4 mars 2013

Sous les auspices d'Hitchcock et de Le Carré.


Möbius, d’Eric Rochant (2012).

            Ex-espoir déçu du cinéma français qui débuta sur les chapeaux de roue avec Un Monde sans pitié (1989), film générationnel qui connut une grande fortune publique et critique et, d’une certaine façon, lui coupa les ailes à l’aube de sa carrière (ce genre de mésaventure accompagne parfois un succès précoce), Eric Rochant n’a depuis lors cessé de tâtonner en quête d’un hypothétique second souffle, finalement jamais trouvé. Il s’est reconverti depuis peu dans le polar nerveux à la télévision (la série Mafiosa), ce qui lui a peut-être donné l’idée de revenir au monde glauque de l’espionnage, précédemment exploré avec Les Patriotes (1994). Cette fois-ci, il mêle l’actualité la plus immédiate (les opérations financières douteuses capables à elles seules de ruiner une banque, voire un pays) aux éternelles luttes souterraines qui opposent les services de renseignements dans un combat où tous les coups sont permis  --  et surtout les plus tordus.

            Soit donc une jeune et jolie « tradeuse » (je ne sais si le terme existe, mais la fonction, assurément), Alice (Cécile de France), entraînée dans des manipulations ourdies à la fois par la CIA américaine et le FSB russe. Rochant organise son intrigue à la façon d’un roman de  John Le Carré, période post-guerre froide, mêlant des ressorts narratifs soigneusement embrouillés à des destinées individuelles sacrifiées à une ténébreuse raison d’état  --  sinon à de sordides intérêts particuliers, chacun cherchant à tirer les marrons du feu dans une partie d’échecs mondialisée. Entrent donc en scènes des agents russes dirigés par un officier parfaitement bilingue (c’est Jean Dujardin) et, développement prévisible, une torride passion amoureuse va bientôt réunir la banquière et l’espion, brouillant considérablement les cartes.

            Même convenablement troussée, avec toute l’obscurité nécessaire, l’histoire n’est pas d’une grande originalité, et les péripéties imaginées par le cinéaste (même plus ou moins inspirées de la réalité) sont trop attendues pour être vraiment convaincantes. Reste malgré tout que Rochant témoigne d’un savoir-faire certain qui rend l’intrigue agréable à suivre en dépit d’invraisemblances criantes. Tout autant que du côté de Le Carré, c’est aussi, et peut-être davantage, vers Hitchcock qu’il lorgne, un Hitchcock dont les scénarios n’étaient pas toujours à la hauteur de ses mises en scène  --  et c’est aussi là qu’il échoue le plus cruellement. La Côte d’Azur évoque La Main au collet (To Catch a Thief, 1955, un Hitchcock plutôt mineur) ; le couple que forment Cécile de France et Jean Dujardin n’est pas sans rappeler Les Enchaînés (Notorious, 1946), et difficile de ne pas voir ici en filigrane le long baiser d’anthologie qu’y échangent Ingrid Bergman et Cary Grant ; certaines séquences enfin (l’assassinat du garde du corps dans l’ascenseur) peuvent sonner comme de lointaines (et surtout très atténuées) réminiscences du Rideau déchiré (Torn Curtain, 1966). Mais, c’est une évidence, Rochant ne possède pas le génie visuel du maître et, en dépit de toute son habileté, jamais sa mise en scène ne parvient à dépasser les limites d’un professionnalisme de bon aloi. On me dira, et j’en conviens bien volontiers, que ça n’est déjà pas si mal en des temps où le pire amateurisme s’étale avec complaisance pour la plus grande gloire d’un soi-disant « cinéma d’auteur ». Pas si mal, certes, mais pas pour autant suffisant pour distinguer le film du tout-venant d’une production un peu terne.

            La distribution obéit à la même règle : d’une bonne qualité mais finalement sans grand relief. Il serait cependant injuste, comme j’ai pu le lire parfois, de reprocher à Jean Dujardin d’être peu crédible en agent secret russe, quand on accepte par ailleurs sans broncher des voir tant d’acteurs anglo-saxons interpréter dans les mêmes conditions des rôles voisins. Avec Cécile de France, très bien mais peut-être un peu trop légère, il parvient même à faire passer ici ou là (ainsi dans la scène où les masques tombent et où le titre trouve son explication) une émotion dont on lui sait gré. On en regrettera d’autant plus que la mise en scène, efficace sans plus, demeure constamment très en-deçà de ce que l’on pouvait attendre  --  bien loin par exemple du Ghost Writer  de Roman Polanski (2010), qui reste il est vrai un modèle du genre.

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