1 juin 2012

Fin de série (2).


Prometheus, de Ridley Scott (2012).

            Sale temps pour les séries et autres sagas. Après Men in Black 3, c’est au tour de Prometheus de démontrer à ceux qui l’ignoreraient encore que les meilleurs filons ont une fin. La saga Alien avait pourtant eu jusqu’ici beaucoup de chance : quatre films[1], tous réussis, confiés à quatre metteurs en scène radicalement différents[2] et parfois improbables mais qui tous surent faire œuvre originale et personnelle tout en respectant les contraintes du genre. Bouclant la boucle (même si ce film-ci se veut, de façon un  peu spécieuse, indépendant des autres), c’est à Ridley Scott qu’il revient aujourd’hui d’enterrer la série, lui qui le premier avait mis sur orbite le spectaculaire monstre extra-terrestre.


            Reprenant l’étrange chronologie choisie par Georges Lucas pour sa Guerre des Etoiles (on commence par le milieu, on achève la saga et puis on remonte aux origines), Prometheus apparaît donc comme une prequel des quatre films précédents en même que l’amorce d’une possible nouvelle série, le professeur Elizabeth Shaw (Noomi Rapace) remplaçant comme fil conducteur le lieutenant Ellen Ripley (Sigourney Weaver). Le scénario, assez filandreux, s’attache en effet à donner des explications sur la présence et l’origine du vaisseau naufragé découvert sur une planète inconnue au tout début de la saga, tout en ne répondant pas à quelques questions essentielles qui pourront ainsi faire l’objet d’une éventuelle sequel. On apprend donc que l’homme n’a pas été créé par un dieu (d’où des considérations mystico-religieuse un peu oiseuses), non plus que par un hypothétique « big bang », mais par une civilisation extra-terrestre qui a fini par se détourner de sa créature au point de vouloir l’éradiquer. D’où le vaisseau naufragé, rempli à ras-bord d’œufs d’aliens (qui ne sont en fait rien moins que des armes de destruction massive), tête de pont d’une invasion de la terre destinée à détruire toute l’espèce humaine. Les raisons de cette vindicte demeurent ici inconnues (en réserve pour un prochain épisode), mais à voir l’état d’énervement dans lequel l’apparition de quelques pauvres humains met un de ces extra-terrestres, on peut supposer qu’elles sont sérieuses. Voilà donc pour l’intrigue, aussi mince dans les grandes lignes qu’obscure dans les détails.

            Le spectateur avide de retrouver la célèbre et horrifique créature en sera donc pour ses frais : on ne la voit apparaître, et encore sous une forme relativement peu développée, que dans un rapide épilogue. Certes, l’étrange conception plastique et architecturale, comme ossifiée, imaginée par H.R.Giger pour le vaisseau et les scaphandres extra-terrestres occupe-t-elle ici très logiquement le centre du récit, mais elle semble avoir perdu une grande partie de sa puissance évocatrice. Attrait de la nouveauté en 1979, aujourd’hui quelque peu éventée ? Sans doute en partie, l’effet de surprise n’existant plus, mais aussi incapacité du cinéaste à communiquer par sa mise en scène un second souffle à un imaginaire pourtant toujours aussi séduisant. Le très fort sentiment d’angoisse glauque et suintante éprouvé lors de l’exploration du vaisseau au début du premier Alien [3] a bel et bien disparu, et Scott échoue à peu près tout au long du film à retrouver l’unité profonde de son coup d’essai. Tout se passe  comme si le réalisateur, incapable de maîtriser un scénario trop touffu et parfois même incohérent dans certaines de ses péripéties, hésitait sans cesse entre deux directions, celle fantastico-gore du premier Alien  (variations sur le thème gothique du château hanté par un monstre qui en tue tous les occupants) et une autre, nouvelle, tournée vers une imagerie « new age » qui laisse rêveur, non sans tenter au passage d’en ouvrir une troisième, celle de la dénonciation politique à travers le rôle trouble joué par la Weyland Company, multinationale qui finance l’expédition et dont le président, vieillard chenu interprété par un Guy Pearce méconnaissable, entend obtenir la vie éternelle à travers une sorte de nouveau pacte faustien. Scott peut dire que son film rejoint par là des préoccupations déjà affichées dans Blade Runner (1982) avec la toute puissante et très manipulatrice Tyrell Corporation, mais il est bien difficile de ne pas remarquer malgré tout l’indigence du propos tout en rappelant que les deux premiers épisodes, et notamment le second (Aliens), étaient autrement plus explicites et convaincants sur le jeu mené dans l’histoire par le complexe militaro-industriel.

