Happiness
Therapy (Silver
Linings Playbook), de David O. Russell (2012).
De David O. Russell, on avait
particulièrement remarqué Les Rois du
désert (Three Kings, 1999),
satire corrosive de la guerre du Golfe et de l’arrogance d’une Amérique
belliqueuse, et Fighter (2010), un
film sur la boxe, cette fois dans l’Amérique meurtrie des pauvres Blancs --
deux œuvres curieusement décalées qui composaient à l’arrivée un
intéressant diptyque sur l’Amérique contemporaine. Bien qu’il ait fait ses
premières armes avec des comédies (Sparking
the Money, 1994, et Flirter avec les
embrouilles/Flirting with Disaster, 1996), on s’attendait d’autant moins à
le voir revenir vers ce type de film que J’adore
Huckabees (I Heart Huckabees,
2004) n’avait pas vraiment convaincu
-- et qu’au surplus le
qualificatif de « romantique » paraissait aux antipodes d’un naturel
plus volontiers rugueux. Mais, soyons juste, peut-on parler de comédie
romantique à propos de Happiness
Therapy ?
Soit donc deux cabossés de la vie,
issus de la lower middle class, lui,
Pat (Bradley Cooper), qui sort d’un hôpital psychiatrique après divers démêlés
conjugaux, elle, Tiffany (Jennifer Lawrence), qui se remet mal d’un veuvage
récent, tous les deux plus au fait des effets secondaires des antidépresseurs
que des recettes permettant de vivre heureux et équilibrés. On sait que tout se
terminera par un mariage, ou ce qui en tient lieu, mais Russell emprunte des
voies originales et relativement inédites pour y arriver, ne cédant aux
conventions du genre qu’à la toute fin du film
-- et encore.
Car pour le reste, on se demande si
l’on a bien affaire à une comédie tant Russell place ses personnages dans des situations
inconfortables -- toutes cependant en parfaite cohérence avec
leur état mental. La plus grande partie du film apparaît fort peu aimable,
plaçant le spectateur dans une position de voyeurisme plutôt gênante mais assez
forte. D’où un rire ni franc ni massif mais au contraire circonspect et non
dénué d’arrière-pensées. On ressent même un vrai malaise devant des
affrontements plus pénibles que drôles et qui évoquent davantage Une femme sous influence (A Woman under the Influence, John
Cassavetes, 1974) que Coup de foudre à
Notting Hill (Notting Hill, Roger
Michell, 1999).
Les relations qu’entretiennent Pat
et Tiffany relèvent davantage ici d’un combat de boxe que d’une comédie
romantique -- et tout leur entourage, famille et amis
compris, témoignent d’un monde qu’on dirait au bord de la rupture. On retrouve
pour le coup l’image d’une Amérique déjà
décrite dans Les Rois du désert et Fighter, moins sûre d’elle-même qu’elle
le voudrait et menacée jusque dans ses racines les plus profondes -- et
les plus sacrées. Les valeurs politiques ou familiales volent en éclat,
laissant les personnages en proie à leurs démons intérieurs : rien
d’étonnant dès lors à ce que la folie devienne pour certains d’entre eux une
sorte de refuge d’un nouveau type.
La fin, pour prévisible et convenue
qu’elle soit, ne parvient pas pour autant à effacer complètement le malaise que
l’on a ressenti tout au long du film. Il fallait, commercialement parlant, en
arriver là, mais on ne peut s’empêcher d’y voir autre chose qu’un coup de pouce
scénaristique trop superficiel pour être honnête. On peut même imaginer, et
c’est le plus probable, qu’il ne s’agit là que d’une simple pause dans un
processus de crise permanente et que rien n’est finalement réglé.
Russell, par ses choix de mise en
scène, avec une caméra très mobile qui paraît comme traquer les personnages,
trouve un parfait équivalent visuel à l’état de tension, tant physique que
psychologique, d’individus toujours sur le fil du rasoir. Et les acteurs jouent
le jeu avec conviction, et notamment Jennifer Lawrence que son jeune âge
n’empêche nullement de donner richesse et épaisseur à un personnage rien moins
qu’attendu. Une bonne surprise donc, à saisir d’autant plus rapidement qu’elle
risque de ne guère séduire les foules.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire