Quartet,
de Dustin Hoffman (2012).
Mariage
à l’anglaise (I
Give it a Year), de Dan Mazer (2013).
Difficile de donner aujourd’hui une
définition de ce que l’on pourrait appeler une comédie « à
l’anglaise », pour utiliser une expression plus proche de l’art culinaire
que du cinéma, sinon dans une perspective purement historique avec un genre qui
fit florès dans les années d’après-guerre avec quelques films à la
« construction parfaite qui s’organise à partir d’une situation de départ
absurde poussée dans ses prolongements les plus logiques »[1]
et mêlant cocasserie, sérieux imperturbable, goût pour un décorum britishissime et humour plutôt tongue in cheek que franchement
burlesque. Rappelons au passage quelques titres mémorables, disponibles pour la
plupart en DVD, et qui fonctionnent encore admirablement : Passeport pour Pimlico (Passport to Pimlico, Henry Cornelius,
1949), le bien connu Noblesse oblige
(Kind Hearts and Coronets, Robert
Hamer, 1949) ou encore les très belles réussites d’Alexander Mackendrick, un
bon cinéaste injustement oublié[2] :
Whisky à gog (Whisky Galore, 1948), L’Homme
au complet blanc (The Man in the
White Suit, 1951) et Tueurs de dames
(The Ladykillers, 1955[3]).
Mais peut-on dire pour autant, après toutes les vicissitudes vécues par le
cinéma d’outre-Manche, que la comédie « à l’anglaise » (il vaudrait
mieux parler de « comédie britannique » d’ailleurs) existe encore de
nos jours ? Oui, dans la mesure où de nombreuses productions (et Quartet en fait partie) jouent sur le
charme légèrement suranné d’une british
touch en grande partie nostalgique ; non, parce qu’elle tend depuis
longtemps à se fondre dans un mélange de comédie de mœurs et de comédie
romantique -- c’est le cas de Mariage à l’anglaise.
Quartet,
pour commencer, adaptation par Ronald Harwood lui-même d’une de ses pièces de
théâtre. Auteur dramatique très célèbre (on lui doit notamment « L’Habilleur »
qui fut créé à Londres par Tom Courtenay dans le rôle-titre), Harwood a aussi
écrit quelques scénarios généralement bien troussés mais qui, à l’arrivée,
valent surtout ce que valent les cinéastes qui s’y attellent : ainsi préfèrera-t-on
sans l’ombre d’un doute ou d’une hésitation Le
Pianiste et Oliver Twist de Roman
Polanski (2002 et 2005) aux catastrophiques Crime
contre l’humanité de Noman Jewison (The
Statement, 2003) ou Australia de
Baz Luhrman (2008). On retrouve ici le goût d’Harwood pour le monde du
spectacle -- mais, comme la plupart du temps, avec des
personnages vieillissants et qui vivent dans le souvenir d’une gloire passée et
même parfois imaginée. Ainsi un quatuor de chanteurs et chanteuses d’opéra, de
nouveau réuni dans une maison de retraite pour vieux musiciens (mais plutôt
haut de gamme et raffinée), va-t-il accepter de faire un ultime tour de piste à
l’occasion d’un de ces galas de bienfaisance dont les britanniques ont le
secret. Ces retrouvailles sont l’occasion d’une sorte de comédie douce-amère
sur la jeunesse envolée et les occasions manquées, ou perdues --
mais, que l’on se rassure, tout se terminera bien, la philosophie de l’affaire
étant qu’il n’est jamais trop tard pour être heureux. Rien de bouleversant
là-dedans, mais le plaisir discret de l’élégance et du travail bien fait. Se lançant
à soixante-quinze ans dans l’aventure d’un premier film, Dustin Hoffman dirige
les opérations avec sérieux et compétence
-- et humilité aussi, s’offrant
(et l’offrant du même coup à ses spectateurs) un plaisir modeste mais bien
réel, efficacement soutenu, faut-il le préciser, par des acteurs sublimes, Maggie
Smith et Tom Courtenay en tête, que l’on souhaiterait saluer par une standing ovation au soir de leur
carrière.
Mariage
à l’anglaise se situe à peu près aux antipodes de Quartet : vieillesse contre jeunesse, distinction contre
trivialité, tweed, gazon et manoir cossu contre plaisirs bling-bling du swinging London.
On pouvait en fait tout craindre de Dan Mazer, habituel compère de Sacha Baron
Cohen pour les pachydermiques gaudrioles dont il nous assomme régulièrement
(toutes réalisées par Larry Charles : Borat,
2006, Brüno, 2009, ou Le Dictateur/The Dictator, 2012). Sans
doute se délecte-t-il encore ici d’une pléthore de plaisanteries et de
situations largement situées au-dessous de la ceinture, mais cette fois, la
mayonnaise prend admirablement et, loin de tomber dans les habituels poncifs de
la comédie romantique (même si tout se termine à la satisfaction générale), il
la renouvelle avec bonheur et lui donne même un nouveau souffle avec beaucoup
de verve et d’alacrité ( comme l’a fait tout récemment outre-Atlantique David
O. Russell avec Happiness Therapy),
se sortant avec habileté de quelques péripéties particulièrement scabreuses. Là
encore, il n’y a sans doute pas de quoi
crier au génie mais l’ensemble distille de bout en bout un plaisir
communicatif, porté avec bonheur par un quartet de jeunes comédiens pas très
connus (à l’exception peut-être de l’Américain Simon Baker) mais qui témoignent
d’une belle énergie et d’un refus des conventions qui fait plaisir à voir.
Plus, cerise sur le gâteau, un grandiose numéro, dans un rôle secondaire, de l’excellente
Olivia Colman, vue voici peu dans Week-end
Royal où elle était l’épouse du roi George VI.
A leur façon modeste mais
parfaitement aboutie, ces deux films illustrent assez bien la très plaisante
vitalité du cinéma britannique contemporain.
[1] Roland
Lacourbe et Raymond Lefevre, « 30 ans de cinéma britannique »,
Editions Cinéma 76, 1976, p.51.
[2] Auteur
de Un Cyclone à la Jamaïque (A High Wind in Jamaica, 1965), beau film
sur l’enfance confrontée à la cruauté du monde des adultes, dans la lignée des
romans de Stevenson.
[3] Dont les
frères Coen ont réalisé, en 2004 et sous le même titre, un remake dans un contexte géographique tout autre (le Sud des
Etats-Unis).
Si je ne m’abuse, Simon Baker est australien : https://en.wikipedia.org/wiki/Simon_Baker
RépondreSupprimerVous avez parfaitement raison et je ne saurais trop vous remercier pour l'attention que vous portez à mes textes. Contrairement à d'autres acteurs bien connus et devenus pour ainsi américains par leur carrière, j'ignorais son origine. Précisons tout de même que, arrivé aux Etats-Unis il y seize ans, il n'est guère connu que pour le versant américain de sa carrière, et encore relativement récemment. Qui plus est, il joue ici le rôle d'un Américain bon teint. Il y a vraiment de quoi s'y perdre.
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