Piégée
(Haywire), de
Steven Soderbergh (2011).
Un peu à l’instar de ses confrères
britanniques Stephen Frears et Michael Winterbottom, mais à la puissance quatre
ou cinq, l’Américain Steven Soderbergh apparaît depuis des années maintenant
comme une sorte de touche-à-tout plutôt doué et, à coup sûr, hyperactif (son
film suivant, Magic Mike !, sort
dès le mois prochain), capable de passer pour ainsi dire sans transition d’une
série noire traditionnelle à un film à la limite de l’expérimentation tout en
gagnant la confiance d’acteurs parmi les plus réputés, ce qui lui permet d’aligner
des castings impressionnants -- et
c’est encore une fois le cas avec ce film d’aventures certes sans surprise mais
que sauve grandement un brio tout à fait exceptionnel.
Rien de très original en effet dans
cette histoire de manipulation où diverses officines d’espionnage multiplient
les coups tordus destinés à compromettre et éliminer une agent d’élite qui
cogne sec (c’est Gina Carano, une vraie championne d’arts martiaux, et ça se
voit !), employée par une agence privée dirigée par un Ewan McGregor trop
poli pour être honnête. Inutile de chercher à comprendre le pourquoi du comment
d’une intrigue qui se soucie comme d’une guigne de la logique et de la
vraisemblance mais enchaîne sur un rythme soutenu les péripéties les plus
échevelées. On est ici de plain-pied dans le domaine du serial, ces films à épisodes d’autrefois où l’action comptait
davantage que la réflexion et qui multipliaient les moments forts en
privilégiant suspense et effets de surprise
-- ce que l’on appelle cliffhanging en bon français.
Comme Soderbergh connaît ses
classiques sur le bout des doigts et qu’en plus il a plutôt bon goût, c’est
cette fois du côté d’Alfred Hitchcock qu’il va butiner, le Hitchcock de La Mort aux trousses (North by Nothwest, 1959) notamment et qu’il
cite d’ailleurs assez explicitement avec la belle et grande maison d’architecte
qu’habite le père de l’héroïne. Mais ceux qui connaissent bien le cinéma du
grand Hitchcock savent que lorsqu’il se désintéressait de scénarios parfois
sans grand intérêt, il se rabattait sur la forme par le jeu d’une mise en scène
particulièrement brillante. C’est ce que fait ici Soderbergh, sans doute peu
inspiré par une intrigue relativement banale mais qui lui donne l’occasion de
multiplier les moments de pur cinéma. Limitant au maximum les séquences de
transition explicatives et platement bavardes, il se concentre sur les
(nombreuses) scènes où il peut déployer une aisance formelle proprement
époustouflante. A l’heure où le concept de mise en scène paraît être ignoré par
un nombre de plus en plus grand de cinéastes, voilà un film qui, nonobstant la
vacuité de son sujet (ou peut-être grâce à elle), devrait être projeté dans
toutes les écoles de cinéma du monde. Ceux qui, trop souvent, se considèrent
avant même d’avoir fait leur preuve comme les nouveaux Orson Welles y
apprendraient au moins à cadrer un plan, régler un travelling qui ne soit pas
tremblé ou monter une séquence de suspense.
Sans doute ne manquera-t-on pas de
reprocher à Soderbergh de brasser du vide et de perdre son temps avec des
sujets indignes de son talent. Non sans raison, j’en conviens. Mais, outre qu’on
aurait grand tort de vouloir à toute force hiérarchiser les genres (à ce titre,
l’œuvre d’Hitchcock serait bien peu de choses[1]),
je soutiens qu’il y a plus de cinéma dans certaines séquences de ce film mineur
que dans tous les longs métrages de Leos Carax réunis (exemple pris au hasard
de l’actualité). Mais peut-être ai-je une conception du cinéma complètement
obsolète. Qui sait ?
[1]
Mais on sait qu’il ne fut longtemps considéré par une partie de la critique que
comme un amuseur particulièrement habile. Sans parler d ‘autres cinéastes d’envergure
eux aussi ramenés à des genres jugés « mineurs » : Ford et ses
westerns qualifiés de « routiniers » ou Sirk et ses mélodrames
estimés « larmoyants ». Et l’on pourrait hélas multiplier les
exemples.
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