Hitchcock,
de Sacha Gervasi (2012).
Comme on n’attendait a prori pas grand-chose de ce biopic à première vue assez peu
séduisant, la surprise n’est pas trop mauvaise à l’arrivée. Non qu’il s’agisse
pour autant d’un bon film, n’exagérons rien, mais tous ceux qui apprécient le
cinéma d’Alfred Hitchcock, un des cinéastes majeurs du XXème siècle
tout de même, et singulièrement Psychose
(Psycho, 1960), y prendront, je
dirais presque par la force des choses,
un plaisir certain.
La comparaison avec le récent My Week with Marilyn (Simon Curtis,
2011) vient immédiatement à l’esprit. Cinématographiquement, les deux films se
valent, plutôt médiocres l’un et l’autre. Mais tandis qu’au-delà du mythe de
Marilyn Monroe, le tournage du film faiblard de Laurence Olivier Le Prince et la danseuse (The Prince and the Showgirl, 1957) ne
pouvait guère passionner un cinéphile, fût-il incorrigible, il en va tout
autrement avec Psychose, ce diamant
noir de cinéma pur, un de ces rares miracles où la mise en scène se suffit à
elle-même.
Et c’est en cela, en nous proposant
une reconstitution prétendument fidèle et historique du tournage et de ses
à-côtés, qu’Hitchcock retient
l’attention. Assurément, les erreurs factuelles abondent ; le scénario se
permet des tours et des détours de peu d’intérêt ; et présenter le
cinéaste comme hanté et poursuivi par le fantôme d’un tueur en série[1]
et lui-même résistant mal à des pulsions
quasiment sadiques, relève du racolage le plus grossier ; mais qu’importe
après tout -- d’autant qu’Hitchcock ne répugnait pas à
tromper son monde, voire à lui imposer une forme d’humour rien moins
qu’innocente et parfois même franchement salace. La fascination qu’exerce
encore Psychose sur tous ceux, et ils
sont nombreux, qui le connaissent par cœur, ou presque, balaie toutes les
réserves. C’est irrationnel sans doute, et peut-être même exagérément
sentimental, mais le plaisir de revenir sur un tel film, d’en voir une sorte de
vrai faux making of, de se retrouver
en terrain familier mais de l’autre côté de l’écran -- le
plaisir en somme de traverser le miroir de la caméra et de se placer dans la
peau du voyeur absolu paraît annihiler pour ainsi dire tout sens critique.
Puisque, noblesse oblige, il est
beaucoup question de voyeur et de voyeurisme, reconnaissons qu’Hitchcock rend assez bien l’ambiguïté de
certains aspects plus ou moins connus de ce grand cinéaste du regard. « Il
ne se mêle pas à la vie. Il la regarde », écrivait jadis François Truffaut
dans la préface de son livre d’entretiens avec le maître[2].
Rien de plus juste en effet : « Hitch » collectionne ici les
photos des comédiennes qu’il admire et désire, blondes et froides en apparence,
du genre institutrices anglaises bien élevées mais capables « de monter
dans un taxi avec vous et, à votre grande surprise, de vous arracher votre
braguette »[3] ;
il épie sa femme Alma de la même façon que James Stewart, le photographe
immobilisé de Rear Window (Fenêtre sur cour, 1954), observe ses
voisins ; il regarde enfin Vera Miles se déshabiller dans sa loge à
travers un trou dans le mur. Sans doute cette scène (qui sonne assez lourdement
en écho à celle du film où, cette fois, c’est Janet Leigh qui se déshabille et
Anthony Perkins qui espionne) est-elle totalement inventée et il est fort
douteux qu’Hitchcock traversait une crise de jalousie aigüe pendant le tournage
de Psychose (mais sait-on
jamais ?), cependant ce mélange un peu trivial entre réalité et invention
parvient à composer un portrait assez juste du personnage --
dans sa relation aux femmes et à la sexualité, notamment dans une
perspective voyeuriste. N’a-t-il pas tenu, à propos de la scène d’ouverture de Psychose, dont il est beaucoup question
dans le film, des propos soigneusement cryptés et pourtant assez clairs :
« Cette scène ne me paraît pas spécialement immorale ; elle ne me
procure aucune sensation particulière car vous savez que je suis comme un célibataire,
c'est-à-dire un abstentionniste ». Ajoutant pour faire bonne mesure :
« Mais il n’y a aucun doute, cette scène serait plus intéressante si la
poitrine de la fille se frottait contre la poitrine de l’homme. »[4]
Sachons tout de même raison
garder : il y a ici beaucoup moins à prendre qu’à laisser ; à
commencer par la forme, confondante de banalité, un comble quand on s’attaque
ainsi au portrait d’un des plus grands maîtres de l’image animée, d’un des plus
authentiques créateurs de formes, d’un des seuls grands cinéastes qui soient
parvenus à conserver la magie visuelle du cinéma muet tout au long de sa
carrière parlante. Psychose contient
d’ailleurs moins de dialogues que la plupart des autres films et ses moments
les plus forts sont des scènes muettes
-- à commencer par celle de la
douche, sept jours de tournage pour cinquante-quatre plans (après montage) et
une durée de deux minutes et quarante-deux secondes, dont vingt-trois
consacrées au meurtre proprement dit[5].
Comme le disait Hitchcock lui-même : « dans un film de ce genre,
c’est la caméra qui fait tout le travail »[6].
Ici, en revanche, la caméra ne fait pas grand-chose et c’est sur les acteurs
que reposent l’essentiel du film. Tous s’en sortent très bien, même Anthony
Hopkins qui, dans un rôle impossible, parvient ici ou là à faire illusion et,
lui aussi, à tromper son monde. Aussi prend-on un certain plaisir coupable
devant ce spectacle dont le mérite principal (unique ?) est de donner
furieusement envie de revoir… Psychose,
bien sûr.
[1]
Celui qui a inspiré Robert Bloch pour son roman.
[2]
« Le Cinéma selon Hitchcock », Robert Laffont, 1966, p.17.
[3]
Ibid. p.169.
[4]
Ibid. p.206.
[5]
J’ai fait ce compte en partant du plan où Janet Leigh ferme la porte de la
salle de bains, retire son peignoir et entre dans le bac à douche (plan1) au
plan du pommeau de la douche vu de profil et qui achève proprement dit la
séquence (plan 54). Le plan suivant part du visage de Janet Leigh morte, un œil
grand ouvert (c’est aussi le plan 53), puis panoramique vers la droite,
traverse la chambre, s’attarde sur un journal puis cadre à travers une fenêtre
la maison des Bates où l’on entend Norman s’écrier : « Mother !
Oh, God, Mother ! Blood ! Blood ! ». J’ai dit après montage. Hitchcock précisait à
Truffaut (p.212) : « Le tournage en a duré sept jours et il y a eu
soixante-dix positions de caméra pour quarante-cinq secondes de film. »
Certains plans ont pu ne pas être conservés.
[6]
Ibid. p.216.
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