Cloud
Atlas, de Tom Tykwer, Lana et Andy Wachowski
(2013).
Difficile, à l’instant d’aborder Cloud Atlas, le film, de ne pas évoquer,
ne serait-ce qu’en quelques lignes, « Cloud Atlas », le roman de
David Mitchell[1] --
œuvre que l’on pouvait à bon droit (et l’auteur lui-même le tout
premier) juger inadaptable au cinéma. Ce pavé de plus de six cents pages se
compose de six histoires échelonnées dans le temps entre le milieu du XIXème
siècle et un lointain avenir post-apocalyptique et organisées selon un schéma
que l’on pourrait qualifier de pyramidal (A-B-C-D-E-F-E-D-C-B-A), la partie
post-apocalyptique (F) formant le sommet de la pyramide en même temps que le
pivot du récit et donc étant la seule à ne pas être coupée en deux. Chaque
histoire est en apparence indépendante des autres, reliées seulement par des
correspondances qui finissent par former une trame souterraine en forme de
philosophie mystico-simplette du genre : nous, les humains, formons une
chaîne ininterrompue dans le temps et l’espace, chacun trouvant sans cesse une
réincarnation plus ou moins achevée. Tout cela écrit et composé de façon
brillante et représentant une sorte de tour de force littéraire où chaque récit
bénéficie d’un ton et d’un style différent. Un tour de force trahissant certes
une plume habile mais qui, à l’arrivée, laisse le lecteur sur sa faim :
tout ça pour ça et à quoi bon tant de talent (et de pages) pour un fond aussi
creux ?
Le film qu’en ont tiré les Wachowski
(responsables des épisodes A, E et F) associés au cinéaste allemand Tom Tykwer
(qui a réalisé les épisodes B, C et D) affiche d’une certaine façon les mêmes
qualités et les mêmes défauts. On sait l’intérêt que portent depuis leurs débuts
les Wachowski pour les univers étranges et incertains, teintés d’une
métaphysique plus ou moins orientale et où les personnages peuvent se
métamorphoser à foison ; quant à Tom Tykwer, son adaptation du roman de
Patrick Süskind, « Le Parfum », montrait suffisamment son goût pour
les entreprises périlleuses et a priori
difficilement abordables. Côté adaptation donc, notre trio s’en sort plutôt
bien : il brise la belle ordonnance du récit en entremêlant constamment
histoires et époques, parvenant à
établir (non sans mal parfois) des correspondances dramaturgiques un peu
plus consistantes que dans le roman qui, lui, fonctionne sur un mode plus
impressionniste. L’utilisation des mêmes acteurs que l’on retrouve dans les six
histoires accentue l’arbitraire du récit mais, dans le même temps, en éclaircit
le sens général. Bref, partant d’un matériau difficile à maîtriser, les
cinéastes ont fait pour le mieux et on ne saurait discuter la pertinence de
leur adaptation.
Reste cependant que le tout, étiré
sur presque trois longues heures, a bien du mal à convaincre au-delà d’un brio
qui finit par vite tourner à vide. C’est qu’on a finalement bien du mal à se
passionner pour ces différentes histoires aux intrigues de peu d’intérêt et
plutôt mal structurées -- je précise que le choix d’un récit éclaté n’y
est pour rien. Qui plus est, la dimension philosophico-métaphysique assez
filandreuse de toute l’affaire apparaît ici, bien plus que dans le roman, comme
singulièrement artificielle, et finit par mener le film aux frontières d’une
prétention qui s’abîme dans le grotesque le plus complet. Il faut dire que,
énorme cerise sur un gâteau déjà passablement indigeste, les multiples (et pas
toujours heureux) maquillages imposés aux acteurs principaux aggravent encore
les choses, soulignant si besoin en était la lourdeur de la démonstration.
Au milieu de ce qui devient
rapidement un interminable pensum, les comédiens tentent désespérément de
sauver les meubles, et n’y parviennent que rarement, victimes collatérales
d’une entreprise dont l’éparpillement semble devoir être la règle constante.
Ainsi retiendra-t-on essentiellement le jeu fiévreux du britannique Ben Wishaw
dans un rôle de musicien méconnu, seul personnage convaincant de bout en bout,
tout en déplorant de voir par ailleurs de bons acteurs entraînés dans des
numéros d’un grotesque achevé -- Hugh Grant et Hugo Weaver étant, sur ce plan,
particulièrement gâtés, si l’on ose dire. Ceci étant dit, avec sa philosophie
de bazar façon new age, ce Cloud Atlas, qui trouve au demeurant de
solides défenseurs, a hélas tout pour devenir demain ce que l’on appelle
aujourd’hui un film-culte. Comprenne qui pourra.
[1] Publié
en 2004 et traduit en 2007 aux éditions de l’Olivier sous le titre de
« Cartographie des nuages ».
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