Barbara,
de Christian Petzold (2011).
Il y a pour le cinéma allemand
différentes façons d’évoquer les années où le pays était coupé en deux :
la façon satirique, drôle mais acide de Good
Bye, Lenin ! (Wolfgang Becker, 2003) ; celle, plus classique,
plus ample aussi, d’un suspense à coloration autant policière que politique,
proposée par La Vie des autres (Das Leben den Anderen, Florian Henckel
von Donnersmarck, 2007) ; une troisième enfin que l’on aborde avec Barbara, dédramatisée et pourtant très
tendue, reconstitution discrète et pourtant toujours exacte. Ainsi l’intrigue
apparaît-elle à première vue d’une simplicité extrême, comme dénuée de tout
relief dramatique.
Dans la R.D.A. de 1980, une jeune doctoresse
berlinoise, Barbara Wolff (Nina Hoss), est mutée, sans doute pour raison
disciplinaire (entendez : pour refus des règles en vigueur dans le paradis
communiste), dans l’hôpital d’une petite ville de province, au nord du pays,
non loin de la mer Baltique. Bien qu’étroitement surveillée par les agents
locaux de la Stasi, elle prépare son passage à l’Ouest pour y rejoindre son
amant et mener, pense-t-elle, une vie plus heureuse. Mais, d’un événement à
l’autre, des sentiments qu’elle ressent pour un de ses collègues à son
attachement pour une jeune fille incarcérée dans un camp de travail, elle
finira par choisir une autre voie que je ne révélerai pas ici pour conserver un
minimum de suspense à un film dont, convenons-en, ce n’est pas le souci majeur.
Reste cependant que le récit ne se
développe pas pour autant de façon plate, bien au contraire. Adoptant un regard
volontiers neutre, celui de l’observateur attentif mais détaché, Petzold
parvient scène après scène à créer un état de tension qui va crescendo. On suit
ainsi Barbara dans son travail ou déambulant sur son vélo dans la campagne, se
livrant à de mystérieuses activités dont on devine très vite le caractère
« subversif » mais sans en comprendre pour autant la finalité. La
surveillance constante dont elle est l’objet et les humiliations régulières que
lui fait subir la police (saccage de son appartement, fouille à corps)
épaississent encore une atmosphère lourde de menace diffuse où le bruit d’une
tasse de café qui échappe des mains et se brise au sol résonne comme un
insupportable fracas aux conséquences possiblement apocalyptiques --
dans un régime policier où règne l’absurdité et l’arbitraire, tout est
possible, souvent le pire. Le cinéaste, par son choix d’écriture blanche et son
refus de toute forme de violence apparente (à l’exception des deux très courts
moments où la police amène et remmène la jeune fille « délinquante »
à l’hôpital), parvient à rendre cette angoisse quotidienne que toute société
totalitaire impose dans ce que l’on pourrait appeler un silence assourdissant.
C’est avec la même économie de
moyens que Petzold reconstitue le paysage quotidien de la R.D.A. : maisons
délabrées, voitures poussives, appartements tristes au mobilier vétuste,
décoration vieillotte. Là encore, rien d’appuyé ni de souligné, juste une
impression de lieux impersonnels traversés par des personnages silencieux. On
ressent à chaque plan et pour ainsi dire physiquement l’oppressante chape de
plomb d’un état policier où chacun pouvant être un informateur potentiel (ou
pire : un délateur), nul ne saurait se confier à quiconque. Murée dans son
silence, vivant dans la coquille vide du sinistre appartement qui lui a été
attribué, Barbara paraît ainsi morte aux autres, cliniquement froide dans ses
activités professionnelles, organisant à la façon d’un somnambule les
préparatifs de sa fuite.
Mais dans ce monde de grisaille aux
couleurs comme fanées à jamais et où tout apparaît en noir et blanc, sans
nuances, se glissent des doutes qui rendent un son discordant et poussent
Barbara vers des attirances contradictoires. L’attachement que lui manifeste un
de ses collègues, l’amour quasiment animal que lui porte la jeune fille et
jusqu’à la faille qui apparaît chez l’officier de la Stasi dont l’épouse se
meurt d’un cancer, un salaud, comme elle le dit, mais un salaud qu’on peut
estimer pitoyable, victime lui aussi du système comme l’était celui de La Vie des autres --
autant de remises en cause possibles qui vont amener Barbara a une sorte
de sacrifice ordinaire donnant du sens à sa vie au sein d’un monde kafkaïen qui
en est singulièrement dépourvu.
Si « la vie est ailleurs »
comme le disait Kundera, Petzold, avec son récit tout en demi-teinte, ses choix
d’une mise en scène très austère, presque protestante, qui n’incite guère à la
fantaisie mais maintient de bout en bout une émotion palpable, le jeu de ses
acteurs très retenu et enfin son refus de tout spectaculaire (ou, ce qui serait
plus grave, de toute « ostalgie ») dans sa reconstitution d’un monde
heureusement disparu -- Petzold pose la question tout en laissant la
réponse en suspend : la vie n’est-elle pas aussi, parfois, ici ?
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