19 août 2012

Un grand n'importe quoi.


Abraham Lincoln : chasseur de vampires (Abraham Lincoln : Vampire Hunter), de Timur Bekmanbetov (2012).

            Il n’y a pas de mauvais sujet, j’ai eu récemment l’occasion de le dire, et rien n’interdit de choisir un personnage historique et de broder sur un canevas biographique des variations imaginaires  --  voire franchement fantaisistes. L’uchronie ne permet-elle pas, à partir de légers détournements historiques (Napoléon a gagné la bataille de Waterloo ou les Soviétiques ont été défaits à Stalingrad, par exemple), de refaire le monde, ou plutôt de revoir l’Histoire, souvent avec bonheur et de façon originale ? Alors, transformer le Président Lincoln en un chasseur de vampires, ceux-ci ayant colonisé tout le Sud des Etats-Unis et cherchant à dominer tout le pays, pourquoi pas ? Mais encore faut-il le faire avec un minimum de talent et de savoir-faire, ne serait-ce que sur le plan technique, ce qui, phénomène pour le moins étrange s’agissant d’un film américain au budget confortable sinon opulent, est loin d’être le cas ici.


            On trouve à l’origine du projet Seth Grahame-Smith, écrivain américain habitué des détournements horrifiques (on lui doit aussi Orgueil et préjugés et zombies, paru chez Flammarion en 2009) et dont Tim Burton, ici co-producteur, semble s’être entiché puisqu’il est aussi l’auteur du scénario de Dark Shadows et qu’on prête aux deux hommes quelques projets communs. C’est donc un de ses propres romans (publié en français en 2011 aux éditions Eclipse) que Grahame-Smith adapte ici, et le scénario s’attache d’abord à la jeunesse de Lincoln (le Ford de Young Mister Lincoln doit se retourner dans sa tombe !), étudiant en droit devenu chasseur de vampires pour venger sa mère, malheureuse victime des méfaits d’un affreux mort-vivant ; puis, devenu président, il doit poursuivre sa mission pendant la guerre de Sécession pour assurer la victoire du Nord contre une armée sudiste peuplée de vampires pour ainsi dire indestructibles. Seule la ruse et l’audace de Lincoln, et surtout sa bonne connaissance des mœurs vampiriques, lui permettront de remporter la bataille de Gettysburg et de gagner la guerre, notamment en dotant les Bleus de munitions coulées en argent  --  puisque, comme chacun sait, seule une balle en argent peut détruire un vampire.

            Il y a une telle candeur naïve (ou faut-il parler de culot de déménageur ?) dans l’invraisemblance assumée et la crétinerie galopante du sujet, qu’on en serait presque admiratif. Mais sachons raison garder, et le nom de Tim Burton, largement mis en avant par la publicité, ne saurait nous égarer longtemps. On comprend d’ailleurs mal l’intérêt qu’il paraît trouver dans son compagnonnage avec Grahame-Smith  --  Dark Shadows n’étant sans doute pas le meilleur scénario qu’il ait eu à se mettre sous la dent, je l'ai dit par ailleurs. Mais après tout, répétons-le, on aurait pu prendre malgré tout quelque plaisir au délire d’un scénario qui ne manque pas, parfois, d’une certaine alacrité dans les péripéties.

            Pour le coup cependant, il eut fallu derrière la caméra un cinéaste d’un autre calibre que l’affligeant Timur Bekmanbetov ( le mot « cinéaste » me paraît singulièrement déplacé le concernant), dont il est encore plus étonnant que Tim Burton ait supporté la redoutable incompétence. Car ce que l’on voit sur l’écran (ou plutôt ce que l’on essaie de voir) ne relève que très lointainement du cinéma  --  même de ce cinéma au goût du jour dont l’esthétique se situe à mi-chemin du clip publicitaire (dont Bekmanbetov vient) et du jeu vidéo. A côté de lui, Guy Ritchie passerait presque pour un modèle de sobriété  --  c’est dire.

            Parler ici de mise en scène, d’écriture cinématographique ou même de style, fût-il racoleur, est à peu près aussi pertinent que de parler de démocratie à propos de la Corée du Nord. Ainsi assiste-t-on atterré à une longue et indigeste bouillie d’images d’une laideur définitive et filmée n’importe comment sans nul souci ne serait-ce que de simple cohérence. Même les séquences qui devraient être spectaculaires (le combat parmi le troupeau de chevaux, par exemple, ou le déraillement final du train) ne brillent guère que par leur extrême confusion qu’obscurcit encore la consternante médiocrité des éclairages de Caleb Deschanel  --  un chef-opérateur de talent pourtant. Mais tout se passe comme si la colossale nullité de Bekmanbetov avait fait tache d’huile, vampirisant du même coup l’ensemble de ses collaborateurs, comédiens compris, notamment l’excellent Dominic Cooper dont on espère pour lui qu’il ne s’est embarqué dans cette galère que pour honorer un quelconque redressement fiscal.

            Face à un tel grand n’importe-quoi qui traduit surtout un mépris absolu pour le spectateur réduit à l’état de cochon de payant, face à une telle accumulation prétentieuse de non-cinéma, on en vient à souhaiter, assez mesquinement j’en conviens, que toute l’entreprise disparaisse finalement dans un grand désastre financier. Ce ne serait après tout que justice.

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