6 février 2013

Une comédie romantique filmée comme un match de boxe.


Happiness Therapy (Silver Linings Playbook), de David O. Russell (2012).

            De David O. Russell, on avait particulièrement remarqué Les Rois du désert (Three Kings, 1999), satire corrosive de la guerre du Golfe et de l’arrogance d’une Amérique belliqueuse, et Fighter (2010), un film sur la boxe, cette fois dans l’Amérique meurtrie des pauvres Blancs  --  deux œuvres curieusement décalées qui composaient à l’arrivée un intéressant diptyque sur l’Amérique contemporaine. Bien qu’il ait fait ses premières armes avec des comédies (Sparking the Money, 1994, et Flirter avec les embrouilles/Flirting with Disaster, 1996), on s’attendait d’autant moins à le voir revenir vers ce type de film que J’adore Huckabees (I Heart Huckabees, 2004) n’avait pas vraiment convaincu  --  et qu’au surplus le qualificatif de « romantique » paraissait aux antipodes d’un naturel plus volontiers rugueux. Mais, soyons juste, peut-on parler de comédie romantique à propos de Happiness Therapy ?

            Soit donc deux cabossés de la vie, issus de la lower middle class, lui, Pat (Bradley Cooper), qui sort d’un hôpital psychiatrique après divers démêlés conjugaux, elle, Tiffany (Jennifer Lawrence), qui se remet mal d’un veuvage récent, tous les deux plus au fait des effets secondaires des antidépresseurs que des recettes permettant de vivre heureux et équilibrés. On sait que tout se terminera par un mariage, ou ce qui en tient lieu, mais Russell emprunte des voies originales et relativement inédites pour y arriver, ne cédant aux conventions du genre qu’à la toute fin du film  --  et encore.

            Car pour le reste, on se demande si l’on a bien affaire à une comédie tant Russell place ses personnages dans des situations inconfortables  --  toutes cependant en parfaite cohérence avec leur état mental. La plus grande partie du film apparaît fort peu aimable, plaçant le spectateur dans une position de voyeurisme plutôt gênante mais assez forte. D’où un rire ni franc ni massif mais au contraire circonspect et non dénué d’arrière-pensées. On ressent même un vrai malaise devant des affrontements plus pénibles que drôles et qui évoquent davantage Une femme sous influence (A Woman under the Influence, John Cassavetes, 1974) que Coup de foudre à Notting Hill (Notting Hill, Roger Michell, 1999).

            Les relations qu’entretiennent Pat et Tiffany relèvent davantage ici d’un combat de boxe que d’une comédie romantique  --  et tout leur entourage, famille et amis compris, témoignent d’un monde qu’on dirait au bord de la rupture. On retrouve pour le coup l’image  d’une Amérique déjà décrite dans Les Rois du désert et Fighter, moins sûre d’elle-même qu’elle le voudrait et menacée jusque dans ses racines les plus profondes  --  et les plus sacrées. Les valeurs politiques ou familiales volent en éclat, laissant les personnages en proie à leurs démons intérieurs : rien d’étonnant dès lors à ce que la folie devienne pour certains d’entre eux une sorte de refuge d’un nouveau type.

            La fin, pour prévisible et convenue qu’elle soit, ne parvient pas pour autant à effacer complètement le malaise que l’on a ressenti tout au long du film. Il fallait, commercialement parlant, en arriver là, mais on ne peut s’empêcher d’y voir autre chose qu’un coup de pouce scénaristique trop superficiel pour être honnête. On peut même imaginer, et c’est le plus probable, qu’il ne s’agit là que d’une simple pause dans un processus de crise permanente et que rien n’est finalement réglé.

            Russell, par ses choix de mise en scène, avec une caméra très mobile qui paraît comme traquer les personnages, trouve un parfait équivalent visuel à l’état de tension, tant physique que psychologique, d’individus toujours sur le fil du rasoir. Et les acteurs jouent le jeu avec conviction, et notamment Jennifer Lawrence que son jeune âge n’empêche nullement de donner richesse et épaisseur à un personnage rien moins qu’attendu. Une bonne surprise donc, à saisir d’autant plus rapidement qu’elle risque de ne guère séduire les foules.

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