31 mai 2012

Fin de série (1).



Men in Black 3, de Barry Sonnenfeld (2012).

            Certaines séries ou sagas avec suites ou sequels, appelez-les comme vous voudrez, ont plus de chance que d’autres, mais Men in Black ne fait hélas pas partie du lot. Adapté d’une bande dessinée à une époque (1997) où ça n’était pas encore la mode, le premier opus ne manquait ni d’humour ni d’invention, dans des limites soigneusement balisées et codifiées. Avec les années cependant, les limites ont progressivement pris le dessus jusqu’à ce troisième épisode qui a beaucoup perdu de la saveur d’origine et n’entend plus bâtir son succès que sur la seule réputation de sa franchise commerciale désormais plus proche des fins de série que des nouvelles collections.

29 mai 2012

Rebelles sans cause.


Sur la route, de Walter Salles (2012).

            Il y a comme ça des œuvres qui, indépendamment de leurs qualités intrinsèques et souvent en accord avec un temps et un lieu, échappent à leur auteur pour entrer dans la légende et se hisser à la hauteur d’un mythe. Sur la route, le roman de Jack Kerouac écrit au début des années 50 et publié en 1957, en fait partie, illustration tardive du « Go West, young man ! » des pionniers mais revue et corrigée par le monde des « hobos » et autres « wild boys of the road »[1] de la crise économique des années 30, signe de ralliement de toute une génération, la « Beat Generation » avec ses beatnicks et, plus tard, le mouvement hippie, hymne à une liberté qui prétend faire fi des tabous et des frontières pour mieux communier avec le cœur même de la terre américaine.

27 mai 2012

Un "grand film malade".


Cosmopolis, de David Cronenberg (2012).

            Les lecteurs du roman de Don DeLillo un tant soit peu familiers avec l’univers de David Cronenberg ne s’étonneront guère de voir celui-ci s’attaquer aujourd’hui à l’adaptation cinématographique de celui-là. On sait que le cinéaste aime à se confronter à des romans réputés difficilement adaptables, du Festin nu, de William Burroughs au Crash de James G. Ballard en passant par le Spider de Patrick McGrath  --  et Cosmopolis, roman aussi étrange qu’inclassable mais constamment au bord du malaise et nimbé d’une étrange lumière onirico-fantastique, ne pouvait que retenir son attention et stimuler son imagination. Mélange de sexe et de mort dans un univers en décomposition, déchaînement d’une violence dont l’exposition de corps malmenés est la manifestation la plus tangible, omniprésence d’un monde virtuel où informer revient à surveiller et qui impose son envahissante présence, analyse enfin d’une psyché brisée dont les débris s’éparpillent sous le regard glacé d’un créateur, écrivain ou cinéaste, qui donne à voir davantage qu’il ne juge mais porte en lui la condamnation de son objet  --  autant de fils rouges dont Cronenberg ne pouvait pas ne pas s’emparer.

25 mai 2012

Enquête dans le Sud profond.

Réédition de Dans la chaleur de la nuit (In the Heat of the Night), de Norman Jewison (1967).

            Sorti aux Etats-Unis en 1967, où il connut un immense succès public et critique et rafla plusieurs Oscars (dont meilleur film, meilleur scénario et meilleur acteur pour Rod Steiger), Dans la chaleur de la nuit, dont on nous propose aujourd’hui une réédition, n’a jamais bénéficié d’une grande considération chez les connaisseurs français du cinéma américain. Il faut dire à leur décharge que la carrière de Norman Jewison (né en 1926), venu de la télévision canadienne mais qui a ensuite essentiellement travaillé à Hollywood, a sans doute connu plus de bas que de hauts, que ni la subtilité ni la légèreté ne font partie de ses qualités majeures et qu’enfin sa production a tourné court après 1979[1] et Justice pour tous (… And Justice for All, avec Al Pacino), s’achevant définitivement semble-t-il en 2003 avec Crime contre l’humanité (The Statement), incroyable coproduction anglo-franco-canadienne consacrée à Paul Touvier, rôle que Michael Caine jouait dans un ahurissant registre grand-guignolesque. Revu aujourd’hui et avec le recul, Dans la chaleur de la nuit apparaît comme un de ses films les plus intéressants, avec Le Kid de Cincinnati (The Cincinnati Kid, 1966, qui bénéficiait du face à face entre le jeune Steve McQuenn et le vieux Edward G. Robinson), F.I.S.T. (1978) et Justice pour tous  -- ce qui fait peu, j’en conviens. Mais dans tous ces cas, avec des sujets solides et bien charpentés, un peu lourds parfois, il révèle un savoir-faire d’habile artisan, assez roublard sur les bords.

