Quelques
heures au printemps, de Stéphane Brizé (2012).
Il y a des films (ou des spectacles
en général) d’où l’on sort avec le cœur lourd et dans un état de profond
accablement, mais d’un accablement nécessaire parce qu’il est des fragments de
vie (et de mort) dont il faut savoir être le témoin, presque en situation de
voyeurisme, pour mieux les affronter soi-même le moment venu -- et
Stéphane Brizé nous en donne à voir quelques-uns, et non des moindres, dans son
dernier film, Quelques heures de
printemps.
Sans doute retiendra-t-on d’abord le
problème de la fin de vie et, quand rien ne va plus, du choix de vouloir la
terminer sereinement et au moment que l’on juge le plus opportun. Question de
société, comme on dit dans les journaux, dont plusieurs cinéastes viennent de s’emparer
tour à tour -- Michael Haneke avec Amour et Marco Bellocchio avec La
Bella adormentata. Mais il ne s’agit pas pour autant de vouloir polémiquer
lourdement, même si aucun des cinéastes ne se cache d’avoir choisi son camp.
Bien que toute la fin du film
décrive ici de façon quasiment clinique le processus menant à un suicide
assisté, on ne saurait pour autant limiter le sujet de Quelques heures de printemps à la seule question du droit à mourir
dans la dignité. Au contraire même : l’épilogue du film, en dépit de sa
gravité et pour en être le point d’orgue, marque surtout une chute de tension,
un moment d’apaisement où une mère (Hélène Vincent) et son fils (Vincent
Lindon) trouvent enfin les mots pour se dire combien ils s’aiment. Mais avant d’en
arriver là, à cet instant où l’on ne peut plus rien dissimuler, ils auront dû
cheminer ensemble jusqu’au bout de la détresse. Lui, chauffeur-routier, s’est
fait piéger dans un trafic de drogue et, sortant de prison, revient vivre chez
elle --
chez elle, à côté d’elle plutôt qu’avec elle. Car un infranchissable
fossé affectif semble séparer ces deux-là, un fossé qui nous vaut des éclats de
violence verbale qui rappelle le Pialat des meilleurs jours (celui de La Gueule ouverte, 1974, déjà autour de
la mort d’une mère, ou de Nous ne
vieillirons pas ensemble, 1972). Ou encore le couple déchiré du Chat
-- le roman de Simenon et le film
de Pierre Granier-Deferre (1971). Même impossibilité d’exprimer ses sentiments
autrement qu’à travers rancœurs et mesquineries ; même enfermement dans
une sorte d’aigreur haineuse et agressive où chacun veut rendre l’autre
responsable de ses échecs et de ses regrets. Quitte à rater le coche du bonheur
et d’une vie plus heureuse quand ils croisent des personnages lumineux et
bienveillants qu’ils ne savent pas retenir et laissent échapper -- une
femme rencontrée par hasard (Emmanuelle Seigner) pour lui, un voisin amical
(Olivier Perrier, sublime de justesse) pour elle.
Ce face à face qui pouvait autoriser les débordements
les plus hystériques, Stéphane Brizé choisit de le filmer avec une grande
économie de moyens, en longs plans fixes et très peu de mouvements d’appareil,
juste parfois pour permettre un recadrage. Sans négliger les rôles secondaires
(j’ai dit la justesse d’Olivier Perrier, et Emmanuelle Seigner n’a sans doute
jamais été meilleure qu’ici), c’est à ses deux interprètes principaux plutôt qu’à
des effets de mise en scène déplacés qu’il laisse le soin d’infuser au film une
tension qui jamais ne se relâche et débouche sur une émotion fragile mais
durable. On voit trop rarement des acteurs incarner,
au sens fort et spirituel du terme, leurs personnages pour ne pas souligner le
caractère exceptionnel du travail (car c’est aussi un travail) de Vincent
Lindon et plus encore d’Hélène Vincent, dont les amateurs de théâtre connaissent
depuis longtemps l’immense talent. Aussi est-ce par la grâce douloureuse de ses
comédiens et le regard pudique, presque détourné parfois, de son metteur en
scène que Quelques heures de printemps
devient, au-delà de la mort, une admirable leçon de vie.
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