24 mai 2013

Retour vers le passé.


Sous surveillance (The Company You Keep), de Robert Redford (2012).

            On aimerait dire sans la moindre réserve le plus grand bien de toutes les entreprises menées par Robert Redford, tant pour l’acteur dont la carrière demeure exceptionnelle que pour l’homme dont les engagements forcent le respect. On ne saurait à cet égard minorer l’importance du Sundance Institute et de ses satellites (dont le fameux festival) qui ont largement contribué depuis plusieurs décennies au développement du cinéma américain indépendant. On en est donc d’autant plus gêné de ne pas s’enthousiasmer pour l’œuvre de Redford devenu cinéaste dès 1980 avec Des gens comme les autres (Ordinary People, 1980), œuvre non point indigne ou scandaleuse mais qui n’est jamais parvenue à s’imposer vraiment  --  au point que son précédent film, La Conspiration (The Conspirator, 2010), a été très mal accueilli et n’a pas même connu en France d’exploitation commerciale[1]. Des titres, assez peu d’ailleurs, demeurent dans les mémoires (notamment Et au milieu coule une rivière/A River Runs Through It, 1992, et L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux/The Horse Whisperer, 1998), mais aucune cohérence d’ensemble qui permette d’affirmer, au-delà des contraintes du système hollywoodien, que l’on a affaire à un cinéaste d’envergure avec une vision du monde et le style qui l’accompagne. A cet égard, que cela plaise ou non sur un plan politique, on est à des années-lumière de l’œuvre d’un Clint Eastwood, comédien plus limité et moins attachant dans ses prises de positions idéologiques mais d’une toute autre pointure une fois passé derrière la caméra.


            Sous surveillance, son dernier film, ne déroge pas à la règle : intéressant et même émouvant par le regard qu’il jette sur l’Amérique des années 60 et 70, il manque singulièrement d’épaisseur quand il s’agit de le jauger sur un plan purement cinématographique. L’histoire de ces anciens militants radicaux, pacifistes au départ,  opposants à la guerre du Vietnam et dont certains ont glissé dans le terrorisme et la lutte armée, ne manque certes pas d’intérêt : il est toujours bon de revenir sur une histoire passée mais pas si lointaine et qui pourtant paraît déjà totalement étrangère aux yeux des jeunes générations. Et ce retour en arrière est d’autant plus intéressant qu’il coïncide d’étonnante façon avec la partie la plus riche de la carrière de l’acteur Redford. Ainsi est-il bien difficile de ne pas voir planer  ici l’ombre des Hommes du Président (All The President’s Men, AlanJ. Pakula, 1976), pour la partie enquête journalistique, ou des Trois jours du Condor (The Three Days of the Condor, Sydney Pollack, 1975), pour la partie fuite en avant et quête de la vérité que mène Jim Grant, le personnage très symbolique qu’incarne Redford lui-même  --  et ce n’est sans doute pas pour rien.

            Cette recherche d’un temps historique envolé, mais pas oublié par tout le monde, ne manquera pas d’émouvoir ceux qui l’ont vécu dans les salles obscures (et ailleurs pour certains) et se surprennent parfois à le regretter. Tout ce versant, pour appréciable qu’il soit, ne parvient pas pour autant à dissimuler les faiblesses d’un scénario finalement  très convenu et trop grossièrement ficelé pour susciter autre chose qu’un plaisir nostalgique et poliment respectueux. La quête de Jim Grant, activiste à la retraite, pour intrigante qu’elle soit au début du film, tourne assez rapidement court, l’intérêt du récit se résumant à tenter de deviner quel(le)s acteurs/actrices plus ou moins vieillissant(e)s mais toujours vaillant(e)s il va croiser au cours de ce pèlerinage dans le passé. Font donc ainsi trois petits tours avant de disparaître : Susan Sarandon, Chris Cooper, Nick Nolte, Sam Eliott, Richard Jenkins, Brandan Gleeson et, last but not least, Julie Christie  --  retour vers un passé glorieux que n’affaiblit nullement la présence de quelques autres acteurs moins anciens (Stanley Tucci) ou carrément juvéniles (Shia LaBeouf, Brit Marling, Anna Kendrick), façon de passer symboliquement le relai à la génération montante. On en regrettera d’autant plus que, très correctement réalisé et sans effets à la mode (ça repose), Redford peine tant à nous convaincre de la nécessité de toute son entreprise.


[1] Mais il est disponible en DVD. Détail piquant : le film a pour sujet l’assassinat de Lincoln. Quand on sait le succès obtenu par le film de Spielberg , il y a effectivement lieu de s’interroger.

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