23 mai 2012

Variations sur une fugue.


Moonrise Kingdom, de Wes Anderson (2012).

            Après Tim Burton et Dark Shadows et en attendant David Cronenberg et Cosmopolis, le temps est à ces cinéastes qui d’un film à l’autre ont su bâtir un univers particulier dont on peut certes discuter du caractère sincère ou fabriqué mais pas de la très grande cohérence. Wes Anderson, qu’il ne faut confondre ni avec Paul Thomas Anderson, cinéaste majeur (dernier film : There will be Blood, en 2007), ni avec le britannique Paul W.S. Anderson, responsable de quelques blockbusters tendance jeux vidéo (Mortal Kombat ou Resident Evil), Wes Anderson (né en 1969) donc fait assurément partie de cette catégorie de réalisateurs dont chaque nouvelle production porte la marque personnelle. Ainsi construit-il une œuvre où se mêlent dans une espèce de bulle hors du temps personnages inattendus, situations cocasses et notations poétiques.

21 mai 2012

"La pesanteur et la grâce".


De rouille et d’os, de Jacques Audiard (2012).

            Jacques Audiard étant aujourd’hui un des très rares cinéastes français vraiment original et intéressant, c’est peu dire que ses films sont attendus avec impatience et gourmandise  --  d’autant qu’après avoir commencé sa carrière sur le tard (en 1994, à quarante ans passés), il tourne relativement peu (six films en dix-huit ans) et que chaque nouvel opus, le festival de Cannes aidant, se transforme en une manière d’événement. Non d’ailleurs que ses six films soient d’une qualité irréprochable et égale. Un héros très discret (1996) demeure une grande déception et son film sans doute le mieux accueilli par la critique et le public, Un Prophète (2009), pour flirter le plus souvent avec les sommets, n’en est pas moins entaché ici et là de menues affèteries indignes du talent de son auteur.

19 mai 2012

Limites d'un mythe.


Rééditions de Troublez-moi ce soir (Don’t Bother to Knock), de Roy Baker (1952) et de Arrêt d’autobus (Bus Stop), de Joshua Logan (1956).

            Sans doute est-ce à la sortie récente de My Week with Marilyn, de Simon Curtis, que l’on doit aujourd’hui la réédition de deux films interprétés par Marilyn Monroe dont l’actualité se trouve ainsi singulièrement relancée (avec notamment l’annonce d’un hors-série de Télérama). Troublez-moi ce soir, réalisé en 1952, marque les débuts de l’actrice dans un vrai premier rôle (elle partage la vedette avec Richard Widmark) tandis que Arrêt d’autobus se situe en 1956 à peu près au mitan de sa carrière, entre Sept ans de réflexion (Seven Years Itch, Billy Wilder, 1955) et juste avant Le Prince et la danseuse (The Prince and the Showgirl, Laurence Olivier, 1957) dont My Week with Marilyn évoque le tournage.

16 mai 2012

Troisème âge et lieux communs.


Indian Palace (The Best Exotic Marigold Hotel), de John Madden (2011).

            Les « vieux », pudiquement rebaptisés « seniors », font recette, c’est entendu. Ne les présente-t-on pas toujours comme d’heureux oisifs débordés (il n’y a d’oxymore qu’en apparence) à fort pouvoir d’achat ? Indian Palace, qui adapte un roman de Deborah Moggach[1], prend le contrepied de ce cliché en s’intéressant à une demi-douzaine de citoyens britanniques, certains désargentés, qui décident de prendre leur retraite en Inde, dans un hôtel présenté sur internet comme un palace réservé au troisième âge. Quatre le font pour des raisons financières (ils n’ont pas même de quoi s’acheter un billet de retour), le cinquième pour retrouver un grand amour de jeunesse et la dernière, odieusement raciste (géniale Maggie Smith), pour se faire opérer de la hanche plus rapidement et à meilleur prix qu’en Angleterre (sic). On imagine facilement la suite : l’hôtel, affreusement décrépi, ne correspond guère à leur attente mais, de la découverte d’abord réticente puis enthousiaste d’une culture différente à l’émergence d’amours tardives, tout finira bien  --  ou, comme le dit assez drôlement un des personnages : « Si tout n’est pas bien c’est que ça n’est pas encore fini ! »

14 mai 2012

Les miracles existent-ils vraiment?


