Jane
Eyre, de Cary Fukunaga (2011).
Il n’y a pas de mauvais sujets et encore
moins de sujets démodés, en dépit de l’origine très littéraire et du caractère
résolument daté de certains d’entre eux, qui mêlent des intrigues
impeccablement construites à un charme légèrement suranné mais chargé d’une
sorte d’agréable ivresse romanesque. Ainsi, pour s’en tenir au seul registre
britannique, les sœurs Brontë, Jane Austen, Dickens ou, plus tardivement,
Thomas Hardy ont-ils été des sources d’inspiration largement mises à
contribution aussi bien par le cinéma que, plus récemment, par la télévision.
Certes moins célèbre que Les Hauts de
Hurlevent de sa sœur Emily, Jane Eyre,
roman écrit en 1847 par Charlotte Brontë, a-t-il connu diverses fortunes
cinématographiques, depuis la version réalisée en 1943 par Robert Stevenson
(qui n’était d’ailleurs pas la première) jusqu’à celle que nous propose
aujourd’hui le jeune cinéaste américain Cary Fukunaga, auteur d’un précédent et
premier film en 2009, Sin Nombre.
Il se trouve qu’on a pu revoir au
printemps dernier, lors d’une réédition fugitive, le film de Robert Stevenson,
un cinéaste de peu d’intérêt il faut bien le dire, mais dont c’est sans doute
le film le plus réussi -- avant qu’il ne devienne, plusieurs décennies
durant, un des hommes à tout faire du studio Disney, parfois avec un certain
bonheur : c’est à lui que l’on doit Mary
Poppins, 1964, un bon divertissement qui est devenu, à sa façon, une sorte
de classique. On a prétendu, mais les avis sont partagés et on ne prête qu’aux
riches, on a prétendu donc que, co-producteur (non crédité) du film et
interprète du rôle de Rochester, Orson Welles avait « conseillé »
Stevenson -- ce dont témoigneraient tout à la fois
l’atmosphère gothique du récit et son esthétique fortement expressionniste.
Mais peu importe et, en dépit d’un
certain manque de démesure (une démesure que le sujet autorise et qu’il
recommande même), c’est sans aucun doute la meilleure adaptation jamais
réalisée, et assurément bien supérieure à celle de Fukunaga --
plus fidèle pourtant à la lettre du roman (Stevenson escamotait ainsi
complètement le personnage de St. John Rivers et de ses sœurs, et les
développements qui s’y rattachent).
Peu de choses à dire donc d’un
scénario qui suit d’assez près la trame imaginée par Charlotte Brontë, même si
les épisodes de l’enfance de Jane et surtout du pensionnat de Loowood sont un
peu sacrifiés (Stevenson leur donnait une dimension très dickensienne) --
mais un scénario en même temps bien trop scolaire et qui manque
cruellement de cette ampleur romanesque dont ce type d’entreprise doit se
nourrir nécessairement. On pourra en revanche discuter davantage une
distribution très haut de gamme pour les personnages secondaires, mais pas
toujours utilisée au mieux. Si Judi Dench assure avec le métier qu’on lui
connaît et Sally Hawkins, utilisée à contre-emploi, étonne avec bonheur dans le
rôle de la très antipathique tante de Jane, Mrs Reed, Simon McBurney (Mr Brokelhurst)
ou Jamie Bell (St. John Rivers) paraissent quelque peu négligés par un scénario
fidèle, répétons-le, mais étriqué. Peut-être
cette absence de souffle tient-elle en fait d’abord et essentiellement à des
choix de mise en scène, et il serait totalement déplacé d’instruire à
l’encontre du cinéaste un procès d’intention l’accusant d’être incapable, par
ses origines, sa formation ou son itinéraire, de comprendre l’univers des sœurs
Brontë -- un Roman Polanski a bien su, lui, retrouver
pour Tess un Thomas Hardy dont on
peut raisonnablement penser qu’il lui était au départ assez étranger.
