Associés
contre le crime, de Pascal Thomas (2012).
Jeunes cinéphiles de moins de
cinquante ans qui ignorez tout des années 60 et 70, vous n’avez rien connu. Il
y avait alors pléthore de revues de cinéma, des ciné-clubs à tous les coins de
rues ou presque et des milliers de passionnés, à Paris et en province -- tel
un certain Roland Duval qui ralliait de temps à autre la capitale pour acheter
son pain de campagne chez Poilâne (les boulangers de province ne fabriquaient
plus alors que de la baguette parisienne) et en profiter pour voir quelques
films, sa miche sur les genoux. Professeur au lycée de Montargis, animateur de
ciné-club, fondateur, directeur, rédacteur en chef et pratiquement unique de la
confidentielle et provinciale revue de cinéma V.O., comme il le disait à peu près lui-même à l’époque, Roland
Duval adressa chaque mois pendant un peu plus de deux ans (de 1974 à 1976) à la
revue Ecran, chère à mon cœur, une
« lettre du chef-lieu » pleine d’humour et très politiquement
incorrecte, bien qu’en ces temps lointains cette notion fût encore ignorée.
Sans doute bien peu de gens se souviennent-ils aujourd’hui de Roland Duval,
quelques vieux cinéphiles et critiques de soixante ans et plus, et aussi
assurément Pascal Thomas dont on peut voir ces jours-ci le dernier film, Associés contre le crime.
Car avant d’exploiter jusqu’à la
corde, et désormais avec le plus grand j’m’en-foutisme, quelques romans
d’Agatha Christie qui, au surplus, ne comptent pas parmi ses meilleurs, Pascal
Thomas avait bien connu Roland Duval au ciné-club de Montargis, jolie petite
sous-préfecture du Loiret appelée aussi la Venise du Gâtinais, et les deux
compères s’étaient lancés en 1973 dans un premier long métrage qui évoquait des
adolescences provinciales situées « davantage au niveau du zizi que du
matérialisme dialectique »[1]
sur un ton d’aimable anarchisme franchouillard qui n’était pas sans évoquer
Marcel Aymé -- mais en nettement moins bien tout de même. Le
film s’intitulait Les Zozos et il
connut alors une heure de gloire certaine, lançant du même coup la carrière de
Pascal Thomas aussitôt consacré par son mentor et coscénariste Roland Duval,
toujours prompt à exalter la province française, « auteur du
chef-lieu », c'est-à-dire « le seul metteur en scène capable de
donner à ses images cette odeur de bouse qui chavire le Tout-Paris nourri au
pain de campagne ». Bref, « filmant en sabot », Pascal Thomas se
retrouva sacré « Poilâne du cinéma français »[2]
et persista tout au long des années 70 dans cette vaine fleurant bon le foin
fraîchement coupé, le vin rouge et les petites culottes des filles, à mi-chemin
de la comédie italienne et du cinéma français populiste d’avant-guerre,
jusqu’au début des années 80, continuant à s’intéresser aux filles dans tous leurs
états et notamment à Celles qu’on n’a pas
eues (1981) -- un titre qui mettait
en émoi Olivier Barrot (autre rédacteur de la revue Ecran), celui-là même qui présente depuis bien des années à la
télévision l’émission Un Jour, un livre.
Mais le faux réalisme égrillard de
Pascal Thomas que, soyons honnête, en dépit de sa lourdeur et de ses
vantardises de vestiaire sportif[3],
on aimait bien (tout comme celui de Joël Séria à la même époque, des Galettes de Pont-Aven à Comme la lune) finit par lasser les
foules -- il y avait de quoi. Commença alors pour le
cinéaste une traversée du désert de presque vingt-cinq ans, jusqu’à ce qu’une
série d’adaptations d’Agatha Christie remette sa carrière en selle et lui
permette de renouer avec le succès à partir de 2005. Ce nouveau filon, qu’il
exploita avec plus ou moins de bonheur (L’Heure
zéro, 2007, avec son grand numéro d’acteurs, reste un bon souvenir), semble
aujourd’hui bel et bien tari avec ce pensum poussif et ennuyeux, écrit
par-dessus la jambe, filmé à la paresseuse, mal éclairé et joué sans conviction
par des acteurs qui ont vu là l’occasion de passer quelques moments d’agréables
vacances entre Genève et Aix-les-Bains. Reconnaissons à Pascal Thomas
l’honnêteté de ne pas faire semblant : il n’a certes jamais été un modèle
de rigueur mais cette fois il ne se cache pas de bâcler le travail, il en fait
même une règle de fonctionnement -- et
ce ne sont pas quelques idées loufoques (certaines bonnes d’ailleurs) lâchées
ici et là qui suffisent à justifier tant de laisser-aller, et encore moins à
faire un film.