Milliardaire pour un jour (Pocketful of Miracles), de Frank Capra (1961).

            Il était une fois à Hollywood un cinéaste tombé très jeune dans un gros chaudron d’optimisme, qui croyait dur comme fer aux miracles et aux contes de fées, qui soutenait d’un film à l’autre que la vie est vraiment formidable et qu’il n’est pas de méchant individu qui ne cache un cœur d’or. Frank Capra, puisque c’est de lui qu’il s’agit, décida au soir de sa carrière (il avait 64 ans et ce fut son dernier film[1]) de revenir sur une œuvre réalisée presque trente ans plus tôt (Lady for a Day/Grande dame d’un jour, 1933) et d’en faire un remake en couleur, plus ample, plus riche  --  une sorte de testament souriant intitulé cette fois Pocketful of Miracles (Milliardaire pour un jour) et qu’on nous propose actuellement en réédition.

12 mai 2012

Tim Burton tel qu'en lui-même.


Dark Shadows, de Tim Burton (2011).

Exposition Tim Burton, à la Cinémathèque française jusqu’au 5 août.

            Impossible de refuser à Tim Burton le titre envié de véritable auteur. Peut-on même trouver ailleurs que chez lui (La planète des Singes/Planet of the Apes, 2001, mis à part) davantage de continuité d’un film à l’autre, de fidélité à un très riche imaginaire né dans l’enfance et la jeunesse et qu’il ne cesse de développer depuis lors, de permanence dans les thèmes abordés, d’attachement à des personnages qui tous, aimables ou détestables, présentent une différence qui les rend déplacés dans leur époque, de cohérence enfin dans les choix esthétiques qui mettent en œuvre cet univers composé d’une trame serrée d’influences et cependant d’une originalité à nulle autre pareille. Tout cela fait assurément de Tim Burton, qu’on l’apprécie ou non, l’un des cinéastes américains les plus considérables de ces vingt-cinq dernières années. Il suffit d’ailleurs de voir aujourd’hui son dernier opus, Dark Shadows, et l’exposition-hommage que la Cinémathèque française lui consacre (avec rétrospective et carte blanche) pour s’en convaincre.

10 mai 2012

Un sacrifice ordinaire.


Barbara, de Christian Petzold (2011).

            Il y a pour le cinéma allemand différentes façons d’évoquer les années où le pays était coupé en deux : la façon satirique, drôle mais acide de Good Bye, Lenin ! (Wolfgang Becker, 2003) ; celle, plus classique, plus ample aussi, d’un suspense à coloration autant policière que politique, proposée par La Vie des autres (Das Leben den Anderen, Florian Henckel von Donnersmarck, 2007) ; une troisième enfin que l’on aborde avec Barbara, dédramatisée et pourtant très tendue, reconstitution discrète et pourtant toujours exacte. Ainsi l’intrigue apparaît-elle à première vue d’une simplicité extrême, comme dénuée de tout relief dramatique.

8 mai 2012

Disparition d'un monde ancien.


Sandra (Vague stelle dell’Orsa), de Luchino Visconti (1965).

            Ces jours-ci, le Champo, haut lieu de la cinéphilie parisienne, fait salles combles avec la sortie des Jours comptés, d’Elio Petri, dont j’ai déjà parlé ici, et la reprise de Sandra, de Luchino Visconti. C’est tant mieux pour le cinéma en général, pour le cinéma italien en particulier, depuis bien trop longtemps dans un état semi-comateux, et pour Petri et Visconti, deux cinéastes importants à des titres divers, même si l’œuvre du second me paraît infiniment mieux vieillir que celle du premier  --  et, pour Sandra, en dépit d’une copie assez moyenne, bien que neuve[1].

6 mai 2012

Un jeu formel vain et prétentieux.


