14 juillet 2012

Un super-héros en très petite forme.


The Amazing Spider-Man, de Marc Webb (2012).

            Le filon des aventures de super-héros s’étant révélé jusqu’ici particulièrement juteux (mais pour combien de temps encore ?), les producteurs ne savent plus où donner de la tête, allant jusqu’à en enrôler une (presque) demi-douzaine pour sauver le monde (voir le récent et décevant Avengers ) ou à décider de revenir aux origines, comme ici. Ainsi, à peine dix ans après le premier épisode de la saga (Spider-Man, Sam Raimi, 2002), nous en propose-t-on aujourd’hui une sorte de vrai faux remake passablement réchauffé.


            Voici donc de nouveau Peter Parker (Andrew Garfield, très en vue depuis The Social Network, David Fincher, 2010), incarnation de la banalité américaine dans toute sa splendeur, all-American boy bien propret qui fréquente une high school ripolinée où ne manque qu’une escouade de pom-pom girls menées par quelque cheer-leader sexy que remplace ici avantageusement Emma Stone, parfaite elle aussi en girl next door irréprochable (ouf !). Le seul petit grain de sable dans la description de cette Amérique idéale et idyllique, presque d’un autre âge, tient à ce que Peter Parker privilégie le cerveau au détriment du muscle. Mais qu’importe : une simple piqure d’araignée mutante et voilà l’intellectuel métamorphosé en un super-héros capable des exploits physiques les plus ahurissants.

            Comme il faut bien un méchant à opposer à l’indomptable redresseur de torts, les scénaristes n’ont là encore guère fait d’efforts d’imagination en réactivant paresseusement la bonne vieille figure du savant fou façon Jekyll et Hyde  --  savant fou qui, ce coup-ci, se transforme en un lézard géant du genre vindicatif. Rhys Ifans, dans ce rôle sans surprise, cachetonne  d’un air ennuyé tout en paraissant se rappeler avec nostalgie sinon regret sa prestation d’homme sauvage dans le Human Nature de Michel Gondry (2001).

            La volonté revendiquée des promoteurs de l’entreprise étant, semble-t-il, de réinsérer le personnage de Spider-Man dans une trame prétendument réaliste, pour ne pas dire quotidienne, on attendait donc de Marc Webb, auteur de l’intéressant (500) jours ensemble ([500] Days of Summer, 2009), autre chose que cette suite de scènes terriblement convenues et essentiellement destinées un décrire une American way of life menacée par des menées terroristes  --  puisque c’est bien sous la forme d’un complot terroriste que sont présentés les sombres desseins du savant fou. On serait certes mal venu de reprocher à l’Amérique contemporaine de manifester encore de façon métaphorique des angoisses liées aux attentats du 11-septembre ; mais il n’est pas déplacé en revanche de trouver la métaphore d’une fadeur extrême en dépit de quelques séquences spectaculaires plutôt bien venues (c’est tout de même la moindre des choses avec une telle débauche de moyens) et qui viennent heureusement, mais sans surprise, tirer le spectateur de sa torpeur  --  un comble pour ce type de film.

            Face à tant de vacuité, étirée qui plus est sur plus de deux heures un quart de projection, on se console comme on peut, et pour les spectateurs de ma génération, la consolation passe par la nostalgie teintée d’une certaine tristesse de voir le Martin Sheen de Badlands (La Balade sauvage, Terrence Malick, 1974) ou d’Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979) et la Sally Field de Norma Rae (Martin Ritt, 1978) ou d’Absence de malice (Absence of Malice, Sidney Pollack, 19781) réduits à jouer sans grande conviction les seconds rôles vieillissants.

            Mais pourquoi finalement s’étonner et se dire déçu devant cette resucée insipide, alors que, déjà, les précédents opus de la série n’étaient finalement (mais c’est un avis personnel que beaucoup ne partagent pas) guère enthousiasmants ? Il me semble que les super-héros, par essence même, s’accommodent mal d’un contexte platement réaliste et qu’il convient plutôt d’emporter le spectateur dans un imaginaire un tant soit peu riche et original. Ou alors, en choisissant une autre direction, de jouer la carte du second degré et d’une certaine distanciation parodique, comme dans le récent Captain America (Captain America : the First Avenger, Joe Johnston, 2011). Rien de tel ici où un super-héros désincarné n’a plus pour mission que de générer de copieux profits puisque, comme le souligne Avi Arad, producteur du film (voir Le Monde du 7 juillet dernier), « ce qui détermine le succès, c’est le commerce ». On ne saurait mieux dire.

