Only
God Forgives, de Nicolas Winding Refn (2013).
Partisan d’un cinéma radical et
d’une violence souvent extrême, Nicolas Winding Refn a connu une sorte de
consécration en recevant, à l’occasion du festival de Cannes 2011, pour son
précédent film, Drive, non point la
Palme d’or (qui échut à Terrence Malick) mais le Prix de la mise en scène --
distinction d’autant plus justifiée que la forme importe souvent davantage
pour lui que le fond. Only God Forgives,
présenté à Cannes cette année mais passé plutôt inaperçu, s’inscrit dans une
démarche formaliste plus proche du Guerrier
silencieux (Valhalla Rising,
2009), fascinante expérience non verbale, que de Drive où un fil narratif relativement charpenté (il s’agissait de
l’adaptation d’un roman de James Sallis[1])
compensait la tendance esthétisante,
voire pictorialiste, du cinéaste.
Rien de tel ici où l’intrigue, de
nouveau de type criminel, est à peu près réduite à l’os, enchaînant à partir
d’un crime aussi gratuit que sadique une série de vengeances sanglantes
arbitrées par un policier silencieux et impitoyable --
peut-être le dieu tout puissant du titre, qui seul peut pardonner. Situé
en Thaïlande, le récit suit son cours de façon assez paresseuse et linéaire,
avec des personnages dont on ne saura que peu de choses, leur psychologie se
réduisant à leurs actions. Non sans que le cinéaste, pour échapper peut-être à
ce behaviourisme hiératique, ne joue
de façon un peu forcée sur le pittoresque extérieur de certains d’entre
eux : de la mère, blonde peroxydée, abusive, castratrice et démoniaque, incarnée
avec une belle abnégation par Kristin Scott Thomas, au policier thaï (Vithaya
Pansringarm) qui chante dans un très improbable cabaret des romances
sentimentales entre deux séances de tortures.
Mais il est bien évident, et on ne
lui reprochera pas a priori, que
Winding Refn se refuse, ici comme dans ses autres films, à une approche
réaliste du monde. La vision qu’il propose de Bangkok rejoint celle de l’Orient
rêvé autrefois par un von Sternberg , stylisé et réduit à des apparences
décoratives et à de mystérieux ballets d’ombres et de lumières, à une symphonie
de couleurs où le rouge domine plus que largement -- un
rouge sanguinolent qui colore un jeu de vengeances inexpiables. Cependant, tout
comme Sternberg, en réduisant son propos à une esthétique extrêmement
travaillée, il néglige de développer un scénario qui perd rapidement de son
intérêt. Ainsi peut-on lui faire le même reproche qu’à Cristian Mungiu ou
Sergeï Loznitsa récemment -- celui de tomber dans une sorte de narcissisme
visuel, dans une auto-fascination pour les beautés (bien réelles, convenons-en)
de sa mise en scène, oubliant dans l’affaire qu’un cinéaste, aussi doué
soit-il, ne saurait pour autant se passer d’un scénario efficacement travaillé.
Aussi, dans cette logique stylistique purement formaliste, Winding Refn finit
par négliger ses acteurs, qu’il ramène à des sortes d’épures, mutiques pour
certaines, réservant à la seule Kristin Scott Thomas des débordements
dramaturgiques à la limite de la caricature.
L’ensemble ne manque pas pour autant
de force, et génère même à la longue une forme de fascination --
preuve sans doute que le cinéaste n’a pas vraiment raté son coup. Mais
on peut comprendre aussi que certains n’éprouvent face à ce spectacle lent et
funèbre qu’une certaine lassitude, voire un ennui profond. Winding Refn
n’a-t-il pas ainsi atteint les limites de son art et, plutôt que de se répéter
de façon stérile en s’enfonçant dans un formalisme sans issue, ne doit-il pas
chercher à frayer de nouvelles voies
-- exactement comme il a su si
bien le faire avec Drive ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire