17 juillet 2012

"La mort aux trousses".


Piégée (Haywire), de Steven Soderbergh (2011).

            Un peu à l’instar de ses confrères britanniques Stephen Frears et Michael Winterbottom, mais à la puissance quatre ou cinq, l’Américain Steven Soderbergh apparaît depuis des années maintenant comme une sorte de touche-à-tout plutôt doué et, à coup sûr, hyperactif (son film suivant, Magic Mike !, sort dès le mois prochain), capable de passer pour ainsi dire sans transition d’une série noire traditionnelle à un film à la limite de l’expérimentation tout en gagnant la confiance d’acteurs parmi les plus réputés, ce qui lui permet d’aligner des castings impressionnants  --  et c’est encore une fois le cas avec ce film d’aventures certes sans surprise mais que sauve grandement un brio tout à fait exceptionnel.


            Rien de très original en effet dans cette histoire de manipulation où diverses officines d’espionnage multiplient les coups tordus destinés à compromettre et éliminer une agent d’élite qui cogne sec (c’est Gina Carano, une vraie championne d’arts martiaux, et ça se voit !), employée par une agence privée dirigée par un Ewan McGregor trop poli pour être honnête. Inutile de chercher à comprendre le pourquoi du comment d’une intrigue qui se soucie comme d’une guigne de la logique et de la vraisemblance mais enchaîne sur un rythme soutenu les péripéties les plus échevelées. On est ici de plain-pied dans le domaine du serial, ces films à épisodes d’autrefois où l’action comptait davantage que la réflexion et qui multipliaient les moments forts en privilégiant suspense et effets de surprise  --  ce que l’on appelle cliffhanging en bon français.

            Comme Soderbergh connaît ses classiques sur le bout des doigts et qu’en plus il a plutôt bon goût, c’est cette fois du côté d’Alfred Hitchcock qu’il va butiner, le Hitchcock de La Mort aux trousses (North by Nothwest, 1959) notamment et qu’il cite d’ailleurs assez explicitement avec la belle et grande maison d’architecte qu’habite le père de l’héroïne. Mais ceux qui connaissent bien le cinéma du grand Hitchcock savent que lorsqu’il se désintéressait de scénarios parfois sans grand intérêt, il se rabattait sur la forme par le jeu d’une mise en scène particulièrement brillante. C’est ce que fait ici Soderbergh, sans doute peu inspiré par une intrigue relativement banale mais qui lui donne l’occasion de multiplier les moments de pur cinéma. Limitant au maximum les séquences de transition explicatives et platement bavardes, il se concentre sur les (nombreuses) scènes où il peut déployer une aisance formelle proprement époustouflante. A l’heure où le concept de mise en scène paraît être ignoré par un nombre de plus en plus grand de cinéastes, voilà un film qui, nonobstant la vacuité de son sujet (ou peut-être grâce à elle), devrait être projeté dans toutes les écoles de cinéma du monde. Ceux qui, trop souvent, se considèrent avant même d’avoir fait leur preuve comme les nouveaux Orson Welles y apprendraient au moins à cadrer un plan, régler un travelling qui ne soit pas tremblé ou monter une séquence de suspense.

            Sans doute ne manquera-t-on pas de reprocher à Soderbergh de brasser du vide et de perdre son temps avec des sujets indignes de son talent. Non sans raison, j’en conviens. Mais, outre qu’on aurait grand tort de vouloir à toute force hiérarchiser les genres (à ce titre, l’œuvre d’Hitchcock serait bien peu de choses[1]), je soutiens qu’il y a plus de cinéma dans certaines séquences de ce film mineur que dans tous les longs métrages de Leos Carax réunis (exemple pris au hasard de l’actualité). Mais peut-être ai-je une conception du cinéma complètement obsolète. Qui sait ?



[1] Mais on sait qu’il ne fut longtemps considéré par une partie de la critique que comme un amuseur particulièrement habile. Sans parler d ‘autres cinéastes d’envergure eux aussi ramenés à des genres jugés « mineurs » : Ford et ses westerns qualifiés de « routiniers » ou Sirk et ses mélodrames estimés « larmoyants ». Et l’on pourrait hélas multiplier les exemples.

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