24 février 2013

La voie du père.


Antiviral, de Brandon Cronenberg (2012).

            Il n’est pas toujours facile d’être le fils de son père  --  surtout au cinéma. Aussi, à voir aujourd’hui Antiviral, le premier long métrage de Brandon Cronenberg (né en 1980), comment ne pas se souvenir du David Cronenberg première manière dont l’ombre tutélaire plane indiscutablement sur ce coup d’essai, plutôt intéressant au demeurant.

            Il y a d’abord un sujet aux vertus dérangeantes assez heureuses, si l’on ose dire, qui ne manque ni d’originalité ni même d’un certain culot. Dans un avenir indéterminé, mais qu’on devine très proche, des multinationales vendent des virus qu’ils inoculent à leurs clients moyennant une coquette somme. L’originalité de ces virus ? Avoir été prélevés sur des célébrités infectées dont les fans veulent partager jusqu’aux sensations les plus intimes  -- et les moins ragoûtantes. Tout cela dans des cliniques hyper-clean où des commerciaux en costumes sombres et cravates noires vous vantent l’herpès de Mademoiselle Unetelle ou les gonocoques de Monsieur Tel autre. Absurde a priori, mais est-ce bien certain ? Car le récit tient parfaitement la route et l’on en vient à croire à cet univers qui ressemble terriblement au nôtre avec ses « people » qui tiennent le haut du pavé et où tout finit par être consommé  --  y compris des steaks de cellules humaines.

            On retrouve là la trace indubitable de quelques notoires obsessions cronenbergiennes : mutations organiques, manipulations médicales, pénétrations des chairs par des corps étrangers (avec ici une overdose de piqûres en tous genres), mais aussi pouvoir tentaculaire de grands groupes financiers qui ne reculent devant aucun excès pour se remplir les poches  --  manifestations visibles d’un univers à la psyché en déroute. Ainsi, dans un monde comme hors de ses gonds, se trouve dénoncée une société de l’addiction et du culte de la célébrité qui semble avoir perdu tous ses repères au seul profit de l’argent-roi. Tout n’est qu’échanges commerciaux et, revers de la médaille, tentatives de fraudes et de trafics juteux. Ainsi, le personnage principal, Syd (Caleb Landry Jones), pour mieux tromper les services de sécurité draconiens de son entreprise, s’inocule-t-il des virus qu’il revend ensuite, traînant tout au long du film un corps qui se dégrade peu à peu sous les coups de boutoir des microbes qu’il ne cesse d’absorber. Il y a quelque chose de particulièrement impressionnant dans le jeu fiévreux, dans tous les sens du terme, du jeune Caleb Landry Jones, dont la peau tavelée d’éphélides paraît en fait éclaboussée de pustules malsaines  --  symptômes d’un corps en débâcle mais aussi d’une société en pleine décomposition.

            Contrairement à son père, à la forme plus qu’hésitante dans ses premiers essais, Brandon Cronenberg soigne  sa mise en scène, sans pour autant tomber dans l’exercice de style visuel. Un choix d’éclairages et de décors à dominante claire, et même blanche, s’oppose habilement à des machines compliquées et comme venues d’un autre âge  --  intrusion d’une esthétique steampunk au cœur d’un monde qui se veut aseptisé alors qu’il cultive virus et bacilles dans un grand délire mortifère. Sans doute l’ensemble manque-t-il ici et là de rigueur, Cronenberg ne parvenant pas toujours à maintenir tout au long de son film cet état de tension qu’il réussit à mettre en place dans ses meilleurs moments. Mais pour autant il y a là un ton et une originalité qu’on chercherait bien en vain dans la plus grande partie de la production qu’on nous propose aujourd’hui. Reste que le cinéaste qui a déjà un nom doit se faire maintenant un prénom en trouvant une voix personnelle  --  en quelque sorte la voie du fils.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire