12 mai 2012

Tim Burton tel qu'en lui-même.


Dark Shadows, de Tim Burton (2011).

Exposition Tim Burton, à la Cinémathèque française jusqu’au 5 août.

            Impossible de refuser à Tim Burton le titre envié de véritable auteur. Peut-on même trouver ailleurs que chez lui (La planète des Singes/Planet of the Apes, 2001, mis à part) davantage de continuité d’un film à l’autre, de fidélité à un très riche imaginaire né dans l’enfance et la jeunesse et qu’il ne cesse de développer depuis lors, de permanence dans les thèmes abordés, d’attachement à des personnages qui tous, aimables ou détestables, présentent une différence qui les rend déplacés dans leur époque, de cohérence enfin dans les choix esthétiques qui mettent en œuvre cet univers composé d’une trame serrée d’influences et cependant d’une originalité à nulle autre pareille. Tout cela fait assurément de Tim Burton, qu’on l’apprécie ou non, l’un des cinéastes américains les plus considérables de ces vingt-cinq dernières années. Il suffit d’ailleurs de voir aujourd’hui son dernier opus, Dark Shadows, et l’exposition-hommage que la Cinémathèque française lui consacre (avec rétrospective et carte blanche) pour s’en convaincre.


            Non que Dark Shadows soit le plus réussi de ses films, le plus abouti, le plus riche ou le plus enthousiasmant. Mais il participe à l’évidence d’une même démarche et procure un plaisir certain, non sans que l’on ne puisse soulever au passage quelques réserves. La présence récurrente de la maison sur la colline aidant, il y a dans le personnage de Barnabas Collins (Johnny Depp), vampire du XVIIIème siècle qui revient à la vie en 1972, entre guerre du Vietnam et flower power, une évidente parenté avec le couple fantomatique de Beetlejuice (1988) ou la jeune créature inadaptée de Edward aux mains d’argent (Edward Scissorhands, 1990)  --  deux de ses meilleurs films. L’image que propose Burton de l’Amérique moderne est la même, à la fois hyperréaliste et totalement artificielle, celle du Burbank de ses jeunes années  --  portrait épouvantable à ses yeux d’une Amérique figée et aseptisée où « tout le monde était blanc et se conformait à la norme »[1] qu’il a fini par fuir avec horreur (il vit et tourne désormais en Grande-Bretagne). S’y ajoute cette fois, comme dans Sleepy Hollow (Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête, 1999), le contexte géographique d’une Nouvelle-Angleterre très littéraire où se croisent revenants et monstres en tous genres, des fantômes imaginés par Henry James ou Washington Irving aux sorcières de Salem et aux créatures diaboliques enfantées par quelque force maléfique dans les profondeurs de Providence, la ville natale de Lovecraft. Ne manque ici ni la malédiction ancestrale, passage obligé de toute épouvante gothique, ni le cortège des apparitions spectrales et du bestiaire fantastique qui répand prodiges et méfaits, ni la référence à Frankenstein avec ces groupes de citoyens décidés à extirper de leur petite communauté ce qu’ils estiment être l’incarnation du mal, et, après une arrivée au château en écho ironique au Nosferatu de Murnau (ce ne sont pas les fantômes qui viennent à la rencontre de Vicky, mais un ivrogne mal embouché), c’est par un grand incendie purificateur, façon Chute de la Maison Usher version Corman, que le film s’achève. Comme toujours enfin, Burton s’amuse du décalage entre l’innocence d’un fantastique pur jus qui est à l’origine de son inspiration (et que les choix de sa carte blanche à la Cinémathèque ont détaillé avec délectation) et la distance d’un humour très contemporain dont il sait admirablement épicer son propos.

            Fidèle à un univers dont l’exposition rend parfaitement compte avec méthode et richesse (même si l’on peut regretter que pour les films proprement dit le matériau présenté ici soit un peu maigrelet), Burton est aussi fidèle à une bande qui le suit depuis des années, pour certains même depuis ses débuts, et dont l’importance dans son processus de création  ne saurait être minorée  --  le musicien Danny Elfman, le décorateur Rick Heinrichs, la costumière Colleen Atwood, le monteur Chris Lebenzon. Sans parler, côté comédiens, de Helena Bonham Carter, qui le suit dans la vie comme à l’écran (sept films en commun), et surtout, mais cela va sans dire, de sa complicité avec un Johnny Depp devenu en quelque sorte son double de l’autre côté du miroir de la caméra. On retrouve aussi, dans un petit rôle et pour la cinquième fois à ses côtés, le vénérable (90 ans bientôt, mais il est vrai que Dracula est immortel !) Christopher Lee dont on peut penser, une fois Vincent Price disparu en 1993, que c’est à lui qu’incombe désormais la tâche de jeter un pont entre cinéma d’hier (les films de la Hammer des années 50 et 60) et cinéma d’aujourd’hui, entre ces séries B fantastiques et de science-fiction qui « ont façonné (sa) personnalité et ne (l’)ont jamais quitté » et son œuvre personnelle avec ses cauchemars gothiques et son catalogue de créatures improbables  --  vampires, morts-vivants, monstres, savants fous ou lièvres de mars.