            Fort de son indiscutable savoir-faire et d’une équipe technique très au point, Ridley Scott sauve cependant les meubles. On lui saura gré de mener finalement à bon port un récit menacé bien souvent de naufrage et surtout de savoir admirablement utiliser les paysages islandais qu’il transforme en une planète hostile et inconnue. L’une des forces du cinéaste, depuis ses débuts, tient d’ailleurs à l’usage qu’il fait des décors, et notamment des paysages  --  véritables colonnes vertébrales et principales lignes de force de récits qui, trop souvent, s’éparpillent dans toutes les directions, comme c’est ici le cas. Sans doute est-ce de ce côté-là que devront aller fouiner un jour les futurs exégètes de l’œuvre de Ridley Scott, s’il s’en trouve  --  Scott, un cinéaste assurément très irrégulier et habitué aux faux-pas mais capable de belles réussites et qui ne mérite pas le dédain critique dont on l’accable trop souvent. Ce coup-ci, c’est bien d’un faux-pas qu’il s’agit, et d’un faux-pas qui nous promet (peut-être) un Prometheus 2 ou un Alien 6. Serait-ce bien raisonnable ?



[1] Alien/Alien : le huitième passager (1979), Aliens/Aliens, le retour (1986), Alien 3 (1992) et enfin Alien Resurrection/Alien, la resurrection (1997).
[2] Respectivement Ridley Scott, James Cameron, David Fincher et Jean-Pierre Jeunet.
[3] Et qui fonctionne toujours aussi bien, je viens de le vérifier en revoyant la séquence.

5 commentaires:

  1. A la question restée en suspens à la fin de cette pertinente lecture du film, je réponds pour ma part par la négative. A moins qu'il ne se reprenne sérieusement ou, de manière plus raisonnable, qu'il passe simplement la main à d'autres.

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  2. ps : décidément, ce film nous poursuit partout : l'ordinateur vient de me demander de prouver que je ne suis pas un robot !

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  3. Grand merci pour vos commentaires.
    Je suis bien d'accord avec vous quant à une éventuelle suite. Mais Ridley Scott semble avoir d'autres projets. A suivre donc, si j'ose dire.
    C'est sans doute un robot qui vous demande si vous n'êtes pas un robot. Mais il y a robot et robot, et un robot qui apprécie "Lawrence d'Arabie" ne saurait être tout à fait mauvais.

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  4. Effectivement, ce film semble pour le moins boiteux, oscillant entre deux constructions classiques du film de science-fiction : le film de découverte, et celui de confrontation (les définitions sont de moi, soyons donc indulgents). En général, on choisit, et ça donne l'orientation du film.

    Le statut de "prequel" d'une série de films déjà largement chargés en confrontation(s) destinait logiquement Prometheus à la première catégorie (pensais-je). Mais... Outre le prologue qui dévoile tout et le décryptage un peu facile des gribouillis préhistoriques, l'ahurissante séquence "réveil de stase - briefing lapidaire - entrée dans l'atmosphère - atterrissage à proximité immédiate du noeud du problème - débarquement - découverte d'une autre forme de vie", le tout en moins de 24 heures (efficacité américaine, probablement), me laisse penser que la lente (et passionnante) découverte de la vérité n'est pas le propos de l'ami Scott.

    Et la confrontation, me direz-vous? Malgré des débuts prometteurs avec la fin des deux promeneurs du dimanche égarés dans le dôme (scène fort justement dosée en horreur sèche et glaçante), ça s'enlise très vite, du fait de la multiplicité des formes d'adversité et de l'absence d'un "bad guy" identifiable et percutant. Du coup, ça s'éparpille entre sangsue géante (et méchante), substance noirâtre (et méchante) qui contamine où rend fou (et méchant - ça doit dépendre du caractère de départ), foetus extraterrestre (et méchant) ayant la particularité de grandir sans arrêt (!), ingénieur albinos adepte du culturisme (et, vous l'aurez compris, méchant)... Jusqu'à, finalement, un Alien qui apparaît alors que tout le monde a déjà passé l'arme à gauche. Dommage, il a dû être déçu. La cohérence de l'action s'en ressent et laisse un gout d'inachevé (surtout pour un film de Ridley Scott).

    Reste quelques (très) belles images et des acteurs, notamment les seconds rôles, qui valent la peine. Etait-il pour autant utile de faire jouer un vieillard par Guy Pearce, à peine sorti de sa prison spatiale?...

    Bref, on est déçu, quand même.

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  5. Extrêmement déçu par ce film
    La construction du film repose sur son premier film, un peu comme s'il "s'auto plagiait"
    Difficile de faire mieux que "Alien, le 8ème passager"
    L'apport de la projection en 3D (si c'est un apport) est qu'il est bon de temps en temps d'avoir des fils qui pendouillent dans certaines scènes, les tentacules marchent bien aussi. Je retiendrai la leçon, pratiquant des prises de photos en stéréoscopie
    Pas sûr qu'on apprenne du neuf avec la suite du début...

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