Réédition de Propriété interdite (This Property is Condemned), de Sydney
Pollack (1966).
Ce n’est pas là le coup d’essai de
Sydney Pollack, cinéaste aujourd’hui un peu négligé (le meilleur de son œuvre
remonte aux années 70), mais son deuxième réalisé juste après The Slender Thread (Trente minutes de sursis, 1965) où l’influence de sa formation
télévisuelle se faisait encore beaucoup sentir. Comédien à l’origine, il
appartient à la génération qui suit celle des cinéastes apparus dans les années
40 et au tout début des années 50 (de Wilder à Mankiewicz en passant par
Aldrich, Brooks, Daves, Edwards, Huston, Kazan, Preminger et quelques autres
qu’on me pardonnera de ne pas nommer). Une génération en partie formée à
l’école de la télévision, à l’aube des années 60, et dont la production s’est
épanouie sur une quinzaine d’années, entre 1965 et 1980, avant que l’arrivée
d’une génération plus jeune et aux dents plus longues (les Spielberg, Lucas,
Coppola, Scorsese, De Palma) ne les mette sur la touche de façon plus ou moins
définitive -- mais peut-être eux-mêmes n’avaient-ils plus
grand-chose à dire. Quelques noms et quelques titres (sans prétendre à
l’exhaustivité) : John Frankenheimer, Robert Mulligan, Arthur Penn, George
Roy Hill, Alan J. Pakula, Franklin J. Schaffner, Robert Altman pour les
noms ; et pour les titres : Sept
jours en mai (Seven Days in May,
1964) et Le Pays de la violence (I Walk the Line, 1970) de Frankenheimer,
Une Eté 42 (Summer of ’42, 1971), L’Autre
(The Other, 1972) et The Nickel Ride (1974) de Mulligan, Bonnie and Clyde (1967) et Little Big Man (1970) de Penn, Butch Cassidy et le Kid (Butch Cassidy and the Sundance Kid,
1969) et L’Arnaque (The Sting, 1974) de Hill, Klute (1971) et Les Hommes du Président (All
the President’s Men, 1976) de Pakula, La
Planète des singes (Planet of the
Apes, 1968) et Patton (1970) de
Schaffner, M*A*S*H (1970) et Nashville (1975) de Altman --
noms et titres qui n’ont ici qu’une valeur purement indicative, en tant
que repères, une étude détaillée des cinéastes de cette génération (qui ne
semble plus intéresser grand monde, à l’exception peut-être de Altman, et
encore) restant à écrire.
Au sein de cette galaxie qui,
précisons-le, n’a jamais constitué un groupe et encore moins une école (c’est
tout juste si l’on peut noter que Pakula a produit sept films de Mulligan entre
1957 et 1968, avant de passer lui-même à la mise en scène et que Frankenheimer
a facilité les débuts de Pollack) au sein de cette galaxie donc, Sydney Pollack
est sans doute un de ceux qui auront le plus compté, de façon très nette entre
1969 (On achève bien les chevaux/They
Shoot Horses, Don’t They) et 1982 (Tootsie). Avec Out of Africa (1985), décevant mais encore lié thématiquement à
ses autres films, principalement à travers l’histoire d’un amour brisé, et qui
lui valut un triomphe et une moisson d’Oscars, commence un déclin à peu près
irréversible, Pollack tournant d’ailleurs de moins en moins pour se consacrer
de plus en plus à des activités de producteur, voire d’acteur. L’œuvre demeure
cependant, importante malgré tout, qu’il faudrait réévaluer objectivement du
début à la fin maintenant qu’elle est
close, et d’où émergent quelques films majeurs : On achève bien les chevaux (1969), Jeremiah Johnson (1972), Nos
plus belles années (The Way We Were,
1973), Les Trois jours du Condor (Three Days of the Condor, 1975), Bobby Deerfield (1977), Le Cavalier électrique (The Electric Horseman, 1979). Mais certains
autres, plus atypiques mais pas moins intéressants pour autant, comme Les Chasseurs de scalps (The Scalphunters, 1968) ou Une Château en enfer (Castle Keep, 1969) ont aujourd’hui
encore leurs défenseurs acharnés -- ce qui prouve au passage la vigueur d’une
production qu’on aurait grand tort de négliger.
Initialement, Propriété interdite devait être réalisé par John Huston, avec
Elizabeth Taylor dans le rôle principal (encore que largement trop âgée !) -- et
pas moins de quatorze scénaristes (dont Francis Coppola, un des trois
officiellement crédités) se sont succédés pour adapter une pièce en un acte de
Tennessee Williams. Moins adapter que compléter voire carrément recréer puisque
l’essentiel du film n’a qu’assez peu à voir, semble-t-il, avec la pièce de
Williams qui ne sert ici que de prologue et d’épilogue. Mais, pour autant,
toute l’entreprise apparaît comme un véritable concentré williamsien avec son
Sud moite, ses personnages féminins névrosés et cet univers en équilibre
précaire au bord de la folie. Plus, de façon plus originale, le souci affirmé de ne pas négliger
le contexte social d’une Amérique incertaine qui annonce On achève bien les chevaux puisque l’action se situe dans les
années 30 et que la crise pèse de tout son poids sur l’intrigue.
Une jeune femme, Alva (Natalie Wood), vit
dans le Mississipi profond où sa mère, Hazel (Kate Reid) tient une sorte de
pension de famille où logent des employés d’une compagnie de chemin de fer.
Elle rêve d’une vie plus intense, qu’elle s’invente à coups de mensonges et
d’illusions, quand arrive Owen Legate (Robert Redford), un agent de la
compagnie chargé de licencier des ouvriers dont le chemin de fer n’a plus
besoin -- crise oblige. Il vient de la Nouvelle-Orléans
et représente pour Alva une sorte de porte de sortie. L’histoire, entre
tensions sociales et dérèglements psychologiques, se terminera mal au terme
d’un voyage au bout de la nuit qui emportera Alva, victime d’un univers aux
apparences trompeuses mais aussi, par faiblesse, coupable de sa propre
déchéance.
Une fois accepté l’arbitraire toujours au
bord de la démonstration de ce type de scénario, qui cependant passe plutôt
bien l’épreuve du temps (mais qu’on peut ne pas aimer : question de goût
ou de dégoût pour le théâtre américain d’après-guerre, celui de Williams,
Miller, Albee voire Inge), reste le film lui-même, c'est-à-dire ce que le
presque débutant (au cinéma) Pollack a su faire d’une matière très littéraire au
départ. Difficile certes d’échapper ici à une unité de lieu qui enferme les
personnages autour de la pension d’Hazel et du dépôt de chemin de fer voisin,
mais le cinéaste parvient malgré tout à bien utiliser l’espace limité que
l’histoire lui impose -- avec au surplus une échappée bien venue à la
Nouvelle-Orléans pour ainsi dire à la conclusion du film.
En dépit de maladresses dont Pollack
saura très vite faire l’économie dans ses productions suivantes (notamment un
usage pas très convaincant du zoom) et grâce à l’apport du grand chef-opérateur
James Wong Howe (dont les conseils ont sans doute été ici déterminants comme ils l’ont été ailleurs
pour d’autres cinéastes), l’ensemble parvient à convaincre sans difficulté -- en
dépit de thèmes qui font immanquablement penser au Kazan du Fleuve sauvage (The Wild River, 1960) et surtout, la présence de Natalie Wood
aidant, de La Fièvre dans le sang (Splendor in the Grass, 1961), un des
plus beaux films américains de l’après-guerre dont on a pu encore tout récemment retrouver les splendeurs intactes.
Une jolie redécouverte en somme.
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