23 février 2013

Du bluff et de l'authentique.


Gangster Squad, de Reuben Fleischer (2012)
Réédition de Miller’s Crossing, des frères Coen (1990).

            Reuben Fleischer est un habile fabricant, à la technique indiscutablement très sûre, capable de passer sans transition ou presque d’une parodie de film gore agrémentée de force références cinéphiliques (Zombieland/Bienvenue à Zombieland, 2009) à un film d’aventures policières à l’humour potache et dont il n’y a pas grand-chose à dire (30 Minutes or less/30 minutes maximum, 2011) jusqu’à cette reconstitution minutieuse de l’univers des gangsters américains de l’après-guerre qu’est aujourd’hui Gangster Squad.

            Objectivement, on ne peut pas reprocher grand-chose à ce dernier film : la reconstitution (décors, costumes, accessoires, etc.) est soignée à l’extrême ; images et éclairages sont irréprochables ; les acteurs assurent plutôt bien, à une exception près, j’y reviendrai ; bref : de la belle ouvrage de professionnels où ne manque pas un bouton de bottine ni un borsalino garanti authentique. Le spectacle se suit d’ailleurs sans ennui mais aussi, et c’est là qu’est le hic, sans la moindre passion. Alors, précisément, d’où vient qu’un objet aussi soigneusement manufacturé n’intéresse que médiocrement, en dépit de ses péripéties pétaradantes ? La réponse est simple, qui tient à une fâcheuse et tenace impression de déjà vu. Le scénario, qui adapte un livre (très bon m’a-t-on dit) d’un certain Paul Lieberman, ne brille guère en effet par son originalité, mêlant une grosse mesure d’incorruptibles (version De Palma, The Untouchables, 1987) à une large dose de James Ellroy (tendance L.A. Confidential revue et corrigé par Curtis Hanson, 1997  --  mais on pourrait encore évoquer De Palma, cette fois pour Le Dahlia noir/The Black Dahlia, 2006), les saveurs pourtant corsées des uns et de l’autre finissant par se diluer dans une sorte de Canada Dry cinématographique[1]  --  un produit ayant en quelques sorte perdu toute saveur en chemin. Et ce n’est pas le cabotinage éhonté de Sean Penn, seul maillon faible d’une distribution par ailleurs intéressante, qui arrange les choses. Acteur capable du pire quand il n’est pas fermement dirigé, il illustre bien à lui seul les limite d’une entreprise davantage de type industriel qu’artistique où le metteur en scène (réputé aussi directeur d’acteurs) paraît avoir démissionné, renonçant du même coup à toute initiative personnelle.

            Il n’est qu’à revoir dans la foulée (et les hasards de la programmation le permettent) Miller’s Crossing, des frères Coen[2], que le Champo propose en réédition, pour comprendre tout ce qui sépare des cinéastes faisant œuvre originale d’un tâcheron, certes consciencieux, mais qui confond un peu trop pellicule et papier-carbone. Même si l’une est située dans les années 30 et l’autre à la fin des années 40, les intrigues des deux films se ressemblent, qui  reprennent les archétypes du film de gangsters (une sous-catégorie du film noir)  --  avec au surplus la présence de Jon Polito dans des rôles voisins de mafieux italo-américains. Mais quand Fleischer reproduit servilement, les frères Coen, eux, renouvellent, subvertissent et finalement font exploser les codes du genre en les entraînant dans leur univers personnel où l’étrange et l’inattendu communient dans un même refus du réalisme le plus plat tout en sachant en conserver les saveurs originelles  --  exactement comme ils l’avaient fait d’entrée de jeu avec leur premier film, Blood Simple (Sang pour sang, 1984), où ils revisitaient le polar façon Jim Thompson. Ainsi le spectateur est-il étonné en permanence, toujours pris à contre-pied par une narration tout à la fois ironique et respectueuse, à la limite extrême de la réalité parfois et qui annonce Barton Fink (1991), l’un des fleurons majeurs de leur filmographie.

            Voir et rendre compte pour ainsi dire simultanément de ces deux films résume bien le travail d’évaluation et de hiérarchisation qui devrait être le rôle de la critique  --  et qui l’est si peu. Miller’s Crossing impressionnait déjà en 1990 par son originalité et la sûreté de sa mise en scène  --  des qualités que les années confirment et que nul ne saurait discuter. Gangster Squad peut bien bluffer son spectateur par le savoir-faire de ceux qui l’ont fabriqué, mais le faible intérêt qu’il suscite ne va guère au-delà du temps de sa projection. Quand l’avenir de Miller’s Crossing est bel et bien assuré, Gangster Squad ne manquera pas, lui, de tomber rapidement dans l’oubli  --  si ce n’est déjà fait.



[1] Les cinéphiles de ma génération se souviennent sans doute de ces publicités des années 70 pour Canada Dry qui parodiaient (très bien d’ailleurs) Les Incorruptibles, version TV avec Robert Stack.
[2] Produit par Ethan, réalisé par Joel, écrit par les deux.

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