Gangster
Squad, de Reuben Fleischer (2012)
Réédition de Miller’s Crossing, des frères Coen
(1990).
Reuben Fleischer est un habile
fabricant, à la technique indiscutablement très sûre, capable de passer sans
transition ou presque d’une parodie de film gore agrémentée de force références
cinéphiliques (Zombieland/Bienvenue à
Zombieland, 2009) à un film d’aventures policières à l’humour potache et
dont il n’y a pas grand-chose à dire (30
Minutes or less/30 minutes maximum, 2011) jusqu’à cette reconstitution minutieuse
de l’univers des gangsters américains de l’après-guerre qu’est aujourd’hui Gangster Squad.
Objectivement, on ne peut pas
reprocher grand-chose à ce dernier film : la reconstitution (décors,
costumes, accessoires, etc.) est soignée à l’extrême ; images et
éclairages sont irréprochables ; les acteurs assurent plutôt bien, à une
exception près, j’y reviendrai ; bref : de la belle ouvrage de
professionnels où ne manque pas un bouton de bottine ni un borsalino garanti
authentique. Le spectacle se suit d’ailleurs sans ennui mais aussi, et c’est là
qu’est le hic, sans la moindre passion. Alors, précisément, d’où vient qu’un
objet aussi soigneusement manufacturé n’intéresse que médiocrement, en dépit de
ses péripéties pétaradantes ? La réponse est simple, qui tient à une fâcheuse
et tenace impression de déjà vu. Le scénario, qui adapte un livre (très bon
m’a-t-on dit) d’un certain Paul Lieberman, ne brille guère en effet par son
originalité, mêlant une grosse mesure d’incorruptibles (version De Palma, The Untouchables, 1987) à une large dose
de James Ellroy (tendance L.A.
Confidential revue et corrigé par Curtis Hanson, 1997 --
mais on pourrait encore évoquer De Palma, cette fois pour Le Dahlia noir/The Black Dahlia, 2006),
les saveurs pourtant corsées des uns et de l’autre finissant par se diluer dans
une sorte de Canada Dry cinématographique[1] -- un
produit ayant en quelques sorte perdu toute saveur en chemin. Et ce n’est pas
le cabotinage éhonté de Sean Penn, seul maillon faible d’une distribution par
ailleurs intéressante, qui arrange les choses. Acteur capable du pire quand il
n’est pas fermement dirigé, il illustre bien à lui seul les limite d’une
entreprise davantage de type industriel qu’artistique où le metteur en scène
(réputé aussi directeur d’acteurs)
paraît avoir démissionné, renonçant du même coup à toute initiative
personnelle.
Il n’est qu’à revoir dans la foulée
(et les hasards de la programmation le permettent) Miller’s Crossing, des frères Coen[2],
que le Champo propose en réédition, pour comprendre tout ce qui sépare des
cinéastes faisant œuvre originale d’un tâcheron, certes consciencieux, mais qui
confond un peu trop pellicule et papier-carbone. Même si l’une est située dans
les années 30 et l’autre à la fin des années 40, les intrigues des deux films
se ressemblent, qui reprennent les
archétypes du film de gangsters (une sous-catégorie du film noir) --
avec au surplus la présence de Jon Polito dans des rôles voisins de
mafieux italo-américains. Mais quand Fleischer reproduit servilement, les
frères Coen, eux, renouvellent, subvertissent et finalement font exploser les
codes du genre en les entraînant dans leur univers personnel où l’étrange et
l’inattendu communient dans un même refus du réalisme le plus plat tout en
sachant en conserver les saveurs originelles
-- exactement comme ils l’avaient
fait d’entrée de jeu avec leur premier film, Blood Simple (Sang pour sang,
1984), où ils revisitaient le polar façon Jim Thompson. Ainsi le spectateur
est-il étonné en permanence, toujours pris à contre-pied par une narration tout
à la fois ironique et respectueuse, à la limite extrême de la réalité parfois
et qui annonce Barton Fink (1991),
l’un des fleurons majeurs de leur filmographie.
Voir et rendre compte pour ainsi
dire simultanément de ces deux films résume bien le travail d’évaluation et de
hiérarchisation qui devrait être le rôle de la critique -- et
qui l’est si peu. Miller’s Crossing
impressionnait déjà en 1990 par son originalité et la sûreté de sa mise en
scène --
des qualités que les années confirment et que nul ne saurait discuter. Gangster Squad peut bien bluffer son
spectateur par le savoir-faire de ceux qui l’ont fabriqué, mais le faible
intérêt qu’il suscite ne va guère au-delà du temps de sa projection. Quand
l’avenir de Miller’s Crossing est bel
et bien assuré, Gangster Squad ne
manquera pas, lui, de tomber rapidement dans l’oubli -- si
ce n’est déjà fait.
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