Flight,
de Robert Zemeckis (2012).
Contrairement à certains de ses
petits camarades de ce cinéma américain qui fut baptisé « Nouvel
Hollywood » à la charnière des années 70 et 80, Robert Zemeckis n’a pas
voulu (ou pu) bâtir une œuvre cohérente, préférant s’en tenir à une production
hétéroclite (ce n’est pas un défaut, tant s’en faut) qui lui a valu quelques
grands succès commerciaux, de la saga Retour
vers le futur (Back to Future,
1985, et ses deux suites en 1989 et 1990) à Forrest
Gump (1994) en passant par Qui veut
la peau de Roger Rabbit (Who Framed
Roger Rabbit, 1988). Une vingtaine d’années en demi-teinte ont suivi Forrest Gump (il est parfois difficile
de se remettre d’un triomphe) jusqu’à Flight
aujourd’hui, dernier avatar d’une filmographie protéiforme où opportunisme et
roublardise auront surtout tenu lieu de talent à un cinéaste plutôt médiocre
dans l’ensemble.
Non d’ailleurs que Zemeckis manque
de savoir-faire. Toute la première demi-heure du film tient plutôt bien la
route, si j’ose dire. On y voit un pilote de ligne, Whip Whitaker (Denzel
Washington), alcoolique qui se remet d’aplomb en sniffant de la coke, parvenir
à faire atterrir son appareil après un incident technique en plein vol -- sauvant
ainsi la vie à l’essentiel des passagers et des membres d’équipage. Jusqu’ici
tout va bien, si j’ose encore dire : Zemeckis assure avec
professionnalisme, maîtrisant parfaitement la dimension spectaculaire de son
récit tout en introduisant une autre histoire en parallèle, celle d’une jeune junkie, Nicole (la britannique Kelly
Reilly), toujours en quête d’un shoot
et victime d’une overdose au moment même où l’avion en détresse survole son
immeuble. C’est là que le scénario commence à laisser un peu trop voir les
grosses ficelles qui lui serviront d’inspiration.
Car bien entendu Flight n’est pas un film-catastrophe à la façon d’un quelconque 747 en péril (Airport 1975, Jack Smight, 1974) et si le crash est l’objet du
film, il n’en est pas pour autant le sujet. Bien que considéré comme un héros,
Whitaker fait l’objet d’une enquête qui pourrait très mal tourner pour lui, les
examens toxicologiques ayant révélé qu’il était en état d’ivresse au moment de
l’accident. Aussitôt le film change de cap pour devenir le portrait d’un
alcoolique qui refuse l’évidence de son addiction et des ravages qui s’en
suivent. Et comme, au cinéma, moyennant un coup de pouce scénaristique plus ou
moins grossier, les parallèles finissent toujours par se rejoindre, Whitaker
retrouve comme par hasard Nicole dans l’hôpital où on les a transportés l’un et
l’autre -- deux « dépendants » pour le prix
d’un en somme.
L’ironie est facile, je le sais bien, et
il n’est jamais commode d’aborder au cinéma la question des addictions -- et
notamment de l’alcoolisme. En a-t-on subi de ces insupportables mélos qui ne
valent souvent que par la performance de leur acteur (ou actrice) principal,
les rôles d’alcooliques étant particulièrement porteurs pour les comédiens (et
comédiennes). Denzel Washington n’échappe pas à la règle, ici parfaitement à
son affaire (il a lui aussi, comme son personnage, du métier et pas mal
d’heures de vol) et qui se retrouve ainsi menacé d’une nouvelle
« oscarisation ». Le problème de Flight
ne tient d’ailleurs nullement à la qualité de ses acteurs, tous excellents, pas
plus qu’à l’originalité (ou non) de son sujet. Etudier les affres d’une
conscience coupable plongée dans la dénégation, fût-elle celle d’un alcoolique,
pourquoi pas ; rajouter les thèmes du rachat et de la rédemption, cela va
presque de soi ; rien donc de répréhensible dans les intentions. Reste la
manière : très vite en effet l’histoire tourne en un interminable et
assommant prêchi-prêcha où Dieu ne cesse d’être appelé à la rescousse d’un
discours essentiellement moralisateur et édifiant. L’avion ne se pose-t-il pas
à deux pas d’un groupe qu’on peut supposer être des chrétiens évangélistes dont
on nous dit que, depuis lors, ils ne cessent de prier sur les lieux du crash ?
On est bien là, sans le moindre recul critique, au cœur d’une Amérique qui a
élu naguère (et par deux fois) un président alcoolique repenti, sauvé par Dieu
et devenu born again.
A cette vision du monde résolument
conservatrice s’ajoute la rouerie d’un scénario qui ne recule devant aucune
démagogie. Car l’alcoolique qu’on nous propose ne saurait être un véritable
salaud, voire le responsable effectif de la catastrophe -- ce
qui serait autrement plus intéressant mais aussi nettement moins confortable. C’est
en présence d’un vrai héros que l’on se retrouve, un individu exceptionnel dont
l’alcoolisme ne semble guère affecter les qualités professionnelles -- ne
nous précise-t-on pas que lui seul était capable d’un tel exploit ? Un vrai
héros américain en somme ; mais, avant d’être reconnu comme tel, qui doit
passer par la case prison, puisqu’il ne saurait exister de rachat digne de ce
nom sans un séjour derrière les barreaux. Une certaine morale, teintée de
politiquement correct, ne peut en effet accepter qu’un ivrogne, même héroïque,
s’en tire à si bon compte : aussi Whitaker finira par confesser sa faute
et sera puni, mais pas trop malgré tout. Et, cerise sur cet écœurant gâteau, il
retrouvera au passage l’estime de son fils
-- lequel, pourtant, ne l’avait
guère ménagé quelques scènes auparavant.
Sans doute, dira-t-on, cette bonne
conscience fait-elle partie d’un certain cinéma américain qu’on apprécie
parfois au plus haut point. Mais on peut mesurer ici, et c’est toute la
différence, l’abîme qui sépare un point de vue moral d’un vulgaire discours
moralisateur pétri de démagogie et d’autosatisfaction. Et comme la mise en
scène, qui se fait de plus en plus poussive à mesure que l’histoire avance, ne
compense guère les faiblesses du récit, on se surprend presque à regretter
certains films-catastrophes d’antan
-- certes essentiellement spectaculaires mais au moins honnêtes.
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