20 juin 2013

Tintin au Brésil.



Réédition de L’Homme de Rio, de Philippe de Broca (1963).

            Curieuse destinée que celle de Philippe de Broca (né en 1933, la même année que Belmondo et un an après François Truffaut, et disparu en 2004), cinéaste un peu oublié aujourd’hui après avoir été longtemps méprisé par la critique  --  et que de récentes sorties en DVD blu-ray (Le Magnifique, Les Tribulations d’un Chinois en Chine et … L’Homme de Rio justement)  semblent vouloir timidement réhabiliter. Formé par l’école de la rue de Vaugirard sans être passé par la case cinéphilique des Cahiers du Cinéma et de ses annexes, il s’est d’abord frotté à quelques vieux briscards dénués de génie mais pas de savoir-faire (Georges Lacombe notamment, sur Cargaison blanche, 1957[1]) avant d’assister François Truffaut et surtout Claude Chabrol qui produira en 1960 ses deux premiers longs métrages, Le Farceur et Les Jeux de l’Amour.

Incarnant admirablement l’esprit plein d’humour et de légèreté du cinéaste, Jean-Pierre Cassel était alors son acteur fétiche, que l’on retrouve également dans L’Amant de cinq jours (1961) et, en 1964, dans Un Monsieur de compagnie, que de Broca réalisa entre L’Homme de Rio et Les Tribulations d’un Chinois en Chine (1965), tous deux interprétés cette fois par Jean-Paul Belmondo. Rencontré sur le plateau d’A double tour de Chabrol, Belmondo devint ainsi, après le très grand succès de Cartouche en 1962, son acteur de prédilection et on peut dire que de Broca a largement contribué à façonner son image de jeune premier à l’esprit frondeur, cascadeur rigolard, dilettante et charmeur.

Evoluant dans un monde à la fantaisie de bon aloi, de Broca aurait pu ouvrir une voie originale entre le cinéma battu en brèche de la qualité française et celui, qui se voulait alors novateur (et l’était à sa façon), de la Nouvelle Vague, en compagnie d’un Michel Deville par exemple (lui aussi passé par l’assistanat, notamment aux côtés d’Henri Decoin pendant une bonne dizaine d’années). L’un et l’autre s’attachèrent la collaboration de scénaristes aussi brillants que fidèles et qui jouèrent un rôle non négligeable dans l’évolution de leur cinéma  --  Daniel Boulanger pour de Broca et Nina Companeez pour Deville. Mais sans pourtant fédérer autour d’eux un véritable mouvement, ce qu’on peut aujourd’hui regretter[2]  --  mais le voulaient-ils vraiment ?

            En dépit d’une seconde partie de carrière moins convaincante, il serait intéressant de réévaluer aujourd’hui l’œuvre de de Broca[3], y compris ses films qui déçurent par excès d’ambition plus ou moins bien assumée (je pense au Roi de cœur, 1966). Il fut un temps où l’on aimait bien ce qu’il faisait mais sans jamais se départir d’une forme de condescendance qui amenait les exégètes à lui refuser obstinément un quelconque statut d’auteur  --  tout en prenant un plaisir certain à ses productions. Ajoutons à cela que tout ce qui relève de la fantaisie, de l’humour et de la comédie était (et est toujours) souvent sous-estimé pour ne pas dire mal considéré car jugé trop léger.

On est donc d’autant plus heureux de retrouver aujourd’hui un Homme de Rio en pleine forme, réussite brillante, comédie d’aventures au rythme vif et enjoué, très bien écrite par un quatuor de scénaristes particulièrement inspirés  --  outre de Broca et Boulanger, Jean-Paul Rappeneau et Ariane Mnouchkine[4]. Cette course-poursuite menée à un train d’enfer (pour l’époque, une époque où tout allait moins vite) qui mène un permissionnaire débrouillard et casse-cou de Paris à Rio, Sao Paulo, l’Amazonie et retour, le tout en moins d’une semaine, s’inscrit dans une tradition de bande dessinée fort bien venue, et il est évident que le héros désinvolte de ces aventures aussi échevelées et réjouissantes qu’invraisemblables (mais qu’importe !) évoque une sorte de mélange de Bibi Fricotin et de Tintin, le Tintin des « Sept boules de cristal » par exemple  --  et avec infiniment plus de charme et de force de conviction que le récent et cacophonique barnum du pourtant talentueux Steven Spielberg (Le Secret de la Licorne, 2009).

            Mais peut-être les jeunes générations, nourries d’un cinéma au montage autrement  plus rapide, trouveront-elles le divertissement un peu languissant  --  rien n’est moins sûr cependant. Mais ceux qui avaient entre dix et trente ans  lors de la sortie du film en 1963 (l’âge de Belmondo et de Broca à l’époque) et qui en gardent un souvenir ému, retrouveront le plaisir presque proustien (à chacun sa madeleine !) que l’on éprouve en se replongeant dans un vieil album d’Hergé ou de quelques autres grands maîtres de la ligne claire et des aventures rocambolesques. Ce qui n’est déjà pas si mal après tout.


[1] Dont il est amusant de noter au passage que le scénario de ce film sérieusement ringard s’inspire d’un reportage intitulé « Le Chemin de Rio ».
[2] Une étude précise et documentée de ce cinéma, qu’il conviendrait sans doute de réévaluer, reste donc à faire.
[3] Le scénariste Jérôme Tonnerre s’y employa jadis, du temps qu’il était critique de cinéma  --  sous les moqueries de ses petits camarades, et nous avions bien tort.
[4] Qui travaillait alors pour le cinéma et notamment pour son père, Alexandre Mnouchkine, et sa maison de production baptisée…  les Films Ariane.

3 commentaires:

  1. "Le Magnifique", un de mes films cultes, excellent. La première vision de ce film m'avait dérouté, ce mélange réalité-fiction dans son quotidien. Assez subtile, d'une grande sensibilité

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  2. Le cavaleur, ce chef d'oeuvre mésestimé du cinéma français...Notez qu'une rétrospective est prévue le mois prochain à la Cinémathèque.

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    1. Rétrospective qui permettra de réévaluer le travail de de Broca -- dont malheureusement la fin de carrière a été plus que décevante.

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