Rééditions de Troublez-moi ce soir (Don’t Bother to Knock), de Roy Baker
(1952) et de Arrêt d’autobus (Bus Stop), de Joshua Logan (1956).
Sans doute est-ce à la sortie
récente de My Week with Marilyn, de
Simon Curtis, que l’on doit aujourd’hui la réédition de deux films interprétés
par Marilyn Monroe dont l’actualité se trouve ainsi singulièrement relancée
(avec notamment l’annonce d’un hors-série de Télérama). Troublez-moi ce
soir, réalisé en 1952, marque les débuts de l’actrice dans un vrai premier
rôle (elle partage la vedette avec Richard Widmark) tandis que Arrêt d’autobus se situe en 1956 à peu
près au mitan de sa carrière, entre Sept
ans de réflexion (Seven Years Itch,
Billy Wilder, 1955) et juste avant Le
Prince et la danseuse (The Prince and
the Showgirl, Laurence Olivier, 1957) dont My Week with Marilyn évoque le tournage.
Troublez-moi
ce soir a été réalisé aux Etats-Unis par l’Anglais Roy Baker (plus connu
sous son nom complet de Roy Ward Baker) après que Darryl Zanuck lui eut offert
un contrat à la Fox où il tourna quatre films entre 1951 et 1953. Mais c’est
avec Le Cavalier Noir (The Singer not the song, 1960), curieux
film sulfureux, sorte de vrai-faux western mexicain (sic) où Mylène Demongeot
et Dirk Bogarde rivalisent d’amour pour un curé interprété par John Mills[1]
qu’il acquit une certaine notoriété. Il réalisa en 1967 un excellent film de
science-fiction (Quatermass and the
Pit/Les Monstres de l’espace) ce qui l’amena ensuite, parfois avec bonheur
(Doctor Jekyll and Sister Hyde, 1971,
ou Asylum, 1972, par exemple), à se
spécialiser dans le genre fantastique.
Ne bénéficiant visiblement que d’un
budget modeste avec une action à la fois limitée dans l’espace (un grand hôtel
new-yorkais) et dans le temps (la soirée qu’évoque le titre français), Troublez-moi ce soir ne relève nullement
de la série noire américaine classique où l’action prime sur la réflexion, mais
au contraire de ce que l’on pourrait appeler le « thriller
psychologique » -- genre favori de la romancière Charlotte
Armstrong, ici adaptée[2].
On y voit une jeune femme, Nell (Marilyn Monroe), recrutée le temps d’une
soirée comme baby-sitter, révéler progressivement une névrose qui pourrait
rapidement devenir meurtrière. Tout l’intérêt du film tient dans la montée
progressive de la folie d’un personnage de plus en plus décalé que Marilyn
Monroe traduit d’ailleurs assez bien en jouant sur l’ambivalence de son
comportement de garce ingénue. Avec habileté, le cinéaste amène le spectateur à
adopter le point de vue de son voisin de chambre (Richard Widmark) qui commence
à flirter avec elle avant de prendre progressivement conscience du danger de la
situation ; et Baker redouble l’efficacité du suspense en donnant le
fameux tour d’écrou jamesien avec le personnage de la petite fille menacée.
Bien que l’on se doute (eu égard aux conventions de l’époque) que l’irréparable
sera finalement évité, l’ensemble fonctionne plutôt bien en dépit d’une
relative platitude visuelle.
On comprend mal en revanche ce qui
peut justifier aujourd’hui une réédition de Arrêt
d’autobus, sinon un semblant de réputation que seul peut expliquer la
présence de Marilyn Monroe au générique. Réputation incroyablement surfaite.
Que pouvait-on d’ailleurs attendre de
Joshua Logan, très actif à Broadway comme metteur en scène de comédies
musicales mais cinéaste particulièrement calamiteux. Il n’y a quasiment rien à
sauver d’une filmographie assez courte (à peine une dizaine de titres), sinon
peut-être Picnic (1955), vu il y a
bien longtemps et qu’il faudrait revoir pour en juger sereinement. Mais pour le
reste, d’une terrifiante Fanny
(adaptation de Pagnol avec Leslie Caron, Horst Buccholz, Maurice Chevalier et
Charles Boyer, on croit rêver) à la désastreuse Kermesse de l’Ouest (Paint
your Wagon, improbable comédie musicale avec Jean Seberg et Clint Eastwood
et où Lee Marvin poussait la chansonnette d’une voix d’outre-tombe) en passant
par Camelot, énorme machinerie
arthurienne revue et corrigée par Broadway, c’est à peu près le néant complet.
Et ce n’est certes pas cet Arrêt
d’autobus qui relèvera le niveau de l’ensemble avec son histoire de cow-boy
du Montana profond (Don Murray) venant participer à un rodéo à Phoenix
(Arizona) où il s’amourache d’une chanteuse de cabaret un peu
marie-couche-toi-là (Marilyn Monroe). On a l’impression, tout au long de cet
affligeant spectacle, que Logan a voulu en rajouter toujours plus dans la
laideur et la vulgarité, l’humour bien lourd et le j’m’en-foutisme intégral de
la direction d’acteurs (mais peut-on oser parler ici de direction
d’acteurs ?). Reste qu’il faut dire quelques mots de la prestation de
Marilyn Monroe, unique raison d’être du film. Enlaidie par un maquillage et des
éclairages qui lui donnent une apparence cadavérique (à côté d’elle, dans un
rôle secondaire, la jeune Hope Lange apparaît comme un miracle de beauté, de
charme et de séduction[3]),
plus que mal dirigée, elle ne cesse de minauder grossièrement et confirme
finalement les limites de son jeu quand elle n’est pas tenue d’une main de fer
par des metteurs en scène dignes de ce nom.
On peut donc à bon droit
s’interroger. Marilyn Monroe, star mythique, avec tout ce que cela signifie d’émerveillement
et d’aveuglement critique, assurément. Mais grande comédienne, c’est une autre
histoire qu’il faudra peut-être se décider à écrire un jour. Quelques lignes
devraient alors suffire.
[1]
Rôle initialement prévu pour Charlton Heston
qui renonça, effrayé par la coloration nettement homosexuelle de
l’intrigue.
[2]
Que Claude Chabrol appréciait tout particulièrement et dont il s’est inspiré
deux fois, pour La Rupture (1970) et Merci pour le chocolat (2000).
[3] On a pu
la revoir récemment dans Milliardaire
pour un jour. Anecdote piquante : à l’issue du tournage du film, c’est
elle qui épousa Don Murray… dans la vraie vie.
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