Magic
Mike, de Steven Soderbergh (2012).
Il y a décidément un
« cas » Soderbergh. Cinéaste éminemment moderne (sans guillemets) et
même expérimental parfois (voir ainsi Schizopolis,
1996, ou Bubble, 2006) au risque de
dérapages pas toujours bien contrôlés, il semble vouloir empiler les films
comme le faisaient autrefois les plus grands cinéastes américains sous contrat
avec les studios, variant thèmes et genres mais parvenant contre vents et
marées à faire œuvre personnelle et cohérente, quand bien même cette cohérence
disparaissait parfois sous le masque de l’hétérogénéité d’une production aussi
abondante qu’irrégulière. Aussi est-il difficile de trouver aujourd’hui un fil
conducteur (mais en existent sans doute plusieurs) dans la filmographie
foisonnante d’un cinéaste qui paraît, bien plus qu’à ses débuts, possédé par
une boulimie de travail qui l’amène à sortir trois films en à peine plus d’un
an : le très médiocre Contagion,
le récent et bien plus réussi Piégée
(Haywire) et aujourd’hui Magic Mike, que je situerais volontiers
à mi-chemin des deux autres mais plutôt côté réussite qu’échec. Assurément, à
l’instar d’un Woody Allen mais en beaucoup plus intéressant, il lui faut
comprendre que quantité ne rime pas forcément avec qualité et qu’on ne
progresse pas forcément en pratiquant son art à outrance --
quitte à le vider de sa substance.
Rien de commun en apparence entre
ces trois derniers films que tout au contraire semble vouloir séparer -- la
description des ravages d’une pandémie à l’échelle mondiale (Contagion), un thriller d’espionnage (Piégée) et la chronique douce-amère d’un
groupe de strip-teaseurs avides de plaisirs et d’argent (Magic Mike). Rien, sauf peut-être un même regard désenchanté jeté
sur un monde qui semble se déliter par quelque bout qu’on l’aborde. Ainsi n’y
a-t-il pas grand-chose à sauver du monde dont Soderbergh nous renvoie
l’image -- un monde cynique où triomphent les rapports
de force dominés par l’argent, un monde obsédé par la représentation,
l’apparence, le faux-semblant et l’illusion, un monde où l’argent apparaît
comme la seule valeur concrète et solide (ces dollars dont les strip-teaseurs
garnissent leurs sous-vêtements), un monde où une liasse de billets de banque
trouble autant une femme (mais plus silencieusement) que les exhibitions
d’éphèbes bodybuildés.
On ne manquera pas de dénoncer pour
le coup un point de vue réactionnaire et moralisateur, d’autant que Mike le
dévoyé (Channing Tatum) sera ramené dans le droit chemin par une blonde et
(relativement) pure assistante médicale (Cody Horn) dont il a entraîné le petit
frère sur des sentiers de perdition. Mais ceux qui stigmatiseraient de la sorte
Soderbergh sont les mêmes qui se réjouissent du jeu de massacre qu’il met en
scène dans Piégée, qui dénonce
services de renseignements et officines privées dont les coups tordus
pourrissent nos très fragiles démocraties. Alors, ambigu, Soderbergh ?
Moraliste, bien plutôt, qui réfléchit sur les dérives de notre époque et donc
(au sens où les miroirs réfléchissent) en donne à voir les reflets les moins
reluisants mais qu’il éclaire d’une lumière exempte de tout compromis.
Mais, pour autant, le cinéaste ne
pratique nulle forme de manichéisme et ses strip-teaseurs, aussi cyniques et
corrompus par l’argent facile qu’ils soient, forment une sorte de groupe soudé
à la façon des petites communautés d’aventuriers de l’ancien temps. Il y a
d’ailleurs entre le « vieux » Mike (il a trente ans et songe à
raccrocher) et le tout jeune Adam (Alex Pettyfer), le type même de relations
que pouvaient entretenir un John Wayne et un Montgomery Clift dans Red River (La Rivière rouge, Howard Hawks, 1948) -- le
même passage de témoin vers une société différente, plus cynique et moins
innocente. Mike prétend tout à la fois éduquer Adam, le guider dans la jungle
du monde contemporain et en même temps le protéger. Entreprise fatalement vouée
à l’échec tant est déséquilibré le combat qu’il doit mener contre les réalités
du monde. Mais si « Magic » Mike connaît une chute vertigineuse,
Soderbergh le rachète in extremis tant il est vrai que, fidèle
en cela à la morale du grand cinéma américain classique, il pose des limites au
cynisme contemporain. Naïveté, cette fois, ou retour à un cinéma plus
apaisé ? L’histoire ne le dit pas, qui laisse les personnages en
suspens -- exactement comme à la fin de Piégée, mais cette fois dans une
perspective plus positive, sinon plus heureuse.
Sans doute regrettera-t-on le faux
rythme que Soderbergh imprime à son film qui n’évite pas toujours les longueurs
mais, reconnaissons-le, qui convient assez bien à cette description d’un
univers menacé par la vacuité et l’ennui. Et le cinéaste sauve malgré tout son
affaire par, une fois encore, l’élégance extrême de sa mise en scène, sans
doute moins brillante que dans Piégée
mais constamment en phase avec son sujet. Fatigué et lassé, Soderbergh dit vouloir prendre sa retraite et
abandonner le cinéma pour la peinture. On peut le comprendre (mais peut-être
pourrait-il déjà ralentir sa cadence de travail) tout en se demandant, lui qui
éclaire souvent ses propres images (sous le pseudonyme de Peter Andrews), s’il
réussira aussi bien avec une toile (l’écran), des pinceaux (la caméra) et des
couleurs (l’image). Un beau défi en tout cas.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire