Les
Saveurs du palais, de Christian Vincent (2012).
Il y a quelque chose d’étonnant à
voir le peu d’appétence du cinéma français pour la cuisine et la
gastronomie -- ce que d’aucuns considèrent comme un trésor
national, classé au surplus par l’UNESCO comme patrimoine culturel et
immatériel de l’humanité. Certes les séquences organisées « autour d’une
table » ne manquent pas et il est même arrivé que la cuisine et ses
dépendances servent de prétextes à diverses péripéties qui, de La Cuisine au beurre (Gilles Grangier,
1963) à La Cuisine américaine
(Jean-Yves Pitoun, 1998) en passant par Le
Grand restaurant (Jacques Besnard, 1966), L’Aile ou la cuisse (Claude Zidi, 1976) ou, très récemment, Comme un chef (Daniel Cohen, 2012), ont
souvent donné lieu à d’intéressantes variations
sur le thème du navet. Mais rares ont été les films dont faitouts et casseroles
ont composé le menu ordinaire. Même si son personnage principal est une
Française en exil (et interprétée par une actrice elle-même française :
Stéphane Audran[1]),
Le Festin de Babette, peut-être le
film le plus emblématique dans ce domaine, demeure une production danoise (Gabriel Axel, 1987) et le dernier en date
des films abordant la question avec quelque intérêt est américain, Julie et Julia de Nora Ephron (Julie and Julia, 2009), passé d’ailleurs injustement inaperçu.
Peut-être est-ce pour avoir eu la révélation du cinéma en voyant La Règle du jeu de Jean Renoir (1939),
où l’on apprend que pour réussir une salade de pommes de terre il faut savoir
se brûler les doigts, que Christian Vincent s’attaque aujourd’hui à un sujet où
cuisine et gastronomie occupent une place centrale. Centrale mais pas unique
pour autant.
Car l’histoire, en partie vraie, de
cette Hortense Laborie (Catherine Frot), brutalement transportée de sa ferme
périgourdine dans les cuisines du 55 (comprenez : le palais de l’Elysée,
situé au 55, rue du Faubourg Saint-Honoré), va bien au-delà des magrets,
truffes, foies gras, rôtis de bœuf en croûte de sel et autres chaudrées
charentaises. Il y a bien sûr là un vrai plaisir sensuel à écouter Hortense
vanter ses produits en les décrivant avec gourmandise avant de les accommoder.
C’est joliment écrit et les mots procurent autant de plaisir que les choses.
Mais Christian Vincent entend aller au-delà d’un pittoresque qui, à la longue,
pourrait paraître un peu facile. Ce qui l’intéresse, au-delà de la gastronomie,
c’est d’observer le choc d’une violence inouïe entre des mondes qui n’ont rien
à voir ensemble, seulement réunis par le fait du prince, et de se livrer à une
critique corrosive d’une certaine forme de pouvoir.
Lorsqu’elle débarque dans les
cuisines de l’Elysée, Hortense n’a somme toute qu’une idée en tête : faire
partager son amour des bonnes et belles choses. Mais, l’idée de partage n’étant
pas la chose du monde la mieux… partagée, elle se trouve vite en butte aux
jalousies des autres cuisiniers dont elle piétine les prérogatives et découvre
un monde où tous les coups sont permis. Quant aux bonnes choses, elles coûtent
cher et n’entrent pas forcément dans le cadre des savants plans financiers
froidement élaborés par des grands commis de l’Etat peu sensibles aux vertus du
saint-honoré et de la crème mémé ; et c’est peu dire qu’elles révulsent la
diététicienne qui élabore ses menus à grand renfort de calculette. Méchamment
baptisée la Dubarry, Hortense finit par comprendre qu’elle n’est en fait qu’un
caprice de monarque, la fantaisie d’un homme à qui on ne peut rien refuser et
qui, sentant peut-être sa mort prochaine, souhaite retrouver les goûts et les
saveurs de son enfance. C’est qu’il n’est finalement guère sympathique ce
président qui aime s’écouter parler de recettes de cuisine mais ne lèvera pas
le petit doigt quand Hortense, pressée comme un citron et humiliée, rendra son
tablier -- et Jean d’Ormesson, sémillant débutant de 87
ans, interprète avec un évident plaisir ce dieu, calque parfait d’un François
Mitterrand à la bonne éducation glacée.
Aussi Hortense, comme pour oublier
une expérience particulièrement difficile, décidera-t-elle de s’exiler à des
milliers de kilomètres de là, devenant cuisinière (et quelle cuisinière !)
sur une base scientifique quelque part dans l’Antarctique. Parce que c’est très
bien payé, avoue-t-elle, ce qui lui permettra de repartir à zéro en
Nouvelle-Zélande où elle installera une truffière. Il est bien vrai que les
temps ont changé et elle paraît bien lointaine l’époque où l’on pouvait se
laisser aller à admirer la forme d’un cèpe sans se soucier d’autre chose que de
l’instant présent. « Il faut laisser du temps au temps », disait un
certain président de la République et Christian Vincent ne dit finalement rien
d’autre : c’est dans ces terres australes, loin de tout, qu’un autre
rapport au temps laisse sa place à une forme de bonheur où certaines saveurs
ont encore droit de cité quand celles, frelatées, des allées du palais et de
ses pouvoirs paraissent avoir triomphé de tout. Mais faut-il que la douleur
soit vive et la blessure profonde pour choisir de s’exiler aussi loin de son
terroir.
[1]
Elle-même longtemps mariée au plus gastronome des cinéastes français :
Claude Chabrol. Leur fils Thomas tient ici un petit rôle au début du film.
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