Sous
surveillance (The
Company You Keep), de Robert Redford (2012).
On aimerait dire sans la moindre
réserve le plus grand bien de toutes les entreprises menées par Robert Redford,
tant pour l’acteur dont la carrière demeure exceptionnelle que pour l’homme
dont les engagements forcent le respect. On ne saurait à cet égard minorer
l’importance du Sundance Institute et de ses satellites (dont le fameux
festival) qui ont largement contribué depuis plusieurs décennies au
développement du cinéma américain indépendant. On en est donc d’autant plus
gêné de ne pas s’enthousiasmer pour l’œuvre de Redford devenu cinéaste dès 1980
avec Des gens comme les autres (Ordinary People, 1980), œuvre non point
indigne ou scandaleuse mais qui n’est jamais parvenue à s’imposer vraiment -- au
point que son précédent film, La
Conspiration (The Conspirator,
2010), a été très mal accueilli et n’a pas même connu en France d’exploitation
commerciale[1].
Des titres, assez peu d’ailleurs, demeurent dans les mémoires (notamment Et au milieu coule une rivière/A River Runs
Through It, 1992, et L’Homme qui
murmurait à l’oreille des chevaux/The Horse Whisperer, 1998), mais aucune
cohérence d’ensemble qui permette d’affirmer, au-delà des contraintes du
système hollywoodien, que l’on a affaire à un cinéaste d’envergure avec une
vision du monde et le style qui l’accompagne. A cet égard, que cela plaise ou
non sur un plan politique, on est à des années-lumière de l’œuvre d’un Clint
Eastwood, comédien plus limité et moins attachant dans ses prises de positions
idéologiques mais d’une toute autre pointure une fois passé derrière la caméra.
Sous
surveillance, son dernier film, ne déroge pas à la règle : intéressant
et même émouvant par le regard qu’il jette sur l’Amérique des années 60 et 70,
il manque singulièrement d’épaisseur quand il s’agit de le jauger sur un plan
purement cinématographique. L’histoire de ces anciens militants radicaux,
pacifistes au départ, opposants à la
guerre du Vietnam et dont certains ont glissé dans le terrorisme et la lutte
armée, ne manque certes pas d’intérêt : il est toujours bon de revenir sur
une histoire passée mais pas si lointaine et qui pourtant paraît déjà
totalement étrangère aux yeux des jeunes générations. Et ce retour en arrière
est d’autant plus intéressant qu’il coïncide d’étonnante façon avec la partie
la plus riche de la carrière de l’acteur Redford. Ainsi est-il bien difficile
de ne pas voir planer ici l’ombre des Hommes du Président (All The President’s Men, AlanJ. Pakula,
1976), pour la partie enquête journalistique, ou des Trois jours du Condor (The
Three Days of the Condor, Sydney Pollack, 1975), pour la partie fuite en
avant et quête de la vérité que mène Jim Grant, le personnage très symbolique
qu’incarne Redford lui-même -- et ce n’est sans doute pas pour rien.
Cette recherche d’un temps
historique envolé, mais pas oublié par tout le monde, ne manquera pas
d’émouvoir ceux qui l’ont vécu dans les salles obscures (et ailleurs pour
certains) et se surprennent parfois à le regretter. Tout ce versant, pour
appréciable qu’il soit, ne parvient pas pour autant à dissimuler les faiblesses
d’un scénario finalement très convenu et
trop grossièrement ficelé pour susciter autre chose qu’un plaisir nostalgique
et poliment respectueux. La quête de Jim Grant, activiste à la retraite, pour
intrigante qu’elle soit au début du film, tourne assez rapidement court,
l’intérêt du récit se résumant à tenter de deviner quel(le)s acteurs/actrices
plus ou moins vieillissant(e)s mais toujours vaillant(e)s il va croiser au
cours de ce pèlerinage dans le passé. Font donc ainsi trois petits tours avant
de disparaître : Susan Sarandon, Chris Cooper, Nick Nolte, Sam Eliott,
Richard Jenkins, Brandan Gleeson et, last
but not least, Julie Christie
-- retour vers un passé glorieux
que n’affaiblit nullement la présence de quelques autres acteurs moins anciens
(Stanley Tucci) ou carrément juvéniles (Shia LaBeouf, Brit Marling, Anna
Kendrick), façon de passer symboliquement le relai à la génération montante. On
en regrettera d’autant plus que, très correctement réalisé et sans effets à la
mode (ça repose), Redford peine tant à nous convaincre de la nécessité de toute
son entreprise.
[1] Mais il
est disponible en DVD. Détail piquant : le film a pour sujet l’assassinat
de Lincoln. Quand on sait le succès obtenu par le film de Spielberg , il y a
effectivement lieu de s’interroger.
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