Woody
Allen : A Documentary, de Robert B. Weide (2012).
Il est toujours difficile de
consacrer un documentaire à un cinéaste, surtout quand on l’admire. Il faut
d’abord décider d’une approche générale (thématique ou chronologique) tout en
ayant une vision claire de son sujet, savoir ensuite choisir des extraits de
films significatifs, recueillir enfin des témoignages et des commentaires
pertinents et qui surtout évitent de tomber dans l’anecdote facile ou la
flagornerie servile. Rien de tel avec ce film qu’on nous propose aujourd’hui en
salle (alors qu’il aurait bien mieux valu le diffuser à la télévision) et qui
non seulement n’évite aucun des pièges attendus mais semble au contraire y
tomber avec une sorte de délectation masochiste
-- et peut-être finalement très
allénienne.
Car, ce n’est pas une découverte,
Woody Allen (mensonge ou vérité ?) ne s’apprécie guère, fidèle en cela à
la célèbre formule de Groucho Marx qu’il a faite sienne : « Je
n’accepterais jamais d’entrer dans un club qui m’accepterait comme
membre ». L’un des rares intérêts
du film tient justement à ce qu’il donne assez largement la parole à un
cinéaste relativement avare de confidences, même si ces propos, assez
complaisamment recueillis (pour ne pas dire pieusement), demeurent trop souvent
au niveau de détails pittoresques. Il est toujours intéressant de suivre un
créateur dans son arrière-boutique, là où l’œuvre s’élabore. On retiendra donc
de façon superficielle mais sympathique et amusante ses
« paperolles » sur lesquelles, où qu’il se trouve, il consigne les
idées qui lui viennent, la vieille machine à écrire indestructible sur laquelle
il travaille depuis ses débuts et sa technique très personnelle du
« copier/coller ».
Mais on est là davantage dans
l’anecdote que dans l’analyse. Robert Weide commence son film en adoptant une
démarche chronologique, une façon de procéder certes un peu scolaire (ce n’est
pas pour autant un défaut) mais sans grand risque. Rien (ou presque) ne nous
est donc caché de l’enfance du maître, de ses débuts comme « stand up
comedian », de ses premiers scénarios, de ses premiers films et de ses
premiers succès. Les choses traînent bien un peu en longueur, se perdant dans
des détails inutiles, mais on suit au moins de façon claire sinon passionnante
l’évolution de sa carrière, et ses progrès dans l’écriture tant scénaristique
que proprement cinématographique y sont justement soulignés --
tout comme est souligné l’apport sans doute déterminant du chef-opérateur
Gordon Willis, sur Annie Hall (1977)
et Manhattan (1979) notamment. Mais
ensuite, après Stardust Memories
(1980) et Comédie érotique d’une nuit
d’été (A Midsummer Night’s Sex Comedy,
1982), le documentaire perd progressivement son fil conducteur chronologique
(difficile à suivre compte tenu de la
production pléthorique du cinéaste) et s’égare dans des considérations oiseuses
à propos d’une œuvre où les échecs l’emportent rapidement sur les réussites, et
dans des proportions écrasantes.
Peut-être est-ce d’ailleurs la
tournure prise par l’œuvre allénienne elle-même dès 1980 qui explique
l’embarras de Weide. Comment, dans un documentaire qui se veut une hagiographie
respectueuse, presque une biographie autorisée,
dire que l’inspiration de son idole commence à se tarir, qu’il n’est bientôt
plus que l’ombre de lui-même et qu’il ne reviendra jamais plus au niveau de ces
réussites absolues qu’ont été Annie Hall
et Manhattan --
sinon à de rares exceptions près (Hannah
et ses sœurs/Hannah and Her Sisters, 1986, ou Une autre femme/Another Woman, 1988, par exemple), et encore sur un
mode mineur ? Ceux qui s’intéressèrent de près au cinéma de Woody Allen
dans ces années-là (j’étais du nombre) peuvent en témoigner : après
l’éblouissement inattendu que furent Annie
Hall, Intérieur (Interiors, 1978) et Manhattan, il était compliqué d’admettre que tout avait été à peu
près dit et que la suite serait le plus souvent décevante.
Weide se garde bien d’ailleurs
d’esquisser le moindre bilan critique, préférant enchaîner sur ses derniers
films, de Match Point (2005), assurément
un de ses meilleurs depuis longtemps, à Minuit à Paris (Midnight in
Paris, 2011), un de ses plus gros succès commerciaux sans doute, mais au
demeurant une réussite modeste -- tout en oubliant au passage Whatever Works (2009) qui retrouvait en
demi-teinte le charme et la verve d’Annie
Hall et de Manhattan et alors
même que Larry David, son acteur principal, est appelé à témoigner brièvement.
Mais, pour le reste, il ne s’attarde guère sur vingt-cinq années (après Manhattan et jusqu’à Match Point) de production abondante
mais routinière et même parfois franchement mauvaise (en gros tout ce qui va de
Maudite Aphrodite (Mighty Aphrodite, 1995) à Melinda et Melinda (Melinda and Melinda, 2004). Il est certes bien difficile, surtout
quand on l’a beaucoup apprécié, de s’attaquer à un cinéaste mythifié à l’excès,
notamment par la critique française qui ne lui a guère rendu service en
l’encensant sans discernement, y compris pour des films aussi effroyablement
ratés que Tout le monde dit – I Love You
(Everyone Says I Love You, 1996) ou Harry dans tous ses états (Deconstructing Harry, 1997). Aussi
comprend-on d’autant moins que Weide n’ait pas insisté davantage sur Hannah et ses sœurs ou Une autre femme, un titre qui n’est même
pas cité. Sans doute ne pouvait-il pas répertorier les quarante longs métrages
réalisé à ce jour par Woody Allen (je ne compte pas le dernier, et
quarante-et-unième, qui va sortir début juillet, To Rome with Love). Mais il lui était possible tout de même d’opérer
des choix plus judicieux, comme de ne pas trop s’attarder sur les pochades de
ses débuts (Prends l’oseille et
tire-toi/Take the money and run, 1969, Bananas,
1971, ou même Woody et les robots/Sleeper,
1973), d’établir une hiérarchie des œuvres plus rigoureuse, d’éviter de se
perdre dans des anecdotes stériles qui n’amusent que ceux qui les racontent et
surtout d’éliminer impitoyablement des témoignages, inutiles le plus souvent,
parfois même d’un grotesque achevé et qui, de dithyrambes en platitudes,
finissent par donner une image fausse et tronquée du cinéaste.
Il n’y a guère que le producteur
Roger Greenhut à faire preuve d’un peu de pertinence au sein de cet aréopage où
même Martin Scorsese (mais que vient-il faire dans cette galère ?) ne réussit
qu’à débiter des banalités de circonstance, quand il explique avoir encouragé
son ami à réduire son rythme de production. Mais Allen ne l’a pas suivi, lui
qui reconnaît honnêtement préférer la quantité à la qualité : peut-être
parmi tous ces films, parfois sans grand intérêt, se glissera-t-il un jour une
véritable pépite ? Faut-il voir là l’aveu ultime et amèrement lucide d’un
cinéaste qui avait somme toute peu à dire, qui l’a dit très tôt et très bien et
qui a ensuite profité d’une confortable rente de situation en attendant un
miracle qui n’est jamais venu ? Mais demain, qui sait si…
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