Réédition de Django, de Sergio Corbucci (1966).
Comme pour L’Esclave libre de Raoul Walsh, mais de façon peut-être plus
discutable, c’est à Quentin Tarentino, à la sortie de son film Django Unchained (qui n’a pas
grand-chose de commun avec l’autre, le nom de son personnage principal mis à
part) et à son insistance à vouloir réhabiliter, entre autres genres mineurs,
le western spaghetti, que l’on doit
aujourd’hui la réédition du Django de
Sergio Corbucci dans un circuit « art et essai » qui n’aurait jamais
imaginé le programmer un jour à l’époque de sa sortie en 1966. C’était en
rasant les murs, dans des salles de quartier ou dans un circuit spécialisé dans
le cinéma bis qui comprenait entre autres l’Amiral, au métro Bonne Nouvelle,
tout près du Rex, et le Concordia, je ne sais plus où, qu’on allait voir ce
genre de productions généralement ultra fauchées, ringardes la plupart du
temps, proposées uniquement en version française et parfois mutilées[1].
Mais les temps changent et l’on passe de la mauvaise conscience du cinéphile
dévoyé à des plaisirs certes coupables mais d’autant plus avouables qu’une
certaine forme d’opportunisme un peu snob vient volontiers brouiller les
cartes.
Longtemps vilipendé et traité plus
bas que terre, carrément ignoré le plus souvent, le western italien demeure un
genre encore mal connu en dépit des efforts louables de quelques aficionados qui ont entrepris de le
réhabiliter avec des études sérieuses et très complètes, parfois un peu
aveuglées par l’enthousiasme[2].
Disons tout de même que, sous bénéfice d’inventaire (une rétrospective à la
Cinémathèque par exemple), la majeure partie de la production de westerns spaghetti a été d’une grande médiocrité
avec des films bâclés par des tâcherons passant d’un genre à un autre (peplum, giallo, film d’espionnage ou d’horreur,
et ainsi de suite en fonction de la mode du moment) sans grand souci de
qualité. Avec de notables exceptions bien sûr, et l’on en revient toujours aux
quelques mêmes noms : Sergio Leone évidemment, qui domine le débat de la
tête et des épaules, mais aussi Sergio Sollima avec trois films, tous
intéressants (Colorado/La Reisa dei conti,
1966, Le Dernier face à face/Faccia a
faccia, 1967, et Saludos Hombre/Corri,
uomo, corri, 1968) et une poignée d’autres pour des réussites plus
isolées -- Damiano Damiani (El Chuncho/Quien Sabe ?, 1966), Giulio Petroni (La Mort était au rendez-vous/Da uomo a uomo,
1967), Tonino Valerii (Mon nom est
Personne/Il moi nome è Nessuno, 1973, produit et supervisé par Leone
soi-même) ou encore Enzo G. Castellari (Keoma,
1976, le dernier fleuron d’un genre à l’agonie[3].
Plus quelques films épars vigoureusement soutenus par les fans (dont Tarentino bien sûr) : les deux Ringo réalisé par Duccio Tessari[4]
et Le Dernier jour de la colère (I Giorni dell’ira, de Tonino Valerii à
nouveau, 1967) notamment.
Reste Sergio Corbucci, considéré par
certains comme l’oncle du western italien quand Leone en serait le père -- formulation plus pittoresque que
pertinente. Cinéaste médiocre, Corbucci est passé à la postérité
essentiellement pour deux films -- deux westerns devenus « cultes », sur
les treize qu’il a réalisé entre 1963 (Massacre
au Grand Canyon/Massacro a Grande Canyon) et 1974 (Le blanc, le jaune et le noir/Il bianco, il giallo, il nero) :
Django (1966) et Le Grand silence (Il Grande
silenzio, 1968). On peut ajouter à ceux-ci deux westerns zapatta [5]
plutôt réussis : Le Mercenaire/Il
Mercenario, 1968, et Campaneros/Vamos
a matar, campaneros, 1970) -- et certains tiennent en haute estime Le Spécialiste (Gli Specialisti, 1969), avec Johnny Hallyday. Une fois la vague du
western italien retombée, Corbucci est revenu à des travaux alimentaires (mais
très lucratifs semble-t-il) en réalisant principalement des véhicules à succès
pour le chanteur Adriano Celentano et le tandem « comique » Terence
Hill-Bud Spencer. Aussi peut-on dire sans grand risque d’erreur que ses quelques films réussis furent plus
des accidents qu’autre chose (mais d’heureux accidents) dans une carrière
uniformément médiocre.
