Abraham
Lincoln : chasseur de vampires (Abraham Lincoln : Vampire Hunter),
de Timur Bekmanbetov (2012).
Il n’y a pas de mauvais sujet, j’ai
eu récemment l’occasion de le dire, et rien n’interdit de choisir un personnage
historique et de broder sur un canevas biographique des variations
imaginaires -- voire franchement fantaisistes. L’uchronie ne
permet-elle pas, à partir de légers détournements historiques (Napoléon a gagné
la bataille de Waterloo ou les Soviétiques ont été défaits à Stalingrad, par
exemple), de refaire le monde, ou plutôt de revoir l’Histoire, souvent avec
bonheur et de façon originale ? Alors, transformer le Président Lincoln en
un chasseur de vampires, ceux-ci ayant colonisé tout le Sud des Etats-Unis et
cherchant à dominer tout le pays, pourquoi pas ? Mais encore faut-il le
faire avec un minimum de talent et de savoir-faire, ne serait-ce que sur le
plan technique, ce qui, phénomène pour le moins étrange s’agissant d’un film
américain au budget confortable sinon opulent, est loin d’être le cas ici.
On trouve à l’origine du projet Seth
Grahame-Smith, écrivain américain habitué des détournements horrifiques (on lui
doit aussi Orgueil et préjugés et zombies,
paru chez Flammarion en 2009) et dont Tim Burton, ici co-producteur, semble s’être
entiché puisqu’il est aussi l’auteur du scénario de Dark Shadows et qu’on prête aux deux hommes quelques projets
communs. C’est donc un de ses propres romans (publié en français en 2011 aux
éditions Eclipse) que Grahame-Smith adapte ici, et le scénario s’attache d’abord
à la jeunesse de Lincoln (le Ford de Young
Mister Lincoln doit se retourner dans sa tombe !), étudiant en droit
devenu chasseur de vampires pour venger sa mère, malheureuse victime des
méfaits d’un affreux mort-vivant ; puis, devenu président, il doit
poursuivre sa mission pendant la guerre de Sécession pour assurer la victoire
du Nord contre une armée sudiste peuplée de vampires pour ainsi dire
indestructibles. Seule la ruse et l’audace de Lincoln, et surtout sa bonne
connaissance des mœurs vampiriques, lui permettront de remporter la bataille de
Gettysburg et de gagner la guerre, notamment en dotant les Bleus de munitions
coulées en argent -- puisque, comme chacun sait, seule une balle
en argent peut détruire un vampire.
Il y a une telle candeur naïve (ou
faut-il parler de culot de déménageur ?) dans l’invraisemblance assumée et
la crétinerie galopante du sujet, qu’on en serait presque admiratif. Mais
sachons raison garder, et le nom de Tim Burton, largement mis en avant par la
publicité, ne saurait nous égarer longtemps. On comprend d’ailleurs mal l’intérêt
qu’il paraît trouver dans son compagnonnage avec Grahame-Smith -- Dark Shadows n’étant sans doute pas le
meilleur scénario qu’il ait eu à se mettre sous la dent, je l'ai dit par ailleurs. Mais
après tout, répétons-le, on aurait pu prendre malgré tout quelque plaisir au
délire d’un scénario qui ne manque pas, parfois, d’une certaine alacrité dans
les péripéties.
Pour le coup cependant, il eut fallu
derrière la caméra un cinéaste d’un autre calibre que l’affligeant Timur
Bekmanbetov ( le mot « cinéaste » me paraît singulièrement déplacé le
concernant), dont il est encore plus étonnant que Tim Burton ait supporté la
redoutable incompétence. Car ce que l’on voit sur l’écran (ou plutôt ce que l’on
essaie de voir) ne relève que très lointainement du cinéma --
même de ce cinéma au goût du jour dont l’esthétique se situe à mi-chemin
du clip publicitaire (dont Bekmanbetov vient) et du jeu vidéo. A côté de lui,
Guy Ritchie passerait presque pour un modèle de sobriété -- c’est
dire.
Parler ici de mise en scène, d’écriture
cinématographique ou même de style, fût-il racoleur, est à peu près aussi
pertinent que de parler de démocratie à propos de la Corée du Nord. Ainsi
assiste-t-on atterré à une longue et indigeste bouillie d’images d’une laideur
définitive et filmée n’importe comment sans nul souci ne serait-ce que de
simple cohérence. Même les séquences qui devraient être spectaculaires (le combat
parmi le troupeau de chevaux, par exemple, ou le déraillement final du train)
ne brillent guère que par leur extrême confusion qu’obscurcit encore la
consternante médiocrité des éclairages de Caleb Deschanel -- un
chef-opérateur de talent pourtant. Mais tout se passe comme si la colossale
nullité de Bekmanbetov avait fait tache d’huile, vampirisant du même coup l’ensemble
de ses collaborateurs, comédiens compris, notamment l’excellent Dominic Cooper
dont on espère pour lui qu’il ne s’est embarqué dans cette galère que pour
honorer un quelconque redressement fiscal.
Face à un tel grand n’importe-quoi
qui traduit surtout un mépris absolu pour le spectateur réduit à l’état de
cochon de payant, face à une telle accumulation prétentieuse de non-cinéma, on
en vient à souhaiter, assez mesquinement j’en conviens, que toute l’entreprise
disparaisse finalement dans un grand désastre financier. Ce ne serait après
tout que justice.
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