Shadow
Dancer, de James Marsh (2012).
Tout à la fois documentariste et
réalisateur de films de fiction, James Marsh revient sur ce que l’on appelle
communément au Royaume-Uni les « troubles » -- c'est-à-dire
le conflit en Irlande du Nord, aux enjeux sociaux et politiques autant (sinon
plus) que religieux. Il le fait d’un point de vue qu’il veut historique (après
un rapide prologue en 1973, l’action se situe en 1993 entre Londres et Belfast)
mais aussi moral, autour du thème de l’engagement, du double-jeu et de la
trahison.
La façon dont Marsh et son
scénariste Tom Bradby (journaliste et auteur du roman à l’origine du film)
abordent leur sujet n’est pas sans rappeler l’univers de John Le Carré, d’autant
que certains choix esthétiques (décors sans recherche et banalement quotidiens,
palette de couleurs fanées tirant sur le marron sale) sont assez proches de
ceux du récent Tinker, Taylor, Soldier,
Spy de Tomas Alfredson (La Taupe,
2010). Ainsi entre-t-on d’entrée de jeu dans un monde où la frontière entre le
bien et le mal apparaît singulièrement incertaine et comme nimbée dans une
sorte de brouillard. Collette (Andrea Riseborough), une jeune femme dont les
frères appartiennent au dernier carré des combattants de l’IRA, est compromise
dans une tentative d’attentat à Londres. Un agent des services de sécurité
anglais, Mac (Clive Owen), lui propose de devenir une informatrice en échange
de la liberté. L’un et l’autre vont découvrir bientôt un jeu de manipulations
compliquées qui les dépasse.
On ne saurait nier que Marsh mène
son intrigue avec une indiscutable sûreté, dans un climat de tension qui
emporte la plupart du temps l’adhésion du spectateur. Mais pour autant, si le
jeu est brillant dans sa construction et son rendu, il demeure à la surface des
choses et les personnages manquent singulièrement de substance, réduits à la
dimension de simples pions sur un
échiquier géant. Alors que l’action se déroule dans un moment historique capital,
au moment où commencent les négociations de paix entre le Sinn Féin et le gouvernement
britannique de John Major, on ne comprend pas (plus ?) ce qui peut encore motiver
profondément les derniers combattants de l’IRA dans une Irlande du Nord qui
aspire à autre chose -- sinon un jusqu’au-boutisme qui ne se nourrit
plus que de sa propre inutilité mais continue à tuer. Les policiers, eux,
jouent un jeu plus clair en apparence : éradiquer les derniers restes d’un
terrorisme qui n’est plus de saison tout en continuant à mettre en place des
coups tordus -- stratégie favorite de tout combat souterrain.
On sait depuis longtemps qu’un pion peut toujours être sacrifié quand il s’agit
d’en préserver un autre, jugé plus important. Ainsi tout le monde se
trouve-t-il renvoyé dos à dos et cette sorte de distance assez froide que prend
le cinéaste avec son sujet et ses personnages finit par devenir d’autant plus
gênante que l’on sait certains protagonistes déjà condamnés par l’Histoire -- et
donc, à ce titre, intéressants à étudier dans une perspective historique.
Le parti-pris de Marsh (un regard froid
de documentariste appliqué à la fiction) n’est pas en soi scandaleux ni
déshonorant, mais le cinéaste prend le risque d’une certaine vacuité --
vacuité d’un thriller d’espionnage un peu maigre et, partant, réduit à
sa propre mécanique. Une mécanique que n’améliore malheureusement pas une mise
en scène trop soumise à l’académisme contemporain --
caméra portée à l’épaule, même pour certains plans fixes qui en
deviennent tremblés. Souci d’une authenticité documentaire, me dira-t-on -- évidemment…
Les acteurs s’en sortent bien, qui assurent avec talent sinon toujours avec
conviction, condamnés aux aussi à se contenter d’incarner des stéréotypes sans
véritable épaisseur. Comme un ultime coup de révolver, en somme. Pour rien.
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