29 décembre 2012

Un fils lointain de l'inspecteur Harry.


Jack Reacher, de Christopher McQuarrie (2012).

            Il aura fallu attendre une douzaine d’années pour voir revenir derrière les caméras Christopher McQuarrie, auteur du scénario ultra-brillant de The Usual Suspects (Bryan Singer, 1995) et d’un premier film prometteur, The Way of the Gun (2000). Entre l’écriture de scénarios d’une qualité inégale (on lui doit notamment celui de l’exécrable The Tourist, de Florian Henckel von Donnersmarck, 2011) et tout en poursuivant sa collaboration avec le décevant Singer (Jack the Giant Killer, dont la sortie est annoncée pour dans quelques mois), il semble s’être mis aujourd’hui avec Jack Reacher au service de Tom Cruise, sans doute rencontré sur le plateau de Walkyrie (Bryan Singer, 2008).

            Il ne s’agit pas cette fois d’un scénario original mais de l’adaptation d’un roman à succès de Lee Child mettant en scène un ancien policier de l’armée américaine. Ce héros solitaire baptisé Jack Reacher (Tom Cruise) semble naviguer ici et là à travers les Etats-Unis, intervenant en redresseur de torts doué de qualités physiques et intellectuelles hors du commun. Le voilà pour le coup entraîné par une avocate obstinée (Rosamund Pyke) dans une sombre affaire aussi tordue que savamment montée par un mystérieux individu, ancien prisonnier rescapé du Goulag, qui a réussi à manger ses doigts gelés pour éviter la gangrène (sic !). Un méchant réussi (et donc très méchant), c’est quasiment la garantie d’un bon film, aimait à dire Alfred Hitchcock, et réussi, celui qu’interprète ici le cinéaste allemand Werner Herzog l’est assurément, terrifiant et diabolique à souhait  --  une excellente idée de casting soit dit en passant. L’histoire se suit avec intérêt, il serait malhonnête de le nier, avec ce qu’il faut de péripéties échevelées, de fausses pistes et de moments de suspense haletant. Même si tout cela ne tient guère debout et bien que l’intrigue s’achève un peu en queue de poisson  --  on ne connaîtra jamais directement les commanditaires de la machination  --,  la mécanique du récit fonctionne très bien, avec beaucoup de brio dans la mise en scène, parfois un poil ostentatoire.

            Mais, au-delà de l’anecdote, c’est aussi le personnage de Jack Reacher qui retient l’attention  --  curieux caractère qui semble incarner à la fois toutes les mythologies profondes de l’Amérique en même temps que sa mauvaise conscience, écartelé qu’il est « entre l’image épique d’un continent sans faille et la réalité historique des contradictions américaines »[1]. Aventurier errant et solitaire, il est l’image même du « poor lonesome cow-boy » ; sans domicile connu, voyageant en autocar, il surgit quand on a besoin de lui et rend la justice d’une façon brutale et sans guère se soucier de lois qu’il estime parfois inadaptées. Les armes semblent la seule réponse aux questions que pose le film  --  qui lui-même, à l’inverse, pose la question des armes et des massacres qu’elles provoquent. La séquence d’ouverture, où un sniper abat cinq personnes froidement et sans raisons apparentes, illustre une réalité américaine aussi sinistre que récurrente. McQuarrie explore le monde des amateurs de tirs et d’armes à feu  --  mais ne l’exalte ni le critique. Pas plus qu’il ne justifie ou combat la guerre d’Irak, où le suspect a perdu son âme. Il opère un froid constat, sans le moindre jugement politique ou moral, à la façon d’un professionnel jaugeant une situation avant d’intervenir. Et son personnage, qui se veut lui aussi un vrai professionnel, agit de même  --  sans regrets ni compassion, et encore moins remords, sans quitter d’un pouce la trajectoire qu’il doit suivre, dans le seul souci de ce qu’il croit être juste, même quand celui qu’il innocente ne lui est en aucune façon sympathique et mériterait le sort qui lui est promis. Jack Reacher pourrait être le fils lointain de l’inspecteur Harry (Dirty Harry, Don Siegel, 1971, et ses suites). Les méthodes de pistolero que celui-ci employait à l’époque choquaient au point d’être considérées comme fascisantes ; celles de Jack Reacher aujourd’hui ne dérange plus personne dans un monde qui a décidément bien changé[2].

            Tout cela se construit pour et autour de Tom Cruise, également producteur, en un tout plutôt harmonieux en dépit d’un contexte un peu trop complaisamment narcissique. On y sent à chaque instant la volonté de la star de contrôler son image  --  ce qui rend l’entreprise moins libre et personnelle que The Way Of the Gun. Même si  Jack Reacher, intéressant et bien mené, ne manque pas d’atouts, il est malheureusement à craindre (mais on peut toujours se tromper) que Christopher McQuarrie ne tienne guère à l’avenir les promesses bien réelles de ses débuts.



[1] Bernard Dort, « La Nostalgie de l’épopée », in « Le Western », ouvrage collectif, 10-18, Union Générale d’Editions, 1966, p.64.
[2] On pourrait d’ailleurs tenir le même raisonnement à propos de la carrière d’un Clint Eastwood (le metteur en scène aussi bien que l’acteur) dont les idées et le discours ont sans doute moins changés que le regard que nous jetons sur eux. Quant aux méthodes de Jack Reacher, un certain Jack Bauer a largement ouvert la voie avec infiniment moins de scrupules.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire