner à la caricature. Et disons-le : Loznitsa, aussi brillant soit-il, n’échappe pas tout à fait à ce danger.

6 février 2013

Une comédie romantique filmée comme un match de boxe.


Happiness Therapy (Silver Linings Playbook), de David O. Russell (2012).

            De David O. Russell, on avait particulièrement remarqué Les Rois du désert (Three Kings, 1999), satire corrosive de la guerre du Golfe et de l’arrogance d’une Amérique belliqueuse, et Fighter (2010), un film sur la boxe, cette fois dans l’Amérique meurtrie des pauvres Blancs  --  deux œuvres curieusement décalées qui composaient à l’arrivée un intéressant diptyque sur l’Amérique contemporaine. Bien qu’il ait fait ses premières armes avec des comédies (Sparking the Money, 1994, et Flirter avec les embrouilles/Flirting with Disaster, 1996), on s’attendait d’autant moins à le voir revenir vers ce type de film que J’adore Huckabees (I Heart Huckabees, 2004) n’avait pas vraiment convaincu  --  et qu’au surplus le qualificatif de « romantique » paraissait aux antipodes d’un naturel plus volontiers rugueux. Mais, soyons juste, peut-on parler de comédie romantique à propos de Happiness Therapy ?

3 février 2013

Familier mais historique.


Lincoln, de Steven Spielberg (2012).

            A l’annonce de la réalisation par Steven Spielberg d’un film consacré à Lincoln, et connaissant son sens du spectacle, pour ne pas dire du spectaculaire, certains se sont sans doute attendus à une grande fresque épique, faisant une large part aux combats de la guerre de Sécession  --  bref, une sorte d’Autant en emporte le vent nordiste centré sur l’une des figures majeures de l’histoire des Etats-Unis. Ceux-là seront déçus. Rien de moins spectaculaire en effet que ce long huis-clos politique qui s’intéresse d’abord au fonctionnement des institutions, brosse ensuite un portrait intimiste de Lincoln mais rejette impitoyablement à l’arrière-plan, et même plutôt hors-champ, tout ce qui pourrait relever de l’héroïsme militaire.

29 janvier 2013

Une inclination certaine pour le bizarre et l'incongru.


Réédition de Django, de Sergio Corbucci (1966).

            Comme pour L’Esclave libre de Raoul Walsh, mais de façon peut-être plus discutable, c’est à Quentin Tarentino, à la sortie de son film Django Unchained (qui n’a pas grand-chose de commun avec l’autre, le nom de son personnage principal mis à part) et à son insistance à vouloir réhabiliter, entre autres genres mineurs, le western spaghetti, que l’on doit aujourd’hui la réédition du Django de Sergio Corbucci dans un circuit « art et essai » qui n’aurait jamais imaginé le programmer un jour à l’époque de sa sortie en 1966. C’était en rasant les murs, dans des salles de quartier ou dans un circuit spécialisé dans le cinéma bis qui comprenait entre autres l’Amiral, au métro Bonne Nouvelle, tout près du Rex, et le Concordia, je ne sais plus où, qu’on allait voir ce genre de productions généralement ultra fauchées, ringardes la plupart du temps, proposées uniquement en version française et parfois mutilées[1]. Mais les temps changent et l’on passe de la mauvaise conscience du cinéphile dévoyé à des plaisirs certes coupables mais d’autant plus avouables qu’une certaine forme d’opportunisme un peu snob vient volontiers brouiller les cartes.

28 janvier 2013

Quelque part entre sublime et grotesque.


Blancanieves, de Pablo Berger (2012).

            Même si sa genèse lui est antérieure, voilà un film qui a le tort d’arriver après The Artist, dont on sait le succès quasi planétaire qu’il a connu. Le principe en est le même, au moins au départ : réaliser un film entièrement muet et en noir et blanc  --  tenter en somme de retrouver le charme du cinéma des origines. Mais il y a peu de chances que le miracle commercial se reproduise, et c’est d’autant plus regrettable que Biancanieves est à bien des égards un film remarquable, plus exigeant et original que celui de Michel Hazanavicius  --  et malheureusement aussi moins directement séduisant.

25 janvier 2013

Action brutale et réflexion métaphysique.


Zero Dark Thirty, de Kathryn Bigelow (2012).

            C’est le risque que court toute entreprise qui prétend vouloir coller de très près à l’actualité : nourrir des polémiques étrangères au domaine dont elle relève à l’origine. Ainsi, à propos de Zero Dark Thirty, parle-t-on moins de cinéma que de torture  --  ce qui paraît grandement agacer Kathryn Bigelow (au point de refuser désormais d’aborder la question dans ses interviews) et lui vaudra peut-être de payer le prix fort lors des très politiquement corrects Oscars[1]  --  pantalonnade d’ailleurs en soi assez anecdotique. Récompensé ou pas, Zero Dark Thirty n’en demeurera pas moins un grand film de cinéma doublé d’un film important.

22 janvier 2013

Entre méditation romantique et héroïsme serein.


Réédition de L’Esclave libre (Band of Angels), de Raoul Walsh (1957).