Cependant, parler de chef d’œuvre à
propos de Django serait largement
excessif. On y découvre certes avec intérêt une inclination plutôt bien venue
pour le bizarre et l’incongru qui sera la marque de fabrique de Corbucci dans
ses meilleurs films -- et qui plaît beaucoup à Tarentino. L’arrivée
de Django (Franco Nero) à pied et tirant un mystérieux cercueil derrière lui
reste assurément une belle idée originale ; l’arrivée des méchants
encagoulés de rouge, bien accompagnée par la musique de Luis Enriquez Bacalov
(très inspirée d’Ennio Morricone), ne manque pas de force spectaculaire ;
et l’on peut même apprécier, pourvu qu’on en ait le goût, certains débordements
sadiques à la limite de la parodie (flagellation, oreille coupée que l’on fait
manger à la victime, combat de femmes dans la boue, mains consciencieusement
fracassées à coups de crosse de fusil ou encore tir aux pigeons avec paysans
mexicains pour cibles). Mais on a du mal en même temps à ne pas voir dans cet
affrontement de deux factions rivales (des Américains d’un côté, des Mexicains
de l’autre) arbitré par un mystérieux étranger particulièrement habile au
pistolet un remake inavoué de Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari), réalisé deux
ans auparavant (1964) par Sergio Leone. Mais la comparaison s’arrête là car
Leone, dans des conditions budgétaires aussi modestes que Corbucci, fait déjà
preuve dans sa réalisation d’une rigueur classique (et efficace aussi, faut-il
le préciser ?) qu’on chercherait bien en vain dans Django où les idées de mise en scène se réduisent un peu trop à de
simples effets de zoom. On s’étonne par ailleurs de voir un cinéaste volontiers
cynique (voir ainsi la noirceur absolue du Grand
silence) céder ici à une forme de sentimentalisme très conventionnelle -- le
personnage de Maria (Loredana Nusciak) et ses relations avec Django --
dont le cinéma de Leone, plus sec, est totalement exempt.
S’il n’est donc pas le chef d’œuvre
qu’on nous vante ici ou là, Django
n’en est pas pour autant un mauvais film et ne méritait sûrement pas la volée
de bois vert qu’il reçut lors de sa sortie[6].
On peut même dire que la peinture qu’il faisait d’un Ouest boueux, peuplé
d’individus sans scrupules et de putains fatiguées, annonçait, davantage que
chez Leone, une nouvelle approche du western américain, dans le sillage du
Peckinpah de Coups de feu dans la sierra
(Ride the High Country, 1962). Et si
Corbucci n’est pas le grand cinéaste qu’on aurait espéré, il aura été malgré
tout le temps de quatre ou cinq films un intéressant « petit maître »
à l’inspiration ponctuellement heureuse
-- fidèle en cela à une certaine
tradition du cinéma italien[7].
[1]
Ce fut le cas de Django semble-t-il.
La version restaurée qu’on peut voir aujourd’hui en V.O. italienne correspond
plan pour plan à la copie présentée naguère en V.F. par Arte dans une soirée
consacrée au western européen.
[2]
Citons Jean-François Giré, qui fait autorité en la matière avec « Il était
une fois le western européen » (en deux volumes aux éditions Bazaar &
Cie). On ne saurait pour autant diminuer les mérites du livre ancien (et non
traduit en français) de Christopher Frayling, « Spaghetti Westerns.
Cowboys and Europeans from Karl May to Sergio Leone », qui reste une
référence dans l’excellente collection « Cinema and Society » dirigé
par Jeffrey Richards (Routledge & Kagan Paul, 1981). Christopher Frayling
est également l’auteur d’une biographie de Leone (« Something to Do with
Death »), également inédite en français.
[3]
Ayant rendu compte du film à sa sortie, et bien qu’il soit très vilain de se citer
soi-même, je notais alors que, « loin de vouloir singer de quelque manière
que ce soit le western américain, Castellari retrouv(ait) au contraire toutes
les qualités originelles du western dit à
l’italienne : complexité du scénario qui recourt à des flash-back,
baroquisme de l’image, traitement mélodramatique (au sens étymologique :
drame + musique), vendetta familiale ». Le tout, en dépit de facilités
stylistiques, débouchant sur « un film flamboyant digne du Corbucci des
bons jours (Django et Le Grand silence) et parfois de Leone lui-même ».
(Ecran 77, n°61, 15 septembre 1977,
p. 63). Il me reste à revoir le film pour confirmer, ou pas, ce jugement très
lointain.
[4]
Un Pistolet pour Ringo/Una Pistola per
Ringo, 1965, et Le Retour de Ringo/Il
Ritorno di Ringo, même année. Auteur d’un bon peplum (Les Titans/Arrivano i titani, 1962), coscénariste de Pour une poignée de dollars, il
deviendra par la suite un des yes-men
d’Alain Delon (Les Grands fusils/Big Guns,
1973, et Zorro, 1975) avant de se
perdre dans des productions sans intérêt et des feuilletons pour la télévision.
[5]
C'est-à-dire dont l’action se situe dans le contexte du Mexique révolutionnaire
du début du XXème siècle.
[6]
Si j’ai bon souvenir, seul Jacques Zimmer (dans La Revue du cinéma/Image et son) souligna les qualités du film.
[7]
Citons les noms de quelques autres « petits maîtres » d’un talent
sans doute supérieur à celui de Corbucci (car plus soucieux de mise en scène) : Mario Bava,
Riccardo Freda ou Vittorio Cottafavi .
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