Réédition de Qui
a peur de Virginia Woolf ? (Who’s Afraid of Virginia Woolf ?), de Mike Nichols (1966).
Avec Tennessee Williams et Arthur
Miller, bien que dans une moindre mesure, Edward Albee reste un des auteurs
dramatiques américains les plus fameux des décennies de l’immédiat
après-guerre, et « Qui a peur de Virginia Woolf ? »[1]
assurément sa pièce la plus connue. Pour ses débuts cinématographiques en 1966,
Mike Nichols, célèbre metteur en scène de Broadway, l’adapta à l’écran (avec la
complicité du scénariste Ernest Lehman[2]),
avant de passer à des projets plus originaux (Le Lauréat/The Graduate, 1967, ou Ce plaisir qu’on dit charnel/Carnal Knowledge, 1971), voire très
casse-gueule (son adaptation du roman de Joseph Heller, Catch 22, 1970, par exemple). C’était aussi l’époque où le couple
Burton-Taylor défrayait la chronique qu’on n’appelait pas encore people et leurs frasques intimes
trouvaient une sorte d’écho dans certaines de leurs prestations, véritable
combat de monstres sacrés (comme ici ou dans La Mégère apprivoisée/The Taming of the Shrew, Franci Zeffirelli,
1967) --
assurées du même coup d’une juteuse rentabilité commerciale. Quant à Nichols
lui-même, il a mené jusqu’aujourd’hui une carrière cinématographique sans vrai
grand relief, mais point déshonorante cependant et qui mérite mieux que
l’opprobre dans lequel une bonne partie de la critique française l’a longtemps
tenue.
Qui
a peur de Virginia Woolf, le film, suit la pièce de très près, tout le
travail d’Ernest Lehman ayant apparemment consisté à l’«aérer» (en la déplaçant
un moment dans un bar désert) et à en élaguer un peu le texte. Rien qui remette
en cause ce long exorcisme en forme de scène de ménage qu’est la pièce, où l’on
voit un couple vieillissant, lui, George (Richard Burton), est un universitaire
plus ou moins raté, elle, Martha (Elizabeth Taylor), est la fille du doyen, se
déchirer à coups de soi-disant vérités qui ne sont peut-être que des
mensonges -- ou plutôt des illusions qui aident à vivre
quand tout le reste a échoué. Un professeur qui vient d’arriver sur le campus,
Nick (George Segal), et sa toute jeune femme, Honey (Sandy Dennis), d’abord
témoins de l’affrontement, découvrent dans cette partie de dés pipés qu’ils ne
sont pas tout à fait ce qu’ils prétendent être. Ainsi un jeu de fantasmes
devient-il le fidèle reflet d’une vérité qui demeure après que la façade des
apparences ait été brisée.
Contrairement à ce que l’on pourrait
penser, le texte lui-même tient plutôt bien le coup, sans jamais tomber dans la
démonstration. Là où le bât blesse cruellement en revanche, c’est dans les
choix de mise en scène de Mike Nichols dont c’était, rappelons-le, les débuts
derrière une caméra. Comme bon nombre de ses confrères metteurs en scène de
théâtre adaptant une pièce au cinéma, il cherche désespérément tout au long du
film à échapper au reproche de faire du «théâtre en conserve» en en rajoutant
dans des effets qu’il juge sans doute particulièrement cinématographiques. D’où
le choix par exemple d’«aérer» la pièce de façon assez maladroite (ce qui se
révèle au surplus être un contresens, le huis-clos renforçant au contraire
l’enfermement intérieur des personnages) ou de découper à l’excès certaines
scènes en multipliant des gros plans qui se veulent «signifiants» et ne font en
fait qu’accentuer le jeu parfois trop appuyé (trop théâtral ?) des
comédiens -- Burton mis à part, qui domine assez largement
le débat.
Que l’on compare (comparaison écrasante,
j’en conviens, mais tout de même éclairante) Qui a peur de Virginia Woolf ? avec Le Limier (Sleuth) de
Mankiewicz (1972), qui adapte également une pièce de théâtre à huis-clos, et
l’on comprendra sans peine ce qui sépare un metteur en scène de théâtre croyant
faire du cinéma avec un metteur en scène de cinéma, grand amateur de scènes de
dialogues au demeurant, transformant un objet de théâtre en un bijou de cinéma.
Reste évidemment les acteurs, en dépit des réserves ponctuelles que j’ai déjà
exprimées, pour lesquels un tel texte est une aubaine en même temps qu’un
«véhicule» exceptionnel. C’est en grande partie pour eux (et pour le beau texte
d’Albee aussi, tout de même) que le film mérite encore aujourd’hui d’être vu.
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