21 septembre 2012

Savoureux, mais pas seulement.


Les Saveurs du palais, de Christian Vincent (2012).

            Il y a quelque chose d’étonnant à voir le peu d’appétence du cinéma français pour la cuisine et la gastronomie  --  ce que d’aucuns considèrent comme un trésor national, classé au surplus par l’UNESCO comme patrimoine culturel et immatériel de l’humanité. Certes les séquences organisées « autour d’une table » ne manquent pas et il est même arrivé que la cuisine et ses dépendances servent de prétextes à diverses péripéties qui, de La Cuisine au beurre (Gilles Grangier, 1963) à La Cuisine américaine (Jean-Yves Pitoun, 1998) en passant par Le Grand restaurant (Jacques Besnard, 1966), L’Aile ou la cuisse (Claude Zidi, 1976) ou, très récemment, Comme un chef (Daniel Cohen, 2012), ont souvent donné lieu à  d’intéressantes variations sur le thème du navet. Mais rares ont été les films dont faitouts et casseroles ont composé le menu ordinaire. Même si son personnage principal est une Française en exil (et interprétée par une actrice elle-même française : Stéphane Audran[1]), Le Festin de Babette, peut-être le film le plus emblématique dans ce domaine, demeure une production danoise  (Gabriel Axel, 1987) et le dernier en date des films abordant la question avec quelque intérêt est américain, Julie et Julia de Nora Ephron (Julie and Julia,  2009), passé d’ailleurs injustement inaperçu. Peut-être est-ce pour avoir eu la révélation du cinéma en voyant La Règle du jeu de Jean Renoir (1939), où l’on apprend que pour réussir une salade de pommes de terre il faut savoir se brûler les doigts, que Christian Vincent s’attaque aujourd’hui à un sujet où cuisine et gastronomie occupent une place centrale. Centrale mais pas unique pour autant.

            Car l’histoire, en partie vraie, de cette Hortense Laborie (Catherine Frot), brutalement transportée de sa ferme périgourdine dans les cuisines du 55 (comprenez : le palais de l’Elysée, situé au 55, rue du Faubourg Saint-Honoré), va bien au-delà des magrets, truffes, foies gras, rôtis de bœuf en croûte de sel et autres chaudrées charentaises. Il y a bien sûr là un vrai plaisir sensuel à écouter Hortense vanter ses produits en les décrivant avec gourmandise avant de les accommoder. C’est joliment écrit et les mots procurent autant de plaisir que les choses. Mais Christian Vincent entend aller au-delà d’un pittoresque qui, à la longue, pourrait paraître un peu facile. Ce qui l’intéresse, au-delà de la gastronomie, c’est d’observer le choc d’une violence inouïe entre des mondes qui n’ont rien à voir ensemble, seulement réunis par le fait du prince, et de se livrer à une critique corrosive d’une certaine forme de pouvoir.

            Lorsqu’elle débarque dans les cuisines de l’Elysée, Hortense n’a somme toute qu’une idée en tête : faire partager son amour des bonnes et belles choses. Mais, l’idée de partage n’étant pas la chose du monde la mieux… partagée, elle se trouve vite en butte aux jalousies des autres cuisiniers dont elle piétine les prérogatives et découvre un monde où tous les coups sont permis. Quant aux bonnes choses, elles coûtent cher et n’entrent pas forcément dans le cadre des savants plans financiers froidement élaborés par des grands commis de l’Etat peu sensibles aux vertus du saint-honoré et de la crème mémé ; et c’est peu dire qu’elles révulsent la diététicienne qui élabore ses menus à grand renfort de calculette. Méchamment baptisée la Dubarry, Hortense finit par comprendre qu’elle n’est en fait qu’un caprice de monarque, la fantaisie d’un homme à qui on ne peut rien refuser et qui, sentant peut-être sa mort prochaine, souhaite retrouver les goûts et les saveurs de son enfance. C’est qu’il n’est finalement guère sympathique ce président qui aime s’écouter parler de recettes de cuisine mais ne lèvera pas le petit doigt quand Hortense, pressée comme un citron et humiliée, rendra son tablier  --  et Jean d’Ormesson, sémillant débutant de 87 ans, interprète avec un évident plaisir ce dieu, calque parfait d’un François Mitterrand à la bonne éducation glacée.

            Aussi Hortense, comme pour oublier une expérience particulièrement difficile, décidera-t-elle de s’exiler à des milliers de kilomètres de là, devenant cuisinière (et quelle cuisinière !) sur une base scientifique quelque part dans l’Antarctique. Parce que c’est très bien payé, avoue-t-elle, ce qui lui permettra de repartir à zéro en Nouvelle-Zélande où elle installera une truffière. Il est bien vrai que les temps ont changé et elle paraît bien lointaine l’époque où l’on pouvait se laisser aller à admirer la forme d’un cèpe sans se soucier d’autre chose que de l’instant présent. « Il faut laisser du temps au temps », disait un certain président de la République et Christian Vincent ne dit finalement rien d’autre : c’est dans ces terres australes, loin de tout, qu’un autre rapport au temps laisse sa place à une forme de bonheur où certaines saveurs ont encore droit de cité quand celles, frelatées, des allées du palais et de ses pouvoirs paraissent avoir triomphé de tout. Mais faut-il que la douleur soit vive et la blessure profonde pour choisir de s’exiler aussi loin de son terroir.



[1] Elle-même longtemps mariée au plus gastronome des cinéastes français : Claude Chabrol. Leur fils Thomas tient ici un petit rôle au début du film.

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