8 juin 2013

Une séparation et ce qui s'ensuit.



Le Passé, de Asghar Farahdi (2013).

            Après le succès critique et public plutôt inattendu de son précédent film (Une Séparation, 2010), le cinéaste iranien Asghar Farhadi revient avec un nouvel opus où il poursuit dans la voie qu’il fraie pour ainsi dire depuis ses débuts. Les relations interpersonnelles au sein d’une famille, le drame des séparations et les lentes et parfois pénibles reconstructions qui s’ensuivent, les difficultés pour communiquer et se comprendre dans des situations d’un antagonisme extrême  --  autant de thèmes qu’il reprend d’œuvre en œuvre avec obstination, module et fait évoluer. Cette fois cependant, il quitte son Iran natal pour se transporter en France  --  mais sans pour autant éclaircir une palette aux couleurs particulièrement sombres.

            Une jeune femme, Marie (Bérénice Bejo), demande à son mari Ahmad (Ali Mosaffa) de revenir de Téhéran pour procéder aux formalités de leur divorce. Elle a rencontré Samir (Tahir Rahim) qu’elle veut épouser et dont elle est enceinte. Lucie, sa fille aînée (Pauline Burlet), vit particulièrement mal cette situation et se confie peu à peu à Ahmad  --  qui n’est pas son père. Des vérités douloureuses vont peu à peu sourdre du passé. Voilà pour l’anecdote, à la fois très tendue et, en dépit de la longueur du film (deux heures et dix minutes)  curieusement dédramatisée dans ses développements  --  sauf dans la dernière demi-heure où un suspense quelque peu artificiel vient polluer un huis-clos qui se suffisait largement à lui-même.

            Car c’est dans l’affrontement entre des personnages qui ne se comprennent plus que Farhadi maîtrise le mieux son affaire, plaçant le spectateur dans une position inconfortable  --   une position de voyeur malgré soi, de spectateur incongru confronté à des personnages arrivés au paroxysme de sentiments finalement destructeurs. Tout cela ne manque ni de force ni de densité, convenons-en, même si l’on a bien du mal à nourrir la moindre empathie pour des personnages qui nous demeurent en grande partie étrangers. Un seul échappe à ce marasme existentiel pour prendre une vraie dimension tragique, ce tragique dont le film manque cruellement  --  celui de Lucie, la fille sacrifiée, qui bénéficie il est vrai du jeu particulièrement lumineux de la jeune et prometteuse Pauline Burlet.

            Mais pour le reste, en dépit de la qualité de comédiens très justement dirigés, on demeure comme étrangers à une histoire que l’on suit embarrassés, ressentant de la gêne plutôt que de l’émotion  --  exactement comme pour Amour voici peu. Le film suscite assurément le plus grand respect, mais on l’admire d’un peu loin sans parvenir à l’aimer tout à fait. Et ce cinéma qui prétend adopter un point de vue faussement objectif en observant froidement des êtres en pleine déliquescence affective oblige à l’inverse le spectateur à se réfugier dans un jugement violemment subjectif en forme d’adhésion ou de rejet. Sans doute est-ce sa grandeur  --  mais une grandeur qui nourrit ses propres limites.

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