Gatsby
le magnifique (The
Great Gatsby), de Baz Luhrmann (2013).
Que je sois honnête : ce n’est
certes pas le nom de Baz Luhrmann qui m’a incité à aller voir ce Great Gatsby, présenté tout de même en
ouverture du festival de Cannes (on croit rêver !), mais bien sûr le livre
de Scott Fitzgerald, pas son meilleur peut-être (on peut lui préférer
« Tendre est la nuit »), mais assurément un des grands romans
américains de la première moitié du XXème siècle cependant, et un
des plus mythiques. Aussi pouvait-on craindre le pire d’un cinéaste qui n’a
guère brillé jusqu’ici, sinon par des débauches de choix esthétiques
particulièrement clinquants -- et le pire est bien arrivé et même, si l’on
ne craignait de pratiquer l’hyperbole, le pire du pire.
Non point que Luhrman trahisse le
moins du monde le roman quant à la lettre. Le spectateur un tant soit peu
familier de « Gatsby » y retrouvera tous les fils d’une intrigue
somme toute assez simple et dont l’intérêt tient davantage à l’atmosphère, à la
construction et au texte lui-même qu’à ses péripéties. Un texte que le cinéaste
et son co-scénariste (Craig Pearce) respectent d’ailleurs très scrupuleusement,
du fameux incipit (« Quand j’étais plus jeune et plus vulnérable… »)
à sa mémorable dernière phrase : « C’est ainsi que nous avançons,
barques à contre-courant, ramenés sans cesse vers le passé. » Une phrase
qui, à elle seule, résume une large part de la sensibilité fitzgéraldienne.
Comme dans le roman, il revient ici à un personnage secondaire à l’action, mais
témoin privilégié et quasiment omniscient, Nick Carraway (Toby Maguire), de
raconter rétrospectivement l’histoire de Jay Gatsby (Leonardo DiCaprio),
richissime parvenu dont toute l’existence consiste à retrouver et reconquérir
Daisy Buchanan (Carey Mulligan), son grand et unique amour. Mais c’est bien en
vain que dans cette approche servilement scolaire on chercherait un Scott
Fitzgerald pourtant présent dans chaque ligne de son roman. De cette chronique
des années vingt, dont l’écrivain fut à coup sûr un des porte-étendards (mais
il serait pour le moins léger de le réduire à cela), Luhrmann, avec
l’habituelle complicité de Catherine Martin, sa production designer et costumière d’épouse, n’a su ou voulu
conserver que la reconstitution d’une époque pleine de bruit, d’alcool et de
musique en l’affublant des oripeaux les plus tapageurs qui soient -- et
sur ce plan, Gatsby lui donne autant
de grain à moudre aujourd’hui que Moulin
Rouge ! en 2001.
Aussi, non content de ne rien
comprendre au désenchantement fitzgéraldien, à la fêlure existentielle de sa
vie et de son œuvre, Luhrman opère-t-il un complet contresens en se vautrant
dans ce luxe douteux que précisément le roman dénonce. Ni charme ni émotion ne
sourdent de cette entreprise aussi absurde qu’extravagante, à mi-chemin du clip
publicitaire ultrasophistiqué et de la bande-annonce racoleuse. Mais une
bande-annonce de deux heures et vingt-deux minutes, c’est tout de même un peu
long, n’est-ce pas ? D’autant que cette inflation d’effets numériques ne
débouche à l’arrivée que sur une esthétique laide et vulgaire située au niveau
d’un quelconque Disneyland. Avec des acteurs évidemment sacrifiés, Luhrman
s’intéressant davantage à la gymnastique de sa caméra qu’aux personnages de son
récit. Seul Leonardo DiCaprio, enfin mûri, tire son épingle du jeu, et encore
seulement quand le cinéaste ne lui impose pas un insupportable jeu
mélodramatique. Mais quant aux autres, ils sont, au choix, mal distribués
(Carey Mulligan qui passe à côté de son rôle), carrément inexistants (Toby
Maguire) ou encore hystériques et grimaçants (Joel Edgerton ou Jason Clarke).
Inutile donc d’attendre d’un tel
film qu’il propose la moindre réflexion sur le matériau qu’il adapte et son
contenu. Aucun des personnages ne parvient à exister, pas même Gatsby lui-même
dont le portrait fragmenté se recompose dans le roman au fil de la narration -- une
narration qui livre la vérité d’un drame dont le monde ne connaîtra jamais
qu’une version mensongère. Il est permis de rêver au passage à l’extraordinaire
scénario qu’un Mankiewicz aurait su faire émerger du cercueil de ce
« milliardaire aux pieds nus »[1].
Tel quel, il ne reste rien de cette quête de la vérité qu’est tout le récit de
Nick Carraway pas plus que du jeu social sordide, à l’amoralisme tranquille,
qui se déroule sous nos yeux. Tout est ici nivelé et gommé, réduit à un spectacle bruyant et de
mauvais goût. En transformant de la sorte « Gatsby », le roman, en
une grossière attraction pour parc de loisirs, Luhrmann non seulement réalise
un film exécrable (il en a l’habitude) mais il le double d’une mauvaise action
en trahissant et détruisant une œuvre majeure. Rassurons-nous cependant :
Fitzgerald s’en remettra. Luhrmann aussi, hélas.
[1]
Si je cite ici Mankiewicz ce n’est pas seulement au nom de cette quête de la
vérité si chère à l’auteur d’All About Eve
(Eve, 1950). A la fin des années 30,
les chemins de Mankiewicz et de Fitzgerald se croisèrent lors de l’écriture de Three Comrades (Trois Camarades, Frank Borzage, 1938). Auteur du scénario, Fitzgerald
fut blessé par les corrections que Mankiewicz (producteur du film) apporta à
son texte et notamment à ses dialogues. Celui-ci expliqua, à juste titre, que
de bons dialogues de roman n’étaient pas nécessairement de bons dialogues de
cinéma. La suite de sa carrière devait prouver qu’il connaissait son affaire.
Suis parfaitement d'accord avec cette critique ! Ai vu le film (dans un avion, certes, mais bon...) et ai eu l'impression de regarder un remake de "Moulin Rouge", avec tous les défauts qui caractérisaient déjà ce film. Il est parfois des films qui "tordent" le livre dont ils se sont inspirés, mais qui présentent une oeuvre "autre" et aussi estimable, là, ce ne fut pas le cas... Je crois me rappeler que je ne suis pas allé jusqu'à la fin...
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