Avengers
(The Avengers), de Joss Whedon
(2011).
Voilà un film qui pratique l’excès
avec délectation et, comme il se doit, sans modération. Débauche de moyens
techniques et financiers, inflation de super-héros, casting de grand luxe,
escalade dans les destructions à côté desquelles les attentats du 11 septembre
ne sont que de la roupie de sansonnet : on ne fait pas ici dans la
demi-mesure. Reste à savoir si le résultat est à la hauteur des moyens -- et
de l’attente.
Reconnaissons que le défi était
d’importance pour Joss Whedon, auteur complet notons-le (il est à l’origine de
l’histoire et signe scénario et mise en scène) et cinéaste quasiment débutant
sur grand écran[1].
Réunir Iron-Man, Hulk, Captain America et Thor, en y ajoutant, pour le charme
sans doute, Scarlett Johansson en Veuve noire qui castagne aussi sec que les rudes
gaillards qui l’entourent ; donner à toute cette affaire un début de
cohérence sous la forme d’une attaque d’extra-terrestres dirigée par un méchant
tout droit sorti d’un univers d’heroic
fantasy ; ajouter une légère dose de dénonciation politique
stigmatisant la course aux armements et le cynisme de dirigeants prêts à
sacrifier froidement d’entières populations, sans oublier un humour souvent
bien venu, histoire de rappeler que tout ce petit monde ne saurait se prendre
tout à fait au sérieux -- tout cela tient indiscutablement d’un
formidable exploit de super-héros.
Alors, au bout du compte, après un
spectacle où on en a indiscutablement pour son argent (c’est bien le moins
compte tenu du budget : 220 millions de dollars), peut-on dire que Joss
Whedon a réussi la mission qui lui a été confiée? Eh bien, par Thor, oui et
non.
Oui, parce que l’ensemble tient
plutôt bien la route, mais à la condition expresse de ne pas chercher le
pourquoi du comment d’une histoire réduite à peu de choses près à un canevas où
seuls comptent les morceaux de bravoure, et le film n’en manque certes pas
jusqu’à un final en forme de jeu vidéo survolté où une partie de Manhattan se
retrouve à l’état de ruines fumantes. Mais non dans la mesure où Whedon a bien
du mal à faire cohabiter autrement que de façon arbitraire sa demi-douzaine de
super-héros qui n’ont d’autres fonction que de faire le coup de poing de la
façon la plus spectaculaire possible. Le seul à dépasser les étroites limite de
son personnage et à lui donner une autre
dimension, c’est Hulk ou plutôt (au repos) le docteur Banner, en grande partie
grâce à l’excellent Mark Ruffalo, un des acteurs américains actuels parmi les
plus intéressants. Les autres demeurent définitivement prisonniers des
stéréotypes associés à leurs défroques, y compris Robert Downey Jr. qui, de Iron Man à Sherlock Holmes et retour répète à satiété son rôle de dandy cool, déjanté et plein d’humour.
L’humour, justement, autre point
positif à l’actif de Whedon qui sait écrire un dialogue et le pimenter de
répliques qu’un Billy Wilder n’aurait pas reniées (ainsi ce rapide
échange : « -- N’oubliez pas que c’est mon frère. – mais il a tué quatre-vingts personnes en
deux jours. – Il a été adopté. »
Mais, c’est la loi du genre me direz-vous, le brillant de l’écriture disparaît
trop souvent sous une inflation d’effets pyrotechniques peut-être dommageables
mais mathématiquement logiques : six super-héros au lieu d’un, ce n’est
pas six fois plus d’action, mais pas loin.
Saluons également la belle
trouvaille, lors de l’attaque finale des extra-terrestres, de ces gigantesques
créatures de ferraille, sortes de leviathans évoluant en plein ciel, qui
renvoie à l’Apocalypse et pas indignes, sur le plan esthétique, de
l’imagination d’un H.R. Giger -- et d’ailleurs, puisque le nom de Giger me
vient sous la plume, les extra-terrestres eux-mêmes ressemblent fort à ces aliens d’excellente mémoire dont Ridley
Scott nous annonce pour très bientôt une prequel
(Prometheus, sortie prévue pour la
fin de ce mois).
Difficile enfin, et surtout, devant
ces super-héros réunis dans une même aventure, de ne pas songer à l’excellente
bande dessinée de Alan Moore et Dave Gibbons, Les Gardiens (Watchmen[2]),
où une brochette de super-héros se trouvait également convoquée mais dans une
perspective autrement plus subversive, profonde et, pour tout dire, adulte, que
celle proposée ici par Marvel Films. Comme chez Frank Miller donnant dans les
années 80 une coloration volontairement très sombre aux aventures de Batman en
bandes dessinées, on osait y remettre en question l’image conventionnelle des
super-héros précipités cette fois dans un monde où les frontières entre le bien
et le mal apparaissaient singulièrement brouillées.
Il ne s’agit pas de reprocher ici à
Whedon d’avoir préféré je ne sais quel académisme à une voie plus
novatrice ; tels n’étaient assurément pas les termes de son contrat. Mais
cette autre voie existe, Christopher Nolan l’a montré voici peu avec The Dark Night (2008), riche et féconde,
et, me semble-t-il, infiniment plus stimulante. On peut la préférer à celle choisie
ici.
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