3 juin 2013

Un formalisme sans issue?



Only God Forgives, de Nicolas Winding Refn (2013).

            Partisan d’un cinéma radical et d’une violence souvent extrême, Nicolas Winding Refn a connu une sorte de consécration en recevant, à l’occasion du festival de Cannes 2011, pour son précédent film, Drive, non point la Palme d’or (qui échut à Terrence Malick) mais le Prix de la mise en scène  --  distinction d’autant plus justifiée que la forme importe souvent davantage pour lui que le fond. Only God Forgives, présenté à Cannes cette année mais passé plutôt inaperçu, s’inscrit dans une démarche formaliste plus proche du Guerrier silencieux (Valhalla Rising, 2009), fascinante expérience non verbale, que de Drive où un fil narratif relativement charpenté (il s’agissait de l’adaptation d’un roman de James Sallis[1])  compensait la tendance esthétisante, voire pictorialiste, du cinéaste.

            Rien de tel ici où l’intrigue, de nouveau de type criminel, est à peu près réduite à l’os, enchaînant à partir d’un crime aussi gratuit que sadique une série de vengeances sanglantes arbitrées par un policier silencieux et impitoyable  --  peut-être le dieu tout puissant du titre, qui seul peut pardonner. Situé en Thaïlande, le récit suit son cours de façon assez paresseuse et linéaire, avec des personnages dont on ne saura que peu de choses, leur psychologie se réduisant à leurs actions. Non sans que le cinéaste, pour échapper peut-être à ce behaviourisme hiératique, ne joue de façon un peu forcée sur le pittoresque extérieur de certains d’entre eux : de la mère, blonde peroxydée, abusive, castratrice et démoniaque, incarnée avec une belle abnégation par Kristin Scott Thomas, au policier thaï (Vithaya Pansringarm) qui chante dans un très improbable cabaret des romances sentimentales entre deux séances de tortures. 

            Mais il est bien évident, et on ne lui reprochera pas a priori, que Winding Refn se refuse, ici comme dans ses autres films, à une approche réaliste du monde. La vision qu’il propose de Bangkok rejoint celle de l’Orient rêvé autrefois par un von Sternberg , stylisé et réduit à des apparences décoratives et à de mystérieux ballets d’ombres et de lumières, à une symphonie de couleurs où le rouge domine plus que largement  --  un rouge sanguinolent qui colore un jeu de vengeances inexpiables. Cependant, tout comme Sternberg, en réduisant son propos à une esthétique extrêmement travaillée, il néglige de développer un scénario qui perd rapidement de son intérêt. Ainsi peut-on lui faire le même reproche qu’à Cristian Mungiu ou Sergeï Loznitsa récemment  --  celui de tomber dans une sorte de narcissisme visuel, dans une auto-fascination pour les beautés (bien réelles, convenons-en) de sa mise en scène, oubliant dans l’affaire qu’un cinéaste, aussi doué soit-il, ne saurait pour autant se passer d’un scénario efficacement travaillé. Aussi, dans cette logique stylistique purement formaliste, Winding Refn finit par négliger ses acteurs, qu’il ramène à des sortes d’épures, mutiques pour certaines, réservant à la seule Kristin Scott Thomas des débordements dramaturgiques à la limite de la caricature.

            L’ensemble ne manque pas pour autant de force, et génère même à la longue une forme de fascination  --  preuve sans doute que le cinéaste n’a pas vraiment raté son coup. Mais on peut comprendre aussi que certains n’éprouvent face à ce spectacle lent et funèbre qu’une certaine lassitude, voire un ennui profond. Winding Refn n’a-t-il pas ainsi atteint les limites de son art et, plutôt que de se répéter de façon stérile en s’enfonçant dans un formalisme sans issue, ne doit-il pas chercher à frayer de nouvelles voies  --  exactement comme il a su si bien le faire  avec Drive ?


[1] Disponible en traduction dans la collection Rivages/Noir.

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