10 avril 2013

Des vertus de l'humilité.


Effets secondaires (Side Effects), de Steven Soderbergh (2013).

            Steven Soderbergh, qui tourne beaucoup et à un rythme soutenu, n’est finalement jamais meilleur que lorsqu’il se consacre à de « petits » sujets (mais qui peuvent être de « grosses » productions : voir ainsi Ocean’s Eleven, 2001)  --  je veux dire par là des sujets relevant de ce cinéma de genre qui a fondé le grand cinéma américain classique plutôt , par exemple, que de la fresque historique à la façon de son interminable et catastrophique biographie de Guevara (Che, 2008). Ainsi, assez proche du récent Haywire (Piégée, 2011), Side Effects convainc bien davantage que le non  moins récent Contagion (2011 également), nettement plus ambitieux dans ses intentions mais d’une maladresse d’exécution qui ne pardonne pas  --  et alors même que l’un et l’autre sortent de la plume du même scénariste, Scott Z. Burns.

            Un peu comme Contagion, ce film-ci paraît d’abord s’orienter vers une dénonciation des pratiques des grands laboratoires pharmaceutiques et des risques sanitaires que, sans la moindre vergogne, ils peuvent faire courir aux malades. Une jeune femme (Rooney Mara), déprimée suite à l’incarcération de son « trader » de mari (Channing Tatum), le tue peu de temps après sa libération. Son geste, accompli dans une sorte d’état second, ne serait que la conséquence des effets secondaires d’un antidépresseur prescrit par un psychiatre (Jude Law) qui lui-même fait participer ses patients à l’expérimentation d’un nouveau neuroleptique. Il s’agit là d’autant de fausses pistes cachant une complexe manipulation criminelle plutôt bien troussée et développée.

            Car Soderbergh, dont ce serait l’avant-dernier film, dit-il[1], ne prétend pas faire autre chose ici, comme dans Haywire, qu’un grand numéro de cinéma pur, évidemment en lorgnant du côté d’Hitchcock (mais pas seulement), référence obligée dans ce domaine et qu’il partage avec un Brian De Palma dont le dernier et superbe film, Passion, n’est pas sans entretenir certaines relations avec celui-ci (la criminelle qui se laisse accuser d’un crime pour mieux s’innocenter, l’homosexualité des personnages féminins). Il serait cependant totalement vain, comme j’ai pu le lire, de comparer plus avant les deux films que tout oppose, dans les choix de mise en scène et de direction d’acteurs de leurs auteurs respectifs notamment. Quand l’un (De Palma) joue presque essentiellement sur le plan visuel, l’autre privilégie au contraire l’ambiguïté psychologique de ses personnages.  Ainsi Soderbergh joue-t-il très bien de l’apparence franche et ouverte de Jude Law, comédien qui sait admirablement être aussi rassurant qu’inquiétant, pour mieux semer le trouble pendant toute la première partie du récit, brouiller les pistes et pour finir perdre son spectateur. On est là certes du côté d’Hitchcock (voir la troublante ambiguïté de Cary Grant dans Soupçons/Suspicion, 1941) mais aussi très proche du Preminger de Korvo .

            Sans doute ne manquera-t-on pas de souligner le caractère artificiel d’une entreprise qui se nourrit d’abord du plaisir que l’on peut ressentir en suivant un suspense très habilement mené du début à la fin. Mais un tel feu d’artifice(s), quand il est brillamment tiré, n’est-ce-pas après tout l’essence même d’un art cinématographique où la science du récit passe par une certaine humilité sur le fond et, sur la forme,  par la maîtrise d’une mise en scène poussée à son extrême limite d’intelligence  --  exactement ce que fit un Hitchcock tout au long de sa carrière ? Ainsi le spectateur consentant se laissera-t-il entraîner dans une intrigue labyrinthique où le cinéaste joue à la perfection sur le caractère fallacieux des apparences pour mieux tromper son monde. C’est aussi cela le plaisir du cinéma.  



[1] Le dernier (ou annoncé comme tel), Behind the Candalebra, un biopic consacré au très croquignolet et kitschissime  pianiste américain Liberace, sortira en septembre et devrait être présenté au prochain festival de Cannes.

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