Le
Passé, de Asghar Farahdi (2013).
Après le succès critique et public
plutôt inattendu de son précédent film (Une
Séparation, 2010), le cinéaste iranien Asghar Farhadi revient avec un
nouvel opus où il poursuit dans la voie qu’il fraie pour ainsi dire depuis ses
débuts. Les relations interpersonnelles au sein d’une famille, le drame des
séparations et les lentes et parfois pénibles reconstructions qui s’ensuivent,
les difficultés pour communiquer et se comprendre dans des situations d’un
antagonisme extrême -- autant de thèmes qu’il reprend d’œuvre en
œuvre avec obstination, module et fait évoluer. Cette fois cependant, il quitte
son Iran natal pour se transporter en France
-- mais sans pour autant
éclaircir une palette aux couleurs particulièrement sombres.
Une jeune femme, Marie (Bérénice
Bejo), demande à son mari Ahmad (Ali Mosaffa) de revenir de Téhéran pour
procéder aux formalités de leur divorce. Elle a rencontré Samir (Tahir Rahim)
qu’elle veut épouser et dont elle est enceinte. Lucie, sa fille aînée (Pauline
Burlet), vit particulièrement mal cette situation et se confie peu à peu à
Ahmad --
qui n’est pas son père. Des vérités douloureuses vont peu à peu sourdre
du passé. Voilà pour l’anecdote, à la fois très tendue et, en dépit de la
longueur du film (deux heures et dix minutes) curieusement dédramatisée dans ses
développements -- sauf dans la dernière demi-heure où un
suspense quelque peu artificiel vient polluer un huis-clos qui se suffisait
largement à lui-même.
Car c’est dans l’affrontement entre
des personnages qui ne se comprennent plus que Farhadi maîtrise le mieux son
affaire, plaçant le spectateur dans une position inconfortable -- une position de voyeur malgré soi, de
spectateur incongru confronté à des personnages arrivés au paroxysme de
sentiments finalement destructeurs. Tout cela ne manque ni de force ni de
densité, convenons-en, même si l’on a bien du mal à nourrir la moindre empathie
pour des personnages qui nous demeurent en grande partie étrangers. Un seul
échappe à ce marasme existentiel pour prendre une vraie dimension tragique, ce
tragique dont le film manque cruellement
-- celui de Lucie, la fille
sacrifiée, qui bénéficie il est vrai du jeu particulièrement lumineux de la
jeune et prometteuse Pauline Burlet.
Mais pour le reste, en dépit de la
qualité de comédiens très justement dirigés, on demeure comme étrangers à une
histoire que l’on suit embarrassés, ressentant de la gêne plutôt que de
l’émotion -- exactement comme pour Amour voici peu. Le film suscite assurément le plus grand respect,
mais on l’admire d’un peu loin sans parvenir à l’aimer tout à fait. Et ce
cinéma qui prétend adopter un point de vue faussement objectif en observant
froidement des êtres en pleine déliquescence affective oblige à l’inverse le
spectateur à se réfugier dans un jugement violemment subjectif en forme
d’adhésion ou de rejet. Sans doute est-ce sa grandeur --
mais une grandeur qui nourrit ses propres limites.
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