A
la merveille (To
the Wonder), de Terrence Malick (2012).
Cinéaste rare et précieux (six films
seulement en quarante ans), Terrence Malick semble avec l’âge (il est né en
1943) vouloir accélérer son rythme de production (son précédent film, The Tree of Life, ne date que de 2011)
tout en radicalisant son cinéma, le situant désormais à la limite du poème
visuel et de la quête expérimentale. On en arrive ainsi avec son dernier opus, To the Wonder, à devoir aborder son art
en renonçant aux habituels critères tout en s’interrogeant sur la pertinence de
son évolution : acmé prodigieuse ou impasse provisoire, voire
définitive ?
Ceux qui suivent Terrence Malick depuis
ses débuts en 1973 avec Badlands (La Balade sauvage) savent bien que le
rapport de l’homme à la nature et aux forces telluriques est l’un des thèmes
majeurs qui traversent son œuvre -- peut-être même son thème essentiel. Palme d’or
à Cannes en 2011, The Tree of Life en
constituait en quelque sorte l’illustration extrême, à la fois réussite absolue
et échec inévitable. Réussite absolue puisque le cinéaste, dans une entreprise
d’une folle ambition, parvenait à planter au plus profond de la terre les
racines de sa réflexion sur la place de l’homme dans l’univers tout en poussant
au plus haut des cieux les plus belles branches de son « arbre de
vie » ; mais aussi échec inévitable tant l’ambition même de son
propos débouchait sur des recherches auxquelles le cinéma se prête mal, menant
la logique de sa démarche jusqu’à, pouvait-on penser, son point ultime,
réduisant ses acteurs à des silhouettes tout juste bonnes à figurer dans un
coin du tableau dont ils ne sont plus le centre mais rien qu’un élément parmi
d’autres. Cette volonté « totalisante » trouvait malgré tout sa
logique et sa cohérence en même temps que ses limites, flirtant ici ou là avec
la boursoufflure et le ridicule, mais parvenant en dépit de tout à y échapper.
Parvenu au point de rupture d’une
radicalité triomphante sinon triomphale, prisonnier de l’ampleur de son propos
et de la profondeur de son ambition, que pouvait bien faire Malick ensuite,
sinon chercher à remettre le couvert plutôt que de revenir en arrière,
notamment vers un type de narration qu’on dira plus classique ? Cependant, que le cinéaste le veuille ou non, il y
a bien retour en arrière, non point sur la forme, toujours maîtrisée, mais sur
le fond. Comment en effet, après les hauteurs où il nous entraînait dans The Tree of Life, s’intéresser à des personnages aussi
inconsistants que ceux qu’il nous propose de suivre aujourd’hui, héros
ectoplasmiques de ce qui se révèle être à l’arrivée ni plus ni moins qu’un
drame de l’adultère bourgeois qui lorgnerait vers le Bergman ou l’Antonioni des
mauvais jours -- je caricature à peine. On est là en pleine
régression d’inspiration et l’on n’évite pas
même les pires clichés lors des séquences parisiennes, véritable
anthologie de tous les lieux communs dont un touriste américain en visite à
Paris ne saurait faire l’économie. Le tout assaisonné d’un vague commentaire off aussi pompeux que soigneusement
décalé -- pour faire plus profond sans doute. Et ce
n’est pas dans la partie américaine du film, en alternant de très belles images
de nature, directement inspirées des tableaux d’Andrew Wyeth, avec de vagues,
très vagues préoccupations écologiques autour de ce que l’on pense être une
grave pollution du sol (on n’en saura pas plus), que Malick renouvelle ou
amplifie sa réflexion sur l’homme et sa place dans un hypothétique « grand
tout ». Aussi, peut-être conscient de sa propre impuissance à faire passer
le message, le confie-t-il cette fois à un personnage de prêtre (Javier Bardem,
aux silences lourds de sous-entendus) dont les interrogations métaphysiques
sont censées apporter au récit les clés de sa signification.
Cet échec, dont on pouvait entrevoir les
prémisses dans The Tree of Life,
devient ici aussi absolu que la radicalité dont Malick semble vouloir faire
désormais son ordinaire. Sans doute maîtrise-t-il de façon remarquable la
technique, tant sur le plan de l’image et des mouvements d’appareil que du son,
très travaillé, et l’on peut comprendre que Ben Affleck ait pu dire avoir
davantage appris en travaillant sur ce film qu’au cours de tous les autres
tournages auxquels il a pu participer. Mais espérons aussi que le peu de cas
que Malick fait de ses acteurs incite, à l’inverse, l’excellent metteur en
scène qu’il est à leur donner toujours leur juste place -- et
non à les réduire à l’état de pantins sans âme, à peine animés et
volontairement inexpressifs. Cinéaste que nous avons tant aimé et admiré,
Malick nous doit aujourd’hui une revanche, en commençant par quitter l’impasse
dans laquelle il s’est fourvoyé.
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