            L’actualité des rééditions suit au plus près l’actualité des sorties hebdomadaires dominée ces temps-ci par le Django Unchained de Quentin Tarentino. Ainsi pourra-t-on bientôt revoir en copie restaurée et version intégrale le film de Sergio Corbucci, Django (1966, qui n’a d’ailleurs que peu à voir avec celui de Tarentino), et dès cette semaine la Filmothèque de la rue Champollion propose de redécouvrir L’Esclave libre (Band of Angels), le beau film de Raoul Walsh qui se déroule lui aussi, sur fond d’esclavagisme, à la veille puis pendant la guerre de Sécession, dans le Sud des Etats-Unis  --  alors profondément désunis.

19 janvier 2013

Une vraie trempe de cinéaste.


Django Unchained, de Quentin Tarentino (2012).

            Martin Scorsese et Quentin Tarentino ont ceci en commun qu’ils pratiquent une mise en scène volontiers ostentatoire (d’aucuns diront baroque) et aiment passionnément le cinéma. Cet engouement qui remonte à leurs jeunes années les rend particulièrement sensibles au cinéma de genres, populaire par excellence, et aux plaisirs coupables qu’il propose. Mais, question de génération sans doute, quand l’un (né en 1942) s’intéresse à une production presque essentiellement américaine et reposant sur des critères classiques, l’autre (né en 1963) ne cache pas sa fascination pour un cinéma bis souvent ultra fauché (Corman fait partie de ses références) avec ses dépendances asiatiques ou européennes, et notamment italiennes  --  péplum, giallo[1] et western spaghetti en tête. D’où une étrange filmographie un peu foutraque où voisinent hommage aux films d’arts martiaux (Kill Bill, 2003) et polars revus et corrigés par quelque garnement mal élevé (Reservoir Dog, 1992, Pulp Fiction, 1994, ou encore Jackie Brown, 1997, histoire de saluer au passage les films de blaxexploitation[2]). Après un clin d’œil ludique et marrant, mais pas très convaincant, aux doubles programmes d’autrefois (Death Proof/Boulevard de la mort, 2007), Tarentino passe aujourd’hui avec ce Django Unchained du film de guerre (Inglourious Basterds, 2009) au western  --  ou prétendu tel.

16 janvier 2013

Loin des sentiers battus.


The Master, de Paul Thomas Anderson (2012).

            Il aura suffi d’une quinzaine d’années et de six longs métrages pour que Paul Thomas Anderson s’impose de façon (presque) indiscutable comme un des éléments les plus intéressants de la jeune génération des cinéastes américains  --  ceux nés entre 1970 et le début des années 80. Dès son deuxième film en fait (Boogie Nights, 1997), on pouvait déceler les qualités d’une écriture cinématographique appliquée à une volonté d’explorer les angles morts de l’Amérique  --  le tout d’un point de vue original, sous la forme d’une sorte de conflit entre épopée et affrontements intimes. Tous ses films suivent peu ou prou la même démarche, Magnolia en 1999, There Will Be Blood en 2007 et aujourd’hui The Master  --  à l’exception notable de Punch Drunk Love (2001), plus modeste sans doute, mais non moins personnel, déconcertant et inclassable que les autres.

14 janvier 2013

Un film à (re)découvrir d'urgence.


Réédition de Hud (Le plus sauvage d’entre tous), de Martin Ritt (1963).

Voilà une réédition particulièrement bien venue pour un film que (je dois l’avouer à ma grande honte) je n’avais jamais vu jusqu’ici, non point qu’il fût particulièrement invisible (il est disponible en DVD) mais parce que m’en avaient dégoûté par avance les commentaires négatifs de la plupart des critiques et historiens du cinéma pour lesquels tout le début de la carrière de Martin Ritt (au moins) est à jeter aux chiens. Je veux bien qu’il n’y ait rien à sauver de Paris Blues (1961) et surtout de ses adaptations faulknériennes (The Long Hot Summer/Les Feux de l’été, 1958, et plus encore The Sound and the Fury/Le Bruit et la fureur, 1959, une entreprise absurde dès le départ) mais A Man Ten Feet Tall (L’Homme qui tua la peur, 1957) n’est pas totalement dénué de qualités une fois admis la coloration politique très manichéenne véhiculée par la gauche libérale américaine de l’époque[1]. Ce n’est en fait qu’à partir de 1965 avec The Spy Who Came in From the Cold (L’Espion qui venait du froid) que certains reconnaîtront enfin à Ritt, venu du théâtre et de la télévision, un peu de talent  --  et encore : du bout des lèvres. Au début des années 70, à l’époque de l’excellent The Molly Maguires (Traitre sur commande, 1970), une bonne partie de la critique française l’ignorera encore, et ce n’est vraiment qu’avec Sounder (1972), Conrack (1974), The Front (Le Prête-nom, 1976) et Norma Rae (1979) que ses qualités seront enfin reconnues  --  non sans que l’on évoque encore ici ou là la lourdeur de sa patte. Quant Hud, qui se situe à la charnière de ce que l’on pourrait appeler les deux grandes périodes de Ritt (avant et après 1965), il a largement été vilipendé, à la façon injuste dont sera accueilli quelques années plus tard un film qui lui ressemble à beaucoup d’égards et qu’on a pu heureusement réévaluer tout récemment, Never Give an Inch (Le Clan des irréductibles, Paul Newman, 1971).