L’itinéraire professionnel de Pascal
Thomas aura finalement été d’une rare cohérence. Jeune homme, il a cherché à séduire de jeunes adultes
amateurs de gaudrioles et de bonnes bouffes ; il y est parvenu pendant une
petite dizaine d’années. Cinéaste vieillissant, il propose désormais au même
public parvenu aux portes du troisième âge des divertissements plan-plan et un
rien ringards, et il y réussit plutôt bien, commercialement parlant. Mais il
est cependant à craindre que cette fois le public ne suive plus guère. Tout en
se souvenant que Pascal Thomas a parfois eu du talent : Le Grand appartement, en 2006, ça
n’était pas si mal et ça reste peut-être un de ses seuls vrais bons films.
[1]
La formule est de Guy Braucourt, in Ecran
73, n°20, décembre 1973, p.59.
[2]
Roland Duval, « Poilâneries », in Ecran
74, n°21, janvier 1974, p.85.
[3]
Petit extrait des Zozos (cité par Guy
Braucourt en marge de sa critique du film, in Ecran 73, n°12, février 1973) : « Elle était à poil avec
les nichons et tout, pas mal, mais ça ne me faisait rien. C’est parce que c’était
une Suédoise. Une Française, tu lui touches la main, tu bandes. Là, rien. »
Je constate que Pascal Thomas se fait remettre sévèrement à sa place avec son dernier film. Du coup toute la carrière y passe. Je persiste à apprécier ce que fait ce ce monsieur, en dehors des canons de la cinéphilie ordinaire (mais non sans faire montre de la sienne à travers quelques citations éparses). Quand même, Pascal Thomas, c'est pas Max Pécas quoi !
RépondreSupprimerNi Philippe Clair, autre grand cultivateur de navets dans les années 70, je vous l’accorde bien volontiers. Ce qui ne fait pas pour autant de Pascal Thomas un grand cinéaste. On aimait bien jadis ses premiers films pour les raisons que j’ai dites -- comme ceux aussi de Joël Séria. On a parfaitement le droit de l’aimer encore, mais de là à le décrire comme vous le faites dans votre recension comme « un visionnaire, un rêveur, un poète », il y a un pas difficile à franchir. Vous parlez aussi de sa « fantaisie poétique » : il est vrai que l’on pouvait voir l’ombre de Marcel Aymé planer sur ses débuts. Mais je le redis : en nettement moins bien. Quant à son dernier film (assez peu défendable, me semble-t-il), j’ai beaucoup de mal à comprendre votre enthousiasme, et une certaine loufoquerie ne saurait à elle seule la justifier. Je vois mal enfin ce que vous entendez en disant juger le cinéaste « en dehors des canons de la cinéphilie ordinaire » qui paraissent un peu vous agacer. Au demeurant, grand merci pour l’attention que vous portez à mes textes.
RépondreSupprimerles zozos c'était frais mais tagada Christie c'est nul à chier mais faut ben croûter . signé o.stéphane , neveu de roland duval .
RépondreSupprimertas fait quoi comme œuvre pour critiquer même ce qui n'est pas bon .
RépondreSupprimerLibre à vous de défendre l'"oeuvre" de Pascal Thomas (ou du moins une partie), et de le faire avec une trivialité et une forme de poujadisme qui, finalement, lui conviennent assez bien. Je ne reviendrai pas sur cette "oeuvre", dont le seul intérêt pourrait être (un jour, qui sait?) essentiellement sociologique, mais le temps me paraît lui avoir rendu justice en la plongeant dans un charitable oubli d'où, me semble-t-il, elle n'a guère de chance de sortir un jour -- je parle là de cinéma et non de sociologie. Permettez-moi d'ajouter que, d'oncle à neveu, le style s'est perdu en route. Autres temps, autres moeurs.
SupprimerEh bin, c’est sympa les commentaires par ici !
Supprimer(Donnons toutefois crédit au tenancier du blog pour les avoir validés malgré la politique de modération a priori... Laquelle illustre ainsi son incongruité.)