18 février 2013

Un lourd prêchi-prêcha moralisateur.


Flight, de Robert Zemeckis (2012).

            Contrairement à certains de ses petits camarades de ce cinéma américain qui fut baptisé « Nouvel Hollywood » à la charnière des années 70 et 80, Robert Zemeckis n’a pas voulu (ou pu) bâtir une œuvre cohérente, préférant s’en tenir à une production hétéroclite (ce n’est pas un défaut, tant s’en faut) qui lui a valu quelques grands succès commerciaux, de la saga Retour vers le futur (Back to Future, 1985, et ses deux suites en 1989 et 1990) à Forrest Gump (1994) en passant par Qui veut la peau de Roger Rabbit (Who Framed Roger Rabbit, 1988). Une vingtaine d’années en demi-teinte ont suivi Forrest Gump (il est parfois difficile de se remettre d’un triomphe) jusqu’à Flight aujourd’hui, dernier avatar d’une filmographie protéiforme où opportunisme et roublardise auront surtout tenu lieu de talent à un cinéaste plutôt médiocre dans l’ensemble.

            Non d’ailleurs que Zemeckis manque de savoir-faire. Toute la première demi-heure du film tient plutôt bien la route, si j’ose dire. On y voit un pilote de ligne, Whip Whitaker (Denzel Washington), alcoolique qui se remet d’aplomb en sniffant de la coke, parvenir à faire atterrir son appareil après un incident technique en plein vol  --  sauvant ainsi la vie à l’essentiel des passagers et des membres d’équipage. Jusqu’ici tout va bien, si j’ose encore dire : Zemeckis assure avec professionnalisme, maîtrisant parfaitement la dimension spectaculaire de son récit tout en introduisant une autre histoire en parallèle, celle d’une jeune junkie, Nicole (la britannique Kelly Reilly), toujours en quête d’un shoot et victime d’une overdose au moment même où l’avion en détresse survole son immeuble. C’est là que le scénario commence à laisser un peu trop voir les grosses ficelles qui lui serviront d’inspiration.

Car bien entendu Flight n’est pas un film-catastrophe à la façon d’un quelconque 747 en péril (Airport 1975, Jack Smight, 1974) et si le crash est l’objet du film, il n’en est pas pour autant le sujet. Bien que considéré comme un héros, Whitaker fait l’objet d’une enquête qui pourrait très mal tourner pour lui, les examens toxicologiques ayant révélé qu’il était en état d’ivresse au moment de l’accident. Aussitôt le film change de cap pour devenir le portrait d’un alcoolique qui refuse l’évidence de son addiction et des ravages qui s’en suivent. Et comme, au cinéma, moyennant un coup de pouce scénaristique plus ou moins grossier, les parallèles finissent toujours par se rejoindre, Whitaker retrouve comme par hasard Nicole dans l’hôpital où on les a transportés l’un et l’autre  --  deux « dépendants » pour le prix d’un en somme.

L’ironie est facile, je le sais bien, et il n’est jamais commode d’aborder au cinéma la question des addictions  --  et notamment de l’alcoolisme. En a-t-on subi de ces insupportables mélos qui ne valent souvent que par la performance de leur acteur (ou actrice) principal, les rôles d’alcooliques étant particulièrement porteurs pour les comédiens (et comédiennes). Denzel Washington n’échappe pas à la règle, ici parfaitement à son affaire (il a lui aussi, comme son personnage, du métier et pas mal d’heures de vol) et qui se retrouve ainsi menacé d’une nouvelle « oscarisation ». Le problème de Flight ne tient d’ailleurs nullement à la qualité de ses acteurs, tous excellents, pas plus qu’à l’originalité (ou non) de son sujet. Etudier les affres d’une conscience coupable plongée dans la dénégation, fût-elle celle d’un alcoolique, pourquoi pas ; rajouter les thèmes du rachat et de la rédemption, cela va presque de soi ; rien donc de répréhensible dans les intentions. Reste la manière : très vite en effet l’histoire tourne en un interminable et assommant prêchi-prêcha où Dieu ne cesse d’être appelé à la rescousse d’un discours essentiellement moralisateur et édifiant. L’avion ne se pose-t-il pas à deux pas d’un groupe qu’on peut supposer être des chrétiens évangélistes dont on nous dit que, depuis lors, ils ne cessent de prier sur les lieux du crash ? On est bien là, sans le moindre recul critique, au cœur d’une Amérique qui a élu naguère (et par deux fois) un président alcoolique repenti, sauvé par Dieu et devenu born again.

A cette vision du monde résolument conservatrice s’ajoute la rouerie d’un scénario qui ne recule devant aucune démagogie. Car l’alcoolique qu’on nous propose ne saurait être un véritable salaud, voire le responsable effectif de la catastrophe  --  ce qui serait autrement plus intéressant mais aussi nettement moins confortable. C’est en présence d’un vrai héros que l’on se retrouve, un individu exceptionnel dont l’alcoolisme ne semble guère affecter les qualités professionnelles  --  ne nous précise-t-on pas que lui seul était capable d’un tel exploit ? Un vrai héros américain en somme ; mais, avant d’être reconnu comme tel, qui doit passer par la case prison, puisqu’il ne saurait exister de rachat digne de ce nom sans un séjour derrière les barreaux. Une certaine morale, teintée de politiquement correct, ne peut en effet accepter qu’un ivrogne, même héroïque, s’en tire à si bon compte : aussi Whitaker finira par confesser sa faute et sera puni, mais pas trop malgré tout. Et, cerise sur cet écœurant gâteau, il retrouvera au passage l’estime de son fils  --  lequel, pourtant, ne l’avait guère ménagé quelques scènes auparavant.

Sans doute, dira-t-on, cette bonne conscience fait-elle partie d’un certain cinéma américain qu’on apprécie parfois au plus haut point. Mais on peut mesurer ici, et c’est toute la différence, l’abîme qui sépare un point de vue moral d’un vulgaire discours moralisateur pétri de démagogie et d’autosatisfaction. Et comme la mise en scène, qui se fait de plus en plus poussive à mesure que l’histoire avance, ne compense guère les faiblesses du récit, on se surprend presque à regretter certains films-catastrophes d’antan  --  certes essentiellement spectaculaires mais au moins honnêtes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire