Möbius,
d’Eric Rochant (2012).
Ex-espoir déçu du cinéma français
qui débuta sur les chapeaux de roue avec Un
Monde sans pitié (1989), film générationnel qui connut une grande fortune
publique et critique et, d’une certaine façon, lui coupa les ailes à l’aube de
sa carrière (ce genre de mésaventure accompagne parfois un succès précoce),
Eric Rochant n’a depuis lors cessé de tâtonner en quête d’un hypothétique
second souffle, finalement jamais trouvé. Il s’est reconverti depuis peu dans
le polar nerveux à la télévision (la série Mafiosa),
ce qui lui a peut-être donné l’idée de revenir au monde glauque de
l’espionnage, précédemment exploré avec Les
Patriotes (1994). Cette fois-ci, il mêle l’actualité la plus immédiate (les
opérations financières douteuses capables à elles seules de ruiner une banque,
voire un pays) aux éternelles luttes souterraines qui opposent les services de
renseignements dans un combat où tous les coups sont permis -- et
surtout les plus tordus.
Soit donc une jeune et jolie
« tradeuse » (je ne sais si le terme existe, mais la fonction,
assurément), Alice (Cécile de France), entraînée dans des manipulations ourdies
à la fois par la CIA américaine et le FSB russe. Rochant organise son intrigue
à la façon d’un roman de John Le Carré,
période post-guerre froide, mêlant des ressorts narratifs soigneusement
embrouillés à des destinées individuelles sacrifiées à une ténébreuse raison
d’état -- sinon à de sordides intérêts particuliers,
chacun cherchant à tirer les marrons du feu dans une partie d’échecs
mondialisée. Entrent donc en scènes des agents russes dirigés par un officier
parfaitement bilingue (c’est Jean Dujardin) et, développement prévisible, une
torride passion amoureuse va bientôt réunir la banquière et l’espion,
brouillant considérablement les cartes.
Même convenablement troussée, avec
toute l’obscurité nécessaire, l’histoire n’est pas d’une grande originalité, et
les péripéties imaginées par le cinéaste (même plus ou moins inspirées de la
réalité) sont trop attendues pour être vraiment convaincantes. Reste malgré
tout que Rochant témoigne d’un savoir-faire certain qui rend l’intrigue
agréable à suivre en dépit d’invraisemblances criantes. Tout autant que du côté
de Le Carré, c’est aussi, et peut-être davantage, vers Hitchcock qu’il lorgne,
un Hitchcock dont les scénarios n’étaient pas toujours à la hauteur de ses mises
en scène -- et c’est aussi là qu’il échoue le plus
cruellement. La Côte d’Azur évoque La
Main au collet (To Catch a Thief,
1955, un Hitchcock plutôt mineur) ; le couple que forment Cécile de France
et Jean Dujardin n’est pas sans rappeler Les
Enchaînés (Notorious, 1946), et
difficile de ne pas voir ici en filigrane le long baiser d’anthologie qu’y
échangent Ingrid Bergman et Cary Grant ; certaines séquences enfin
(l’assassinat du garde du corps dans l’ascenseur) peuvent sonner comme de
lointaines (et surtout très atténuées) réminiscences du Rideau déchiré (Torn Curtain,
1966). Mais, c’est une évidence, Rochant ne possède pas le génie visuel du
maître et, en dépit de toute son habileté, jamais sa mise en scène ne parvient
à dépasser les limites d’un professionnalisme de bon aloi. On me dira, et j’en
conviens bien volontiers, que ça n’est déjà pas si mal en des temps où le pire
amateurisme s’étale avec complaisance pour la plus grande gloire d’un
soi-disant « cinéma d’auteur ». Pas si mal, certes, mais pas pour
autant suffisant pour distinguer le film du tout-venant d’une production un peu
terne.
La distribution obéit à la même
règle : d’une bonne qualité mais finalement sans grand relief. Il serait
cependant injuste, comme j’ai pu le lire parfois, de reprocher à Jean Dujardin
d’être peu crédible en agent secret russe, quand on accepte par ailleurs sans
broncher des voir tant d’acteurs anglo-saxons interpréter dans les mêmes
conditions des rôles voisins. Avec Cécile de France, très bien mais peut-être
un peu trop légère, il parvient même
à faire passer ici ou là (ainsi dans la scène où les masques tombent et où le
titre trouve son explication) une émotion dont on lui sait gré. On en
regrettera d’autant plus que la mise en scène, efficace sans plus, demeure
constamment très en-deçà de ce que l’on pouvait attendre --
bien loin par exemple du Ghost
Writer de Roman Polanski (2010), qui
reste il est vrai un modèle du genre.
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