4 août 2012

Racolage et complaisance.


Kill List, de Ben Wheatley (2012).

Un rapide détour parisien m’a permis de voir quelques films sortis ces dernières semaines et qui n’étaient pas parvenus jusqu’à ma provinciale retraite d’été. Il y a d’ailleurs là, soit dit en passant, une situation de l’exploitation cinématographique proprement scandaleuse  --  j’y reviendrai peut-être un jour prochain. Kill List est le premier du lot, sorti il y a presque un mois et accueilli plutôt favorablement par une critique généralement indifférente à ce genre de production, à mi-chemin du polar et du film fantastique mais en même temps (fidèle en cela à une certaine tendance du cinéma britannique) sensible aux réalités sociales et à leurs manifestations quotidiennes. Bref, les ingrédients me paraissaient réunis (sur le papier du moins) pour une découverte  intéressante, un peu dans le sillage de Get Carter (La Loi du Milieu, Mike Hodge, 1971), d’Harry Brown (Daniel Barber, 2010) ou du récent Tyrannausor (Paddy Considine, 2011) ; la déception n’en a été que plus vive.

Seconde réalisation d’un cinéaste relativement jeune (il est né en 1972), dont la première (Down Terrace, 2009) demeure inédit de ce côté-ci de la Manche, le film démarre plutôt bien, qui met en scène une sorte de mercenaire au chômage, Jay (Neil Maskell), baroudeur passé par l’Irak, soldat de fortune devenu tueur à gages et, semble-t-il, quelque peu déséquilibré. Les relations qu’il entretient avec sa femme relèvent d’un combat permanent digne de Qui a peur de Virginia Woolf ?, et Wheatley filme leurs échanges orageux en gros plans heurtés que brise encore davantage un montage syncopé et pour le moins hétérodoxe, censé traduire la situation de crise que vivent les personnages. Pourquoi pas après tout, d’autant que s’installe durablement une tension palpable quand Jay et son copain et alter ego Gal (Michael Smiley) acceptent un contrat (la fameuse kill list) qui va les entraîner dans une aventure à la fois obscure et sanglante  --  c’est un euphémisme.

Reste que très vite, au fur et à mesure que les deux compères comprennent qu’ils sont prisonniers d’une mécanique qui leur échappe (ils ne sont que des pions dans un jeu qui les dépasse), l’entreprise révèle ses limites : l’étude des deux vétérans de l’Irak, sans doute détruits par des expériences traumatisantes dont on ne saura d’ailleurs rien, se révèle un simple prétexte pour ouvrir grande la porte à toutes les complaisances, et il n’en manque pas ici. Complaisance d’un récit qui, s’échappant des limites d’une intrigue criminelle a priori prometteuse, se laisse aller à des effets gore difficilement supportables et finit par se perdre dans les méandres filandreux d’une narration qui tourne à l’absurde puis au grand-guignol. Wheatley termine ainsi son film dans une sorte d’hommage lourdement appuyé à une petite production d’horreur de la Hammer des années 70, interprétée par le grand Christopher Lee, et devenue « culte » depuis lors (The Wicker Man, Robin Hardy, 1973)  --  suite de séquences qui se veulent paroxystiques mais finissent par se déliter dans un ridicule assez dérisoire. On sait que reconstituer des cérémonies plus ou moins sataniques n’est pas chose aisée au cinéma : Polanski s’y est quelque peu brûlé les ailes dans La Huitième Porte (The Ninth Gate, 1999) et Kubrick lui-même a frôlé l’abime dans Eyes Wide Shut (1999).

Non pas d’ailleurs que Ben Wheatley manque de savoir-faire. Mais ce savoir-faire lui-même, bien présent tout au long du film, trahit en fait un goût prononcé pour l’esbroufe bien plus que la volonté de mettre en place une fiction policière riche de connotations sociales. On regrettera d’autant plus ce festival d’effets aussi gratuits que racoleurs, et finalement assez nauséabonds, que tous les acteurs embarqués dans cette galère sont excellents, comme les comédiens britanniques savent l’être le plus souvent, et témoignent d’une très réelle force de conviction.  Seuls leur performance et leur courage justifieraient d’aller voir un tel film  --  dont on peut cependant raisonnablement se dispenser.

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