6 commentaires:

  1. Je reviens d’une salle de cinéma où j’ai pu assister à ce film (nonobstant votre critique d’il y a quelques jours). Même sans être transporté d’enthousiasme, je ne partage pas votre sévérité. Ce long-métrage remplit sa fonction, de façon relativement honnête même si point trop inspirée.

    Un aspect de la chose que vous avez omis de mentionner, est la bande dessinée dont il est (manifestement très, peut-être trop fidélement) adapté : au contraire des films de la décennie précédente, qui pouvaient se permettre une vision que d’aucuns ont décrit comme «personnelle et attachante» (ce sont de biens grands mots, je vous l’accorde volontiers), le cahier des charges de ce film était manifestement de choisir l’une des (cinq ou six) séries graphiques consacrées au personnage, et de s'y tenir scrupuleusement. En l’occurrence, la version "amazing", dont il a besoin pour se démarquer un tant soit peu des films précédents : ainsi de certains choix (montrer le héros démasqué, préférer les ruelles sombres aux panoramas dégagés du sommet des immeubles) qui me semblent affirmés presque à l’excès en "rupture" avec les films de S. Raimi.

    Dès lors, aucune surprise à attendre du scénario : une bande dessinée déjà vue et revue (et relativement insipide, je vous le conède) donne lieu à un film itou. Ce cadre étant fixé, chacun des ouvriers fait son travail de la façon la plus correcte qu’il puisse : interprètes, costumiers, éclairagistes, réalisateur... Je note d’ailleurs une animation assez soignée du personnage dans les airs, avec des postures déséquilibrées et hésitantes assez expressives et «humanisantes».

    On retrouve tout au plus quelques thématiques ébauchées dans les films précédents : l’adolescence, l’humanité "malgré tout" du méchant, l’ambiguité du héros qui ne doit pas se laisser guider par sa souffrance personnelle mais par son sens des "responsabilités", la figure du "vigilante" qui peu à peu devient icône américaine (y compris des classes populaires)... Tout cela est fait de façon plus appuyée, mais aussi plus didactique (voire moins convaincante), qu'auparavant : là encore il me semble deviner un souci de "faire autrement" par rapport à l’héritage des épisodes de 2002-2007.

    Toutefois, au-delà d’un cahier des charges que l’on devine pesant et d’un manque d’inspiration qui confine parfois à la maladresse, je n’ai pas l’impression d’un film «d’esbrouffe» ; le cinéaste prend le temps de raconter son histoire (si éculée fût-elle), de présenter ses personnages et son intrigue ; il ne tente de donner ni à ceux-ci ni à celle-là une ampleur à laquelle ils ne sauraient prétendre (ouf, on a échappé à la menace de destruction de la planète pour cette fois), et il relie les séquences spectaculaires sans chercher à charger inutilement la barque, en tâchant tant bien que mal de rappeler à chaque fois qu’il le peut que ses images fabriquées sont censées concerner des êtres humains.

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  2. Merci pour vos commentaires.
    J’observe malgré tout de votre part un manque d’enthousiasme certain pour un film certes pas détestable mais bien longuet et surtout de peu d’intérêt. Je suis en grande partie d’accord avec votre analyse. Le professionnalisme de l’entreprise est assurément bien agréable, mais n’est-ce pas le moins pour une production dont le budget dépasse les 200 millions de dollars ? J’ai sans doute eu tort de n’aborder que par la bande et trop fugitivement la dimension « socio-mythologique » du film, nettement supérieure à ses qualités proprement cinématographiques. Il y a là comme une nostalgie de l’innocence américaine où la figure du « vigilante » que vous évoquez peut être vue comme une variante du héros westernien par excellence. Mais dans ce domaine les Bronson (« Un Justicier dans la ville »/ »Death Wish », Michael Winner, 1974) ou Eastwood des années 70 (« Un Shériff à New-York »/ »Coogan’s Bluff », 1968, ou « L’Inspecteur Harry »/ »Dirty Harry », 1971, tous deux de Don Siegel) étaient autrement plus intéressants.

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  3. Autrement plus intéressants... Quoique postérieurs au Spiderman de S. Lee !

