Antiviral,
de Brandon Cronenberg (2012).
Il n’est pas toujours facile d’être
le fils de son père -- surtout au cinéma. Aussi, à voir aujourd’hui Antiviral, le premier long métrage de
Brandon Cronenberg (né en 1980), comment ne pas se souvenir du David Cronenberg
première manière dont l’ombre tutélaire plane indiscutablement sur ce coup
d’essai, plutôt intéressant au demeurant.
Il y a d’abord un sujet aux vertus
dérangeantes assez heureuses, si l’on ose dire, qui ne manque ni d’originalité
ni même d’un certain culot. Dans un avenir indéterminé, mais qu’on devine très
proche, des multinationales vendent des virus qu’ils inoculent à leurs clients
moyennant une coquette somme. L’originalité de ces virus ? Avoir été
prélevés sur des célébrités infectées dont les fans veulent partager jusqu’aux
sensations les plus intimes -- et les
moins ragoûtantes. Tout cela dans des cliniques hyper-clean où des commerciaux
en costumes sombres et cravates noires vous vantent l’herpès de Mademoiselle
Unetelle ou les gonocoques de Monsieur Tel autre. Absurde a priori, mais est-ce bien certain ? Car le récit tient
parfaitement la route et l’on en vient à croire à cet univers qui ressemble
terriblement au nôtre avec ses « people » qui tiennent le haut du
pavé et où tout finit par être consommé
-- y compris des steaks de
cellules humaines.
On retrouve là la trace indubitable
de quelques notoires obsessions cronenbergiennes : mutations organiques,
manipulations médicales, pénétrations des chairs par des corps étrangers (avec
ici une overdose de piqûres en tous genres), mais aussi pouvoir tentaculaire de
grands groupes financiers qui ne reculent devant aucun excès pour se remplir
les poches -- manifestations visibles d’un univers à la
psyché en déroute. Ainsi, dans un monde comme hors de ses gonds, se trouve
dénoncée une société de l’addiction et du culte de la célébrité qui semble
avoir perdu tous ses repères au seul profit de l’argent-roi. Tout n’est
qu’échanges commerciaux et, revers de la médaille, tentatives de fraudes et de
trafics juteux. Ainsi, le personnage principal, Syd (Caleb Landry Jones), pour
mieux tromper les services de sécurité draconiens de son entreprise,
s’inocule-t-il des virus qu’il revend ensuite, traînant tout au long du film un
corps qui se dégrade peu à peu sous les coups de boutoir des microbes qu’il ne
cesse d’absorber. Il y a quelque chose de particulièrement impressionnant dans
le jeu fiévreux, dans tous les sens du terme, du jeune Caleb Landry Jones, dont
la peau tavelée d’éphélides paraît en fait éclaboussée de pustules
malsaines -- symptômes d’un corps en débâcle mais aussi
d’une société en pleine décomposition.
Contrairement à son père, à la forme
plus qu’hésitante dans ses premiers essais, Brandon Cronenberg soigne sa mise en scène, sans pour autant tomber
dans l’exercice de style visuel. Un choix d’éclairages et de décors à dominante
claire, et même blanche, s’oppose habilement à des machines compliquées et comme
venues d’un autre âge -- intrusion d’une esthétique steampunk au cœur d’un monde qui se veut
aseptisé alors qu’il cultive virus et bacilles dans un grand délire mortifère.
Sans doute l’ensemble manque-t-il ici et là de rigueur, Cronenberg ne parvenant
pas toujours à maintenir tout au long de son film cet état de tension qu’il
réussit à mettre en place dans ses meilleurs moments. Mais pour autant il y a
là un ton et une originalité qu’on chercherait bien en vain dans la plus grande
partie de la production qu’on nous propose aujourd’hui. Reste que le cinéaste
qui a déjà un nom doit se faire maintenant un prénom en trouvant une voix
personnelle -- en quelque sorte la voie du fils.
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