Jack
Reacher, de Christopher McQuarrie (2012).
Il aura fallu attendre une douzaine
d’années pour voir revenir derrière les caméras Christopher McQuarrie, auteur
du scénario ultra-brillant de The Usual
Suspects (Bryan Singer, 1995) et d’un premier film prometteur, The Way of the Gun (2000). Entre
l’écriture de scénarios d’une qualité inégale (on lui doit notamment celui de
l’exécrable The Tourist, de Florian
Henckel von Donnersmarck, 2011) et tout en poursuivant sa collaboration avec le
décevant Singer (Jack the Giant Killer,
dont la sortie est annoncée pour dans quelques mois), il semble s’être mis
aujourd’hui avec Jack Reacher au
service de Tom Cruise, sans doute rencontré sur le plateau de Walkyrie (Bryan Singer, 2008).
Il ne s’agit pas cette fois d’un
scénario original mais de l’adaptation d’un roman à succès de Lee Child mettant
en scène un ancien policier de l’armée américaine. Ce héros solitaire baptisé
Jack Reacher (Tom Cruise) semble naviguer ici et là à travers les Etats-Unis,
intervenant en redresseur de torts doué de qualités physiques et
intellectuelles hors du commun. Le voilà pour le coup entraîné par une avocate
obstinée (Rosamund Pyke) dans une sombre affaire aussi tordue que savamment
montée par un mystérieux individu, ancien prisonnier rescapé du Goulag, qui a
réussi à manger ses doigts gelés pour éviter la gangrène (sic !). Un
méchant réussi (et donc très méchant), c’est quasiment la garantie d’un bon
film, aimait à dire Alfred Hitchcock, et réussi, celui qu’interprète ici le
cinéaste allemand Werner Herzog l’est assurément, terrifiant et diabolique à
souhait -- une excellente idée de casting soit dit en passant. L’histoire se suit avec intérêt, il
serait malhonnête de le nier, avec ce qu’il faut de péripéties échevelées, de
fausses pistes et de moments de suspense haletant. Même si tout cela ne tient
guère debout et bien que l’intrigue s’achève un peu en queue de poisson -- on
ne connaîtra jamais directement les commanditaires de la machination --, la
mécanique du récit fonctionne très bien, avec beaucoup de brio dans la mise en
scène, parfois un poil ostentatoire.
Mais, au-delà de l’anecdote, c’est
aussi le personnage de Jack Reacher qui retient l’attention --
curieux caractère qui semble incarner à la fois toutes les mythologies
profondes de l’Amérique en même temps que sa mauvaise conscience, écartelé
qu’il est « entre l’image épique d’un continent sans faille et la réalité