ACAB
(All Cops Are Bastards), de Stefano Sollima (2012).
Etrange titre pour un film italien
que ce mystérieux acronyme qui se décline en langue anglaise, façon pour les skinheads britanniques d’exprimer leur
haine de la police -- « Tous les flics sont des
salauds ». Etrange titre mais film réussi au bout du compte, dû à un
cinéaste venu de la télévision et de la série Romanzo Criminale, un certain Stefano Sollima (le film à l’origine
de la série a été, lui, réalisé par Michele Placido en 2005), un nom familier
aux oreilles des cinéphiles de ma génération puisqu’il est celui du fils de
Sergio Sollima, ancien critique de cinéma et auteur à la fin des années 60
d’une excellente trilogie de westerns italiens (Colorado/La Reisa dei conti, 1966, Le Dernier face à face/Faccia a faccia, 1967, et Saludos Hombre/Corri, uomo, corri,
1968).
Cette fois cependant, plutôt qu’aux
méfaits d’une bande de malfrats, c’est une description sans fard de la vie
quotidienne d’une poignée de celeris
(les C.R.S. italiens) qu’on nous propose ici, policiers en uniforme dont on
nous donne à voir aussi bien le
quotidien professionnel que les vicissitudes de leur vie personnelle. Aussi
Sollima et ses trois scénaristes, en adaptant un livre de Carlo Bonini (également à l'origine du dernier film de Michele Placido, L'Ange du mal/Vallanzasca - Gli angeli del male, 2011),
parviennent-ils à tisser une trame romanesque extrêmement dense où les
personnages doivent affronter tout à la fois leurs propres démons et les
différents niveaux d’une réalité sociale vacillante. L’un tente de ramener à la
raison un fils embarqué dans une dérive néo-fasciste, l’autre vit mal un
divorce difficile, un troisième, plus
jeune, n’a rejoint la police que pour des raisons financières, crise oblige,
tandis que sa mère, expulsée, attend vainement un logement décent --
tous serrent les rangs, au sens propre comme au figuré, au sein d’une
brigade (une squadra) en forme de
cocon familial avec ses rites initiatiques et sa cohésion qui se veut
inébranlable ; se veulent des « frères », unis et solidaires quoi
qu’il arrive -- douloureuse illusion dans un monde qui semble
partir à vau l’eau.
Car Sollima, et c’est une des
grandes forces de son film, sait admirablement mêler spectacle et réflexion en
témoignant de réelles préoccupations sociales et politiques, retrouvant de la
sorte et avec bonheur la tradition d’un certain cinéma italien des années 60 et
70, critique et engagé mais jamais manichéen
-- et dont il a du beaucoup entendre
parler autour de la table familiale. Sans doute choisit-il de privilégier un
point de vue, celui des forces de l’ordre et de la police --
c'est-à-dire, en théorie, d’une institution chargée de défendre l’état
de droit au service d’une société démocratique. Mais il le fait en prenant du
recul et sans jamais les rendre héroïques, soulignant au contraire leurs
contradictions mais aussi leurs difficultés. Aussi ses personnages
apparaissent-ils tour à tour sympathiques et détestables, soucieux de préserver
la loi et l’ordre mais en même temps peu regardants sur les méthodes, pas toujours
licites, qu’ils utilisent, finalement prêts à toutes les dérives sécuritaires
voire politiques -- l’un d’eux n’affiche-t-il pas dans son
appartement un poster représentant une image agressive et conquérante de
Mussolini ?
Difficile cependant, veut nous dire
Sollima, de juger des personnages pris dans la tourmente d’une société qui se
délite et eux-mêmes en proie à de multiples contradictions. Gardiens du
maintien de l’ordre, ils sont confrontés
aux soubresauts d’une réalité sur laquelle ils n’ont pas prise :
inquiétants débordements des supporters de football (les fameux et violents tifosi), expulsion de clandestins ou de
roms, manifestations diverses et variées qu’on leur ordonne d’encadrer et/ou de
réprimer au nom des valeurs démocratiques
-- autant de moments forts où
identification et rejet se confondent dans une sorte de chronique sauvage d’une
société au bord de l’abime.
Sollima ne porte aucun jugement mais
jette une lumière crue sur des éclats d’une réalité dont les citoyens que nous
sommes refusent parfois d’admettre la complexité. Tout à la fois repoussants ou
attachants au gré des événements, ses personnages nous renvoient l’image d’un
monde en déséquilibre où rien ne saurait être simple et où les apparences peuvent
se révéler trompeuses et les contradictions douloureuses. Un monde finalement
terrifiant et dérisoire dans son humanité meurtrie.
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