19 mai 2012

Limites d'un mythe.


Rééditions de Troublez-moi ce soir (Don’t Bother to Knock), de Roy Baker (1952) et de Arrêt d’autobus (Bus Stop), de Joshua Logan (1956).

            Sans doute est-ce à la sortie récente de My Week with Marilyn, de Simon Curtis, que l’on doit aujourd’hui la réédition de deux films interprétés par Marilyn Monroe dont l’actualité se trouve ainsi singulièrement relancée (avec notamment l’annonce d’un hors-série de Télérama). Troublez-moi ce soir, réalisé en 1952, marque les débuts de l’actrice dans un vrai premier rôle (elle partage la vedette avec Richard Widmark) tandis que Arrêt d’autobus se situe en 1956 à peu près au mitan de sa carrière, entre Sept ans de réflexion (Seven Years Itch, Billy Wilder, 1955) et juste avant Le Prince et la danseuse (The Prince and the Showgirl, Laurence Olivier, 1957) dont My Week with Marilyn évoque le tournage.


            Troublez-moi ce soir a été réalisé aux Etats-Unis par l’Anglais Roy Baker (plus connu sous son nom complet de Roy Ward Baker) après que Darryl Zanuck lui eut offert un contrat à la Fox où il tourna quatre films entre 1951 et 1953. Mais c’est avec Le Cavalier Noir (The Singer not the song, 1960), curieux film sulfureux, sorte de vrai-faux western mexicain (sic) où Mylène Demongeot et Dirk Bogarde rivalisent d’amour pour un curé interprété par John Mills[1] qu’il acquit une certaine notoriété. Il réalisa en 1967 un excellent film de science-fiction (Quatermass and the Pit/Les Monstres de l’espace) ce qui l’amena ensuite, parfois avec bonheur (Doctor Jekyll and Sister Hyde, 1971, ou Asylum, 1972, par exemple), à se spécialiser dans le genre fantastique.

            Ne bénéficiant visiblement que d’un budget modeste avec une action à la fois limitée dans l’espace (un grand hôtel new-yorkais) et dans le temps (la soirée qu’évoque le titre français), Troublez-moi ce soir ne relève nullement de la série noire américaine classique où l’action prime sur la réflexion, mais au contraire de ce que l’on pourrait appeler le « thriller psychologique »  --  genre favori de la romancière Charlotte Armstrong, ici adaptée[2]. On y voit une jeune femme, Nell (Marilyn Monroe), recrutée le temps d’une soirée comme baby-sitter, révéler progressivement une névrose qui pourrait rapidement devenir meurtrière. Tout l’intérêt du film tient dans la montée progressive de la folie d’un personnage de plus en plus décalé que Marilyn Monroe traduit d’ailleurs assez bien en jouant sur l’ambivalence de son comportement de garce ingénue. Avec habileté, le cinéaste amène le spectateur à adopter le point de vue de son voisin de chambre (Richard Widmark) qui commence à flirter avec elle avant de prendre progressivement conscience du danger de la situation ; et Baker redouble l’efficacité du suspense en donnant le fameux tour d’écrou jamesien avec le personnage de la petite fille menacée. Bien que l’on se doute (eu égard aux conventions de l’époque) que l’irréparable sera finalement évité, l’ensemble fonctionne plutôt bien en dépit d’une relative platitude visuelle.

            On comprend mal en revanche ce qui peut justifier aujourd’hui une réédition de Arrêt d’autobus, sinon un semblant de réputation que seul peut expliquer la présence de Marilyn Monroe au générique. Réputation incroyablement surfaite. Que pouvait-on d’ailleurs  attendre de Joshua Logan, très actif à Broadway comme metteur en scène de comédies musicales mais cinéaste particulièrement calamiteux. Il n’y a quasiment rien à sauver d’une filmographie assez courte (à peine une dizaine de titres), sinon peut-être Picnic (1955), vu il y a bien longtemps et qu’il faudrait revoir pour en juger sereinement. Mais pour le reste, d’une terrifiante Fanny (adaptation de Pagnol avec Leslie Caron, Horst Buccholz, Maurice Chevalier et Charles Boyer, on croit rêver) à la désastreuse Kermesse de l’Ouest (Paint your Wagon, improbable comédie musicale avec Jean Seberg et Clint Eastwood et où Lee Marvin poussait la chansonnette d’une voix d’outre-tombe) en passant par Camelot, énorme machinerie arthurienne revue et corrigée par Broadway, c’est à peu près le néant complet. Et ce n’est certes pas cet Arrêt d’autobus qui relèvera le niveau de l’ensemble avec son histoire de cow-boy du Montana profond (Don Murray) venant participer à un rodéo à Phoenix (Arizona) où il s’amourache d’une chanteuse de cabaret un peu marie-couche-toi-là (Marilyn Monroe). On a l’impression, tout au long de cet affligeant spectacle, que Logan a voulu en rajouter toujours plus dans la laideur et la vulgarité, l’humour bien lourd et le j’m’en-foutisme intégral de la direction d’acteurs (mais peut-on oser parler ici de direction d’acteurs ?). Reste qu’il faut dire quelques mots de la prestation de Marilyn Monroe, unique raison d’être du film. Enlaidie par un maquillage et des éclairages qui lui donnent une apparence cadavérique (à côté d’elle, dans un rôle secondaire, la jeune Hope Lange apparaît comme un miracle de beauté, de charme et de séduction[3]), plus que mal dirigée, elle ne cesse de minauder grossièrement et confirme finalement les limites de son jeu quand elle n’est pas tenue d’une main de fer par des metteurs en scène dignes de ce nom.

            On peut donc à bon droit s’interroger. Marilyn Monroe, star mythique, avec tout ce que cela signifie d’émerveillement et d’aveuglement critique, assurément. Mais grande comédienne, c’est une autre histoire qu’il faudra peut-être se décider à écrire un jour. Quelques lignes devraient alors suffire.



[1] Rôle initialement prévu pour Charlton Heston  qui renonça, effrayé par la coloration nettement homosexuelle de l’intrigue.
[2] Que Claude Chabrol appréciait tout particulièrement et dont il s’est inspiré deux fois, pour La Rupture (1970) et Merci pour le chocolat (2000).
[3] On a pu la revoir récemment dans Milliardaire pour un jour. Anecdote piquante : à l’issue du tournage du film, c’est elle qui épousa Don Murray… dans la vraie vie.

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