10 février 2013

Comme un ultime coup de révolver.


Shadow Dancer, de James Marsh (2012).

            Tout à la fois documentariste et réalisateur de films de fiction, James Marsh revient sur ce que l’on appelle communément au Royaume-Uni les « troubles »  --  c'est-à-dire le conflit en Irlande du Nord, aux enjeux sociaux et politiques autant (sinon plus) que religieux. Il le fait d’un point de vue qu’il veut historique (après un rapide prologue en 1973, l’action se situe en 1993 entre Londres et Belfast) mais aussi moral, autour du thème de l’engagement, du double-jeu et de la trahison.

            La façon dont Marsh et son scénariste Tom Bradby (journaliste et auteur du roman à l’origine du film) abordent leur sujet n’est pas sans rappeler l’univers de John Le Carré, d’autant que certains choix esthétiques (décors sans recherche et banalement quotidiens, palette de couleurs fanées tirant sur le marron sale) sont assez proches de ceux du récent Tinker, Taylor, Soldier, Spy de Tomas Alfredson (La Taupe, 2010). Ainsi entre-t-on d’entrée de jeu dans un monde où la frontière entre le bien et le mal apparaît singulièrement incertaine et comme nimbée dans une sorte de brouillard. Collette (Andrea Riseborough), une jeune femme dont les frères appartiennent au dernier carré des combattants de l’IRA, est compromise dans une tentative d’attentat à Londres. Un agent des services de sécurité anglais, Mac (Clive Owen), lui propose de devenir une informatrice en échange de la liberté. L’un et l’autre vont découvrir bientôt un jeu de manipulations compliquées qui les dépasse.

            On ne saurait nier que Marsh mène son intrigue avec une indiscutable sûreté, dans un climat de tension qui emporte la plupart du temps l’adhésion du spectateur. Mais pour autant, si le jeu est brillant dans sa construction et son rendu, il demeure à la surface des choses et les personnages manquent singulièrement de substance, réduits à la dimension de  simples pions sur un échiquier géant. Alors que l’action se déroule dans un moment historique capital, au moment où commencent les négociations de paix entre le Sinn Féin et le gouvernement britannique de John Major, on ne comprend pas (plus ?) ce qui peut encore motiver profondément les derniers combattants de l’IRA dans une Irlande du Nord qui aspire à autre chose  --  sinon un jusqu’au-boutisme qui ne se nourrit plus que de sa propre inutilité mais continue à tuer. Les policiers, eux, jouent un jeu plus clair en apparence : éradiquer les derniers restes d’un terrorisme qui n’est plus de saison tout en continuant à mettre en place des coups tordus  --  stratégie favorite de tout combat souterrain. On sait depuis longtemps qu’un pion peut toujours être sacrifié quand il s’agit d’en préserver un autre, jugé plus important. Ainsi tout le monde se trouve-t-il renvoyé dos à dos et cette sorte de distance assez froide que prend le cinéaste avec son sujet et ses personnages finit par devenir d’autant plus gênante que l’on sait certains protagonistes déjà condamnés par l’Histoire  --  et donc, à ce titre, intéressants à étudier dans une perspective historique.

            Le parti-pris de Marsh (un regard froid de documentariste appliqué à la fiction) n’est pas en soi scandaleux ni déshonorant, mais le cinéaste prend le risque d’une certaine vacuité  --  vacuité d’un thriller d’espionnage un peu maigre et, partant, réduit à sa propre mécanique. Une mécanique que n’améliore malheureusement pas une mise en scène trop soumise à l’académisme contemporain  --  caméra portée à l’épaule, même pour certains plans fixes qui en deviennent tremblés. Souci d’une authenticité documentaire, me dira-t-on  --  évidemment… Les acteurs s’en sortent bien, qui assurent avec talent sinon toujours avec conviction, condamnés aux aussi à se contenter d’incarner des stéréotypes sans véritable épaisseur. Comme un ultime coup de révolver, en somme. Pour rien.

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