Perfect
Mothers, d’Anne Fontaine (2012).
Un esprit peu charitable ou
particulièrement inattentif, voire carrément somnolent, pourrait accuser Anne
Fontaine de vouloir faire sortir la catégorie milf [1]
de son habituel ghetto pornographique pour la hisser au niveau d’une production
à l’érotisme chic et choc pour magazine sur papier glacé, et ici légèrement
épicée de variations plus ou moins sulfureuses. Ce serait en fait bien mal voir
tant le sujet de Perfect Mothers, qui
adapte une nouvelle (ou un court roman) de Doris Lessing un peu méchamment
intitulé « The Grandmothers »[2],
se situe résolument sur un autre plan.
Il est pourtant vrai que c’est bien
ainsi que le film peut être vu d’une façon superficielle, et tel qu’il est
d’ailleurs plutôt maladroitement vendu par sa bande-annonce. Dans le décor
paradisiaque de la Nouvelle Galles du sud, en Australie, deux femmes
mûrissantes, Lil (Naomi Watts) et Roz (Robin Wright), entretiennent depuis
l’enfance une relation très fusionnelle tandis que le fils de l’une s’éprend de
l’autre et vice versa si je puis dire. S’ensuivent des relations difficiles
mais (relativement) torrides, où les maillots de bain jouent un rôle non
négligeable -- « sea, sex and sun » sans Gainsbourg
mais au pays des milf, voilà pour les
clichés, fermez le ban.
Car le vrai sujet, celui qui fait de
Perfect Mothers un film accompli et
assurément un des meilleurs de son auteur, tient à bien autre chose, à une
sorte de filigrane évanescent qu’Anne Fontaine et le scénariste britannique (et
homme de théâtre) plutôt haut de gamme qu’elle s’est choisi (Christopher
Hampton) parviennent à rendre discernable et même palpable, avec un récit qui
échappe à toute complaisance réaliste pour déboucher sur l’étude presque
clinique d’un quartet choisissant finalement de se couper des autres et du
monde et entretenant des relation pas simples à expliquer en dépit de
l’évidence des apparences. Il est d’ailleurs plus facile de définir le film par
ce qu’il n’est pas plutôt que par ce qu’il est
-- d’autant que ses auteurs
ont su
éviter avec brio les nombreux pièges qui les menaçaient. Ainsi Perfect Mothers n’est pas un film sur de
quelconques cas d’Œdipe mal digérés, bien que chacune des femmes soit aussi la
seconde mère de chacun des fils ; pas un film non plus sur des relations
homosexuelles latentes, même si Anne Fontaine n’évite pas (volontairement sans
doute) quelques images volontiers homoérotiques ; et encore moins un film
érotique soft catégorie milf, malgré la sensualité bien réelle
et très forte des ses deux remarquables interprètes féminines.
Ces « liaisons
dangereuses » d’un nouveau genre[3]
se situent et se développent dans une sorte d’ailleurs, dans un univers où
« tout n’est qu’ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté » et qui
paraît se suffire à lui-même, dans un au-delà de toute morale conventionnelle,
un lieu comme préservé du monde ordinaire et vulgaire, un coin de paradis en
somme, miraculeusement préservé du côté de la Nouvelle Galles du sud. Lieu
magique, impossible à quitter où, de façon innocemment blasphématoire, deux
couples aussi improbables que potentiellement scandaleux n’en constituent
finalement qu’un seul à l’identité indécise, sorte d’Adam et Eve hybride, et la
formation en quartet permet alors toutes
les variations -- amants et fils, amantes et mères, un quartet
qui ne se pose plus la question du bien et du mal mais admet la situation comme
allant de soi et figé dans une sorte d’éternité intemporelle, c'est-à-dire hors
du temps.
Anne Fontaine n’est jamais plus
convaincante que lorsqu’elle joue sur l’ambigüité des identités, sexuelles
notamment, en trio naguère (Nettoyage à
sec, 1997, ou Nathalie…, 2003),
en quartet aujourd’hui. Ces dernières années, elle s’est consacrée à des films
plus légers, bien faits en général mais un peu moins intéressants. Il fallait
peut-être y voir une certaine volonté de
rassembler davantage de spectateurs autour de ses productions. Perfect Mothers témoigne aujourd’hui de
son retour à un cinéma toujours aussi maîtrisé mais plus ambitieux. On ne le
lui reprochera pas.
[1]
Je laisse le soin, cette fois aux esprits curieux, de chercher le sens de cet
intéressant acronyme.
[2]
Publiée au Royaume-Unis en 2003 et traduite en français chez Flammarion en 2005
(« Les Grand-mères ») et disponible en format de poche chez
« J’ai lu ».
[3]
Rappelons au passage que Christopher Hampton est l’auteur d’une version
théâtrale du roman de Laclos, qu’il a ensuite adapté au cinéma pour Stephan
Frears en 1988. Ajoutons, en cherchant à donner du sens à ce qui n’en a pas
forcément, que la version des « Liaisons dangereuses » du dramaturge
allemand Heiner Muller (jadis mise en scène par Patrick Chéreau) s’intitule
précisément « Quartet » (1980).
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