Réédition de Dans la chaleur de la nuit (In the Heat of the Night), de Norman
Jewison (1967).
Sorti aux Etats-Unis en 1967, où il
connut un immense succès public et critique et rafla plusieurs Oscars (dont meilleur
film, meilleur scénario et meilleur acteur pour Rod Steiger), Dans la chaleur de la nuit, dont on nous
propose aujourd’hui une réédition, n’a jamais bénéficié d’une grande
considération chez les connaisseurs français du cinéma américain. Il faut dire
à leur décharge que la carrière de Norman Jewison (né en 1926), venu de la
télévision canadienne mais qui a ensuite essentiellement travaillé à Hollywood,
a sans doute connu plus de bas que de hauts, que ni la subtilité ni la légèreté
ne font partie de ses qualités majeures et qu’enfin sa production a tourné
court après 1979[1]
et Justice pour tous (… And Justice for All, avec Al Pacino),
s’achevant définitivement semble-t-il en 2003 avec Crime contre l’humanité (The
Statement), incroyable coproduction anglo-franco-canadienne consacrée à
Paul Touvier, rôle que Michael Caine jouait dans un ahurissant registre
grand-guignolesque. Revu aujourd’hui et avec le recul, Dans la chaleur de la nuit apparaît comme un de ses films les plus
intéressants, avec Le Kid de Cincinnati
(The Cincinnati Kid, 1966, qui
bénéficiait du face à face entre le jeune Steve McQuenn et le vieux Edward G.
Robinson), F.I.S.T. (1978) et Justice pour tous -- ce qui fait peu, j’en conviens. Mais dans
tous ces cas, avec des sujets solides et bien charpentés, un peu lourds
parfois, il révèle un savoir-faire d’habile artisan, assez roublard sur les
bords.
C’est d’ailleurs cette roublardise,
une sorte de faux courage face à un sujet qui se voulait « engagé »
sinon militant, qui lui a valu l’ire de nombre de spécialistes du cinéma
américains, et parmi les meilleurs. « C’est un de ces films où
l’originalité même est stéréotypée, l’audace prudente, le réalisme invraisemblable,
où tout sonne faux et fabriqué », concluaient Tavernier et Coursodon en
1970 --
conclusion qu’ils n’ont pas modifiée vingt ans plus tard[2].
Sans doute le film n’est-il pas un
brûlot véhément ce qui, dans le contexte de la fin des années 60, pouvait passer
pour un défaut rédhibitoire. C’était le temps du Black Panther Party et des
luttes radicales, et Sidney Poitier passait alors pour un « oncle
Tom », le bon noir soumis à une Amérique blanche dominatrice et
paternaliste. Ainsi, vedette reconnue (Oscar d’interprétation en 1964 pour Le Lys des champs/Lillies of the Field,
Ralph Nelson), incarnait-il dans ces années-là l’émancipation des Noirs dans un
contexte réformiste plutôt que révolutionnaire. L’histoire, avec aujourd’hui le
président que l’on sait à la Maison Blanche, ne lui a pas forcément donné tort.
Il n’empêche que c’est à partir de
ce parti-pris que se sont développés les reproches de roublardise et de faux
courage. Jewison, il est vrai, choisit plutôt le confort et la sécurité, et sa
démonstration apparaît encore aujourd’hui très lisse et sans doute bien trop
parfaite -- pour ne pas dire confortable. Que dire en
effet de ce plus qu’irréprochable Virgil Tibbs, policier de Philadelphie
suspecté de meurtre dans une petite ville du Mississipi où il se trouve par
hasard entre deux trains et qui, rapidement innocenté, devra collaborer malgré
lui avec la police locale et finira par résoudre l’affaire ? Criminologiste
de haut niveau, courtois et bien élevé, élégant et financièrement à son aise,
ne semble-t-il pas bien plus civilisé que tous les sudistes rustauds et
volontiers lyncheurs qui le méprisent et ne rêvent que de lui faire la
peau ? Il eut été plus fort et plus courageux, comme le fit cette même
année 1967 William Styron avec son roman (jamais adapté au cinéma) Les Confessions de Nat Turner[3],
de choisir des personnages moins exemplaires, qu’ils soient blancs ou noirs.
Car le personnage du shérif blanc,
qui partage tous les préjugés de sa communauté, évolue lui aussi de façon
positive, jusqu’à partager une forme d’amitié avec son collègue noir. Mais pour
convenue qu’elle apparaisse, cette transformation trouve ses racines au plus
profond de la mythologie américaine où deux individus que tout sépare (un Blanc
et un Indien à l’origine) deviennent de « bons compagnons dans les terres
vierges et sauvages »[4]
et finissent par s’unir pour agir ensemble. Ajoutons que dans le Sud profond de
1967, montrer un Noir, fut-il policier, gifler un notable blanc, ne devait pas
manquer d’une certaine portée subversive.
Aujourd’hui, tel quel et dans ses
limites, filmé avec sobriété et bien interprété (le jeu très actors studio de Rod Steiger a certes
quelque peu vieilli, mais on a plaisir à revoir Warren Oates, un des grands
acteurs de second plan de cette époque), le film sait garder son cap et ne
paraît mériter ni excès d’honneur ni indignité. Une bonne série noire, en
somme, rien de plus mais rien de moins.
[1] Mais on
dit du bien de Eclair de lune/Moonstruck,
comédie que je n’ai pas vue (1987).
[2] Voir 50 ans de cinéma américain, Nathan,
1991, p.542.
[3] Traduit
par Maurice-Edgar Coindreau, Gallimard, 1969.
[4] Voir encore ici l’essai de Leslie Fiedler, Le
Retour du Peau-Rouge, Seuil, 1971. Ouvrage essentiel pour qui s'intéresse aux mythes fondateurs américains.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire