Miss Bala, de Gerardo Naranjo (2011).
Vouloir prendre pour sujet la guerre meurtrière que se
livrent cartels de la drogue et autorités mexicaines à Tijuana, ville en état
de guerre permanente, c’est une excellente idée, de salubrité publique
pourrait-on même dire. Faire du destin individuel d’une aspirante reine de
beauté entraînée malgré elle dans la spirale du mal et de la violence une
métaphore du Mexique otage d’un combat douteux entre policiers et malfrats,
pourquoi pas. Choisir de filmer le tout en longs plans-séquences au plus près
des personnages d’un point de vue purement «behaviouriste» et donc sans jamais
fournir la moindre explication, c’est un pari risqué mais après tout
respectable. Reste que pour faire tenir ensemble des ambitions aussi
contradictoires, pour que la mayonnaise finisse par prendre en réunissant tant
d’éléments disparates, pour que le public enfin y trouve son compte tant en
termes de pur spectacle que de réflexion politique, il fallait tout à la fois
force et rigueur, savoir-faire et humilité, des qualités que l’on ne trouve
guère ici, sinon à l’état d’éclairs fugitifs (le temps d’une fusillade sauvage
en pleine rue par exemple), disparus aussitôt qu’entrevus. Bref, pour dire les
choses en raccourci, Gerardo Naranjo n’est pas Francesco Rosi, pas même le
parfois clinquant Steven Soderbergh (celui de Traffic, 2000, qui traite du même sujet mais en infiniment mieux).
Il y a en effet dans ce film une
sorte de grand vide absolu -- celui qui sépare la théorie de la pratique,
le discours de la réalité, les intentions affichées de la réalisation concrète.
Aussi la métaphore hautement revendiquée n’est-elle guère séparée de la
démonstration appliquée que par un pas, que le cinéaste, co-auteur du scénario,
franchit allègrement. Rien ne sera donc épargné à cette pauvre Laura (Stephanie
Sigman, d’ailleurs très bien), jeune femme modeste fascinée par le strass et
les paillettes de l’argent facile et qui, complice forcée d’une bande de narcotrafiquants, devient le
témoin privilégié d’une réalité apocalyptique que le cinéaste entend dénoncer.
Mais cette accumulation d’événements destinés sans doute à informer le
spectateur d’une situation qu’il ignore ou ne connaît que très
superficiellement ne parvient jamais à se dégager d’une forme d’arbitraire qui
en fait davantage ressortir la superficialité.
Il faut dire que les partis-pris
narratifs et esthétiques de Naranjo, loin d’arranger les choses, semblent
vouloir les aggraver à plaisir. Adoptant le seul point de vue de Laura, le
scénario demeure volontairement allusif et fragmentaire, voire carrément
obscur, sans jamais s’intéresser à des personnages dont on n’a finalement que
faire (un comble tout de même !) ni approfondir une intrigue qui reste
désespérément floue alors même qu’elle
aurait mérité de plus amples développements. Que les choses soient
claires : je n’en appelle nullement à je ne sais quel didactisme synonyme
de lourdeur pédagogique. Mais on peut être intelligible sans être pour autant
démonstratif, et je ne sache pas que Rosi fut jamais didactique dans ses films[1],
même ceux en forme d’enquêtes, quand Naranjo, lui, sous ses dehors détachés (ou
distanciés?), l’est indubitablement tout en demeurant à la surface des choses,
sans jamais chercher à dépasser les seules apparences.
Mais peut-être faut-il voir là une
forme de cohérence avec des choix esthétiques qui eux aussi privilégient les seules
apparences. Cinéaste plutôt habile sinon virtuose, Naranjo sacrifie finalement
son récit à un maniérisme formel qui, pour être séduisant pendant le premier quart d’heure, tourne rapidement court en ne
se nourrissant bientôt plus que de sa propre inutilité narcissique. On ne
connaît que trop ce type de cinéastes, grands spécialistes de l’esbroufe
visuelle, qui répètent à l’envi : «Voyez comme je filme bien !» avant
de finir par se dégonfler comme des baudruches après avoir fait illusion
pendant plus ou moins longtemps. Je crains bien que ce film qu’on nous donne à
voir aujourd’hui n’apparaisse demain que pour ce qu’il est : un jeu formel
aussi vain que prétentieux.
[1]
Dont je me permets de rappeler quelques titres particulièrement
mémorables : Salvatore Giuliano
(1961), Main basse sur la ville (Les Mani sulla citta, 1963), L’Affaire Mattei (Il Caso Mattei, 1972) ou encore l’excellentissime Cadavres exquis (Cadaveri Ecellenti, 1975).
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