Ce n’est pas pour rien que j’évoque
ici Polanski puisque Fukunaga aurait explicitement placé son film sous les
auspices de Tess. Sans doute est-ce
là faire preuve d’une belle lucidité cinéphilique, et il est vrai qu’au-delà du
film de Robert Stevenson, c’est bien à Tess que l’on songe ici de bout en
bout --
une comparaison qui ne tourne malheureusement guère à l’avantage de
Fukunaga. Il faut dire que, de façon générale mais avec Tess tout particulièrement, Polanski démontre avec éclat ce que
doit être la mise en scène de cinéma, du choix des décors à la précision des
cadrages en passant par la direction des acteurs jusqu’aux plus petits rôles. A
aucun moment Fukunaga ne retrouve cette authenticité, cette présence de la
terre, des paysages et des saisons, alors même qu’il a tourné sur place alors
que Polanski avait reconstitué, mais avec quel talent, le Wessex de Thomas
Hardy en… Bretagne.
C’est cependant dans l’organisation
technique de sa mise en scène, dans le choix de ses cadres, de ses mouvements
d’appareil et de ses éclairages, que Fukunaga
finit de s’égarer en adoptant des partis-pris qui oscillent entre
platitudes académiques (ainsi ces plans fixes qu’il pense devoir convenir au
classicisme de Charlotte Brontë) et
effets pseudo-modernes avec l’inévitable caméra tenue à l’épaule. On ne
manquera pas de se gausser de la phobie (à la limite du gâtisme) que je
manifeste à l’égard de certaines formes contemporaines (ou prétendues telles)
de mise en scène, mais je n’ai rien contre la caméra portée à l’épaule, je m’en
suis déjà expliqué ici, en note et en m’appuyant sur quelques séquences du Barry Lyndon de Stanley Kubrick.
Simplement, ce qui convient admirablement à ACAB
ou à certaines séries télévisées ne convient pas forcément à Jane Eyre, et je renvoie tous ceux qui
s’intéressent à la mise en scène, à la direction d’acteur ou au soin apporté au
choix des objectifs, des cadrages ou des éclairages, à l’excellent documentaire
réalisé jadis par Pierre-André Boutang (à une époque où l’on ne parlait pas encore
de « making of ») sur le tournage de Tess où l’on peut voir le cinéaste véritablement au travail. C’est un document
passionnant et qui demeure, en dépit des années, plus que jamais
d’actualité -- et disponible dans les bonus du DVD (édition
prestige en deux DVD, Fox Pathé Europa, 2005).
Reste un dernier point qui tient aux
deux acteurs principaux. Si Mia Wasikowska (l’Alice de Tim Burton) assure très
bien son rôle et vaut largement Joan Fontaine (dans la version Stevenson) et
plus encore Charlotte Gainsbourg (dans celle, boursoufflée, de Zeffirelli en
1996), il n’en va pas de même pour l’excellent Michael Fassbender, ici
curieusement absent dans le rôle de Rochester. Orson Welles avait choisi de
donner au personnage une démesure shakespearienne, annonçant ses Macbeth (1948) et Othello (1952), en parfaite cohérence avec l’économie générale du
film. Mal (ou pas ?) dirigé, Fassbender ne paraît nullement s’intéresser à
un personnage qu’il banalise à outrance. Mais peut-être obéit-il là à la
volonté d’un metteur en scène qui s’efforce tout au long du film à rendre
ordinaire une intrigue qui exige une sorte de grandeur sauvage. Ainsi
précipite-t-il encore un peu plus l’échec d’un film que ses intentions
condamnaient d’entrée de jeu.
Je partage complètement cet avis: c'est un film qui m'a exaspéré au plus haut, bourré de tics et surtout qui trahit complètement le grand souffle romantisme de Jane Eyre, où tout est dans le non-dit alors que le film montre tout, dans une lourdeur prévisible.
RépondreSupprimerJ'en parle là: http://ombreserrantes.com/cinema/jane-eyre-cary-fukunaga-b/