            Burtonien en diable, mené par une brillante brochette d’acteurs qui s’en donnent à cœur joie dans l’horreur parodique et l’humour déjanté, Dark Shadows séduit son monde mais peine parfois à convaincre tout à fait et connaît même ici et là de brusques chutes de tension et, partant, d’attention. La faute sans doute à un scénario qui part un peu dans tous les sens, lance des pistes qu’il abandonne aussitôt (le combat entre la sorcière et le vampire comme métaphore d’une lutte économique où tous les coups sont permis) et se nourrit davantage d’une succession de moments forts (il y en a heureusement beaucoup) plutôt qu’il ne déroule une progression dramatique rigoureuse ; la faute peut-être aussi à des personnages trop souvent réduits à une enveloppe pittoresque et qui manquent singulièrement d’épaisseur  --  défaut auquel le cinéaste, plus visuel et instinctif que cérébral et réfléchi, n’échappe pas toujours, la richesse de son imagination compensant souvent l’absence de profondeur.

            On voit bien ici ce qui menace Tim Burton : plus que la répétition (il est un virtuose des variations originales sur des thèmes rebattus), il lui faut craindre la caricature. Que quelque monstre facétieux décide un jour de se prendre pour Tim Burton faisant du Tim Burton par exemple. Mais, rassurons-nous, ce jour n’est pas encore tout à fait arrivé.



[1] Tous les propos de Tim Burton sont extraits d’un entretien publié dans Télérama du 29 février 2012.

2 commentaires:

  1. "Très riche imaginaire", "virtuose des variations originales" ? Je ne souscris guère à votre éloge. Ce cinéaste me semble jouir d’une réputation très largement surévaluée, et se complaire (comme sans doute beaucoup d’autres que vous qualifieriez également d’«auteurs») dans une écriture intelligemment calibrée pour plaire à certains critiques ou connaisseurs. En fait de continuité, je ne vois guère ici que la montée en épingle de quelques thématiques (ou plus exactement, de quelques idées visuelles) au fond assez peu originales ; le tout au service, finalement, d’un discours très consensuel et d’une certaine platitude intellectuelle (où l’on retrouve à peu près tous les poncifs du moralisme W.A.S.P.).

    Sans doute son véritable talent est-il (comme pour Danny Elfman, brillant entrepreneur plutôt que musicien) de savoir s’entourer de gens extrêmement compétents, et de conserver l’appui des grands studios industriels. Mais j’attache peu de crédit à la persona d’«auteur» qu’il arbore (pour la plus grande joie de son cœur de cible, Télérama & consorts), pas davantage qu’à la célébration unanime et auto-congratulante à la sortie de chacun de ses films, lesquels sont d’ailleurs autant d’occasions pour Hollywood de s’acheter glorieusement une "originalité créative", une "politiquement incorrect" faussement subversif et un "cinéma d’auteur" à bon compte.

    Vous m’objecterez peut-être, à raison, que l’essentiel est dans les films eux-même, non dans le décorum ou le ballet subséquent des médias et critiques. Et de fait, il est de nombreux films de Tim Burton que j’ai apprécié sans regrets : du "Nightmare Before Christmas" au (pourtant décrié) "Chocolate Factory". Mais passé le charme, d’autres films montrent, hélas, les limites de son discours (et de ce que vous nommez son imaginaire) : vous évoquez à raison cette calamité qu’est "Planet Of The Apes", on pourrait y ajouter, rien que dans la dernière décennie, "Alice In Wonderland", "Corpse Bride" ou le très surestimé "Big Fish", qui montrent combien l’écriture cinématographique de Burton (malgré l’accumulation de ficelles, au demeurant de plus en plus galvaudées) ne suffit pas à compenser les lacunes scénaristiques ("Sweeney Todd" étant en quelque sorte la démonstration inverse). Et que, pour vous paraphraser, "la richesse de l’imagination" (ou, dirais-je plutôt, la poignée d’idées qui en tient lieu et constitue également son argument de marketing) ne "compense" pas toujours "l’absence de profondeur".

    Est-ce le cas dans son dernier film ? J’avoue le craindre à la lecture votre article. (D’autant que, si je vous lis bien, vous n’avez pas été entièrement convaincu vous-même.)

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    1. Merci pour votre commentaire et votre fidélité.
      Burton véritable auteur ou habile fabricant? On peut légitimement poser la question (pour d'autres cinéastes aussi, comme vous le dites). Si vous allez voir l'exposition qui lui est consacrée (intéressante mais pas entièrement satisfaisante), vous constaterez tout de même la permanence de son univers, voire une vraie et très cohérente vision du monde (ou d'un monde). Un auteur peut aussi produire des oeuvres meilleures ou moins bonnes que d'autres, voire médiocres. "Dark Shadows" se situe dans la moyenne. Le danger, je l'ai dit et vous l'évoquez à juste titre entre les lignes, c'est que Burton fasse un jour du Burton et rien d'autre. Je propose d'attendre encore un peu pour voir.

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