Miss Bala, de Gerardo Naranjo (2011).

            Vouloir prendre pour sujet la guerre meurtrière que se livrent cartels de la drogue et autorités mexicaines à Tijuana, ville en état de guerre permanente, c’est une excellente idée, de salubrité publique pourrait-on même dire. Faire du destin individuel d’une aspirante reine de beauté entraînée malgré elle dans la spirale du mal et de la violence une métaphore du Mexique otage d’un combat douteux entre policiers et malfrats, pourquoi pas. Choisir de filmer le tout en longs plans-séquences au plus près des personnages d’un point de vue purement «behaviouriste» et donc sans jamais fournir la moindre explication, c’est un pari risqué mais après tout respectable. Reste que pour faire tenir ensemble des ambitions aussi contradictoires, pour que la mayonnaise finisse par prendre en réunissant tant d’éléments disparates, pour que le public enfin y trouve son compte tant en termes de pur spectacle que de réflexion politique, il fallait tout à la fois force et rigueur, savoir-faire et humilité, des qualités que l’on ne trouve guère ici, sinon à l’état d’éclairs fugitifs (le temps d’une fusillade sauvage en pleine rue par exemple), disparus aussitôt qu’entrevus. Bref, pour dire les choses en raccourci, Gerardo Naranjo n’est pas Francesco Rosi, pas même le parfois clinquant Steven Soderbergh (celui de Traffic, 2000, qui traite du même sujet mais en infiniment mieux).

4 mai 2012

Au coeur des ténèbres.


Margin Call, de J.C. Chandor (2011).

            Etonnant itinéraire que celui de ce fils de pub qui démarre aujourd’hui sa carrière sur les chapeaux de roue avec un premier film aussi retentissant au niveau du sujet que mesuré en termes de mise en scène et  qui stigmatise avec véhémence les mœurs des milieux de la finance en revenant sur les prémisses de la crise économique de 2008. Ce faisant, J.C. Chandor donne à voir tout à la fois la face sombre et la face claire du système américain : face sombre que cet univers impitoyable où tous les coups sont permis et où l’on vous licencie avec brutalité, et c’est alors toute une existence qui bascule en un instant dans le cauchemar ; mais face claire aussi, qui permet à un film pas précisément marginal de dénoncer ledit système avec virulence, en s’appuyant au surplus sur une belle brochette d’acteurs haut de gamme comme témoins à charge.

2 mai 2012

Blockbuster ou série B? (2)


Avengers (The Avengers), de Joss Whedon (2011).

            Voilà un film qui pratique l’excès avec délectation et, comme il se doit, sans modération. Débauche de moyens techniques et financiers, inflation de super-héros, casting de grand luxe, escalade dans les destructions à côté desquelles les attentats du 11 septembre ne sont que de la roupie de sansonnet : on ne fait pas ici dans la demi-mesure. Reste à savoir si le résultat est à la hauteur des moyens  --  et de l’attente.

1 mai 2012

Blockbuster ou série B? (1)


Lock Out, de James Mathers et Stephen Saint-Leger (2012).

            D’un côté, si vous le voulez bien, Avengers de Joss Whedon, dont je parlerai demain, production au budget mamouthesque de 220 millions de dollars, de l’autre Lock Out, curieux objet à l’origine incertaine et qui ne pèse que 30 millions de dollars, soit sept fois moins que l’autre, et au milieu, arbitres de cet affrontement imaginaire, le grand ancêtre Roger Corman, empereur de la série B d’antan, dont on sait combien l’inflation des budgets l’épouvante et le scandalise, et John Carpenter, lui aussi grand cinéaste de série B, mais d’une génération postérieure (il est né en 1948), qui n’a plus donné signe de vie depuis bien longtemps maintenant[1] et que Lock Out pille allégrement. Ne sacrifiant à aucune espèce de présupposés, je précise d’entrée de jeu que ni l’importance (ou la faiblesse) du budget d’un film, ni le choix d’illustrer un cinéma dit «de genre» (qu’on opposerait absurdement à un cinéma «d’auteur») ne sont pour moi des critères critiques recevables. Un blockbuster peut être un excellent film quand un film «d’auteur» sera mauvais, et inversement. Mais on l’a sans doute déjà compris.