Lock
Out, de James Mathers et Stephen Saint-Leger
(2012).
D’un côté, si vous le voulez bien, Avengers de Joss Whedon, dont je
parlerai demain, production au budget mamouthesque de 220 millions de dollars,
de l’autre Lock Out, curieux objet à
l’origine incertaine et qui ne pèse que
30 millions de dollars, soit sept fois moins que l’autre, et au milieu, arbitres
de cet affrontement imaginaire, le grand ancêtre Roger Corman, empereur de la
série B d’antan, dont on sait combien l’inflation des budgets l’épouvante et le
scandalise, et John Carpenter, lui aussi grand cinéaste de série B, mais d’une
génération postérieure (il est né en 1948), qui n’a plus donné signe de vie
depuis bien longtemps maintenant[1]
et que Lock Out pille allégrement. Ne
sacrifiant à aucune espèce de présupposés, je précise d’entrée de jeu que ni
l’importance (ou la faiblesse) du budget d’un film, ni le choix d’illustrer un
cinéma dit «de genre» (qu’on opposerait absurdement à un cinéma «d’auteur») ne
sont pour moi des critères critiques recevables. Un blockbuster peut être un
excellent film quand un film «d’auteur» sera mauvais, et inversement. Mais on
l’a sans doute déjà compris.
Commençons par Lock Out, sorti une semaine avant Avengers, qui illustre à merveille le syndrome «Canada Dry» qui
voudrait que l’on soit tout autre chose que ce l’on est. Produit par le
français Luc Besson, remake inavoué
du New-York 1997 de John Carpenter (Escape from New-York, 1981), réalisé par
deux jeunes cinéastes irlandais débutants, tourné en studio à Belgrade avec des
comédiens anglo-saxons peu connus (donc moins chers, sauf peut-être l’excellent
Guy Pearce, britannique installé en Australie) et pour un budget relativement
modeste, voilà le type même de film en forme d’ersatz, ni tout à fait le
blockbuster qu’il voudrait être, ni tout à fait la série B qu’il pourrait être
selon les critères d’aujourd’hui. Un peu entre deux chaises, l’ensemble
fonctionne pourtant plutôt bien, et l’on en est d’autant plus étonné que,
soyons honnête, on y allait sans grande illusion, juste par curiosité malsaine
et pour le plaisir toujours tentant de dire du mal de Luc Besson (!).
Certes le scénario ne brille pas par
son originalité (se targuer d’une idée de départ originale paraît très excessif
pour ne pas dire plus), sans pour autant tomber dans cette légère débilité qu’on
a pu lui reprocher. Les exemples ne manquent pas dans le cinéma américain de ces
récits d’aventures (du western à la science-fiction) respectant la bonne
vieille règle des trois unités (lieu unique : un pénitencier dans
l’espace ; temps limité : quelques heures, après quoi ladite prison
sera anéantie ; et « un seul fait accompli» : libérer la fille
du président des Etats-Unis retenue en otage par des prisonniers révoltés)
entre un prologue qui situe l’action et les personnages et un épilogue qui
résout rapidement une intrigue secondaire nécessaire à l’action principale.
Rien que de classique en somme (ou de déjà vu, diront les méchantes langues)
mais qui fonctionne bien tout au long d’un récit qui ne prétend pas, lui, être
autre chose que ce qu’il est. On sait bien, c’est la loi du genre, que les
méchants seront confondus et les gentils récompensés, et ce côté conventionnel
du film participe du plaisir de l’ensemble.
Mais, outre la qualité assez
bluffante des décors et de la photographie et le caractère plutôt classique et
très peu clipeux de la mise en scène (bonne surprise), c’est le personnage de
l’aventurier qu’interprète Guy Pearce, un certain Marion Snow (Marion parce que
son père admirait John Wayne[2])
qui nous intéresse le plus par la dimension cinéphilique et hawksienne que les
auteurs lui donnent et qui allie humour et professionnalisme. Le grand Howard
Hawks aimait et excellait à plonger ses personnages masculins (tous très
professionnels) dans des situations de danger extrême, comme le très archétypal
shérif John T. Chance (John Wayne) dans le mythique Rio Bravo (1959)[3],
des personnages éloignés de toute auto-complaisance mais cultivant lucidité et
surtout humour -- un humour qui se renforce en proportion de
l’intensité du danger.
Hawksien, Snow l’est aussi dans la
relation qu’il entretient avec celle qu’il doit sauver, d’abord présentée comme
un boulet, et qui s’affirme progressivement, par sa métamorphose physique et en
participant à des actions habituellement réservées aux seuls hommes, jusqu’à
devenir l’égale de Snow (le coup de poing en forme de boomerang qui conclue le
film). Rien de plus hawksien que cette relation amoureuse faite de rivalité et
de volontarisme où chacun trouve son équilibre et où «l’homme et la femme
échangent leur force et leur vulnérabilité propre et s’accomplissent dans la
protection mutuelle et la poursuite d’une action commune»[4].
Alors, Lock Out, plaisir honteux, comme je l’ai lu quelque part ?
Plaisir coupable, peut-être, au sens que Martin Scorsese donna jadis à ce terme[5] ?
Plaisir tout court assurément, avec un film finalement plus malin qu’il ne le
paraît.
[1] Depuis
2001 et Ghosts of Mars. Il a réalisé
un film en 2011, The Ward/L’Hôpital de la
terreur, qui n’est sorti en France qu’en DVD. Signe des temps…
[2]
Marion Robert Morrison, pour l’état civil, dit John Wayne.
[3]
Est-ce un hasard si Carpenter, cinéaste ici grandement sollicité, a placé son
début sous le patronage de Hawks ? Son second film, Assaut (Assault on Precinct
13, 1976), était une reprise assumée (mais non officielle) de Rio Bravo et dont il a assuré le montage
sous le pseudonyme de… John T. Chance.
[4] Jean A.
Gili, Howard Hawks, Collection Cinéma
d’Aujourd’hui, Seghers, 1971, p.63.
[5] Martin
Scorsese, « Mes plaisirs
coupables », article publié dans Film
Comment, septembre-octobre 1978, et traduit dans Positif, n°241, avril 1981.
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