    Il est certain que tout cela est lié à une période de l’Amérique d’après-guerre où le cinéma (un certain cinéma, disons) et la bande dessinée (idem) se font l’écho de diverses problématiques sociétales. C’est d’ailleurs là tout l’enjeu de savoir _que faire_ de ces personnages dans le cinéma actuel : transposer aveuglément avec une grosse couche d’effets spéciaux (l’horrible Green Lantern de 2011), choisir la piste ouvertement parodique (le Green Hornet de Gondry), le clin-d’œil-point-trop-appuyé (Captain America que vous citiez), ou encore la nostalgie comme ici.

    Il est en tout cas manifeste que le cinéma « de super-héros » trouve aujourd’hui un public aussi enthousiaste que les lecteurs d’illustrés des années 60-70, et qu’il est encore possible, contre toute attente, de faire sautiller un bonhomme en costume moulant rouge-et-bleu parmi les gratte-ciels sans avoir peur du kitsch. Ce qui ne s’explique pas seulement par un éventuel besoin de consolation post-9/11, comme le montrent des films tels que le (sous-estimé) Phantom de 1996 ou même le premier Spiderman de S. Raimi, tourné avant "les" attentats.

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  4. Autrement plus intéressants par rapport aux grands mythes américains, voulais-je dire, et non bien sûr par rapport aux super-héros qui n’étaient pas encore sortis de leurs cases de bandes dessinées -- sinon pour quelques films à épisodes fauchés.
    Vous avez raison de souligner que ces super-héros fonctionnent encore bien puisqu’on accepte de bonne grâce la dimension effectivement très kitsch qui est souvent la leur. C’est peut-être aussi pourquoi une trame trop réaliste me paraît moyennement convaincante au cinéma. Je suis aussi parfaitement d’accord : sans doute ne faut-il voir dans le 11-septembre et ses suites que des épiphénomènes pour ce type de production -- mais des épiphénomènes non négligeables cependant.
    A propos des super-héros, et pour des approches différentes et originales, je ne saurais trop vous recommander « Les Gardiens », la bande dessinée de Dave Gibbon et Alan Moore (scénariste talentueux à qui l’on doit aussi « V pour Vendetta », la B.D., pas le film) et, côté roman, « Les extraordinaires aventures de Kavalier & Clay », de Michael Chabon, disponible en format de poche chez 10-18.

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  5. Il y a également une réflexion politique intéressante sur l'illégitimité des vigilantes en filigrane du "Dark Knight" de Frank Miller (une quinzaine d'années avant que ce dernier ne se fasse le nervi ignoble des néo-conservateurs huttingtoniens) ; en particulier avec les inserts de microtrottoirs "vox-pop" qui apportent un contrepoint fort intéressant (par exemple un citoyen qui déclare "j'adore Batman et j'approuve totalement son action ; j'espère qu'après la pègre il nous débarrasera des pédés et des nègres")... Ambigüité dont pas grand chose, faut-il le dire, ne reste dans les adaptations de Nolan, hélas. (À ce sujet, un article parodique amusant : http://legorafi.wordpress.com/2012/07/10/hollywood-inquiet-the-dark-knight-rises-pourrait-rendre-tous-les-autres-films-mediocres/ )

    C'est à juste titre que vous évoquez l'œuvre d'Alan Moore, qui reste d'une actualité remarquable nonobstant son ancrage historique (le Vietnam et la guerre froide dans Watchmen). "V for vendetta" pose un archétype de héros extrêmement intéressant dans son ambigüité (là encore, perdue dans l'adaptation cinématographique qui occulte par exemple totalement l'illégitimité de la Conspiration des poudres) : ainsi, parmi les volumes empilés dans son repaire se trouvent aussi bien "Das Kapital", "Dieu et l'état" de Bakounine... que "Mein Kampf".
    Cette ambivalence se retrouve d'ailleurs (sous une autre forme) dans les mouvements de protestation d'une certaine jeunesse déclassée dans les pays riches, où le personnage d'Alan Moore est souvent cité en modèle mais précisément dans sa version "hollywoodienne". Il y a à ce sujet une interview fort intéressante de Moore, qui a décidément mieux vieilli que Miller : http://www.guardian.co.uk/books/2011/nov/27/alan-moore-v-vendetta-mask-protest

    Je ne connais pas Kavalier & Clay ; j'y jetterai un coup d'œil.

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  6. Un long coup d'oeil, à mon avis: le livre fait plus de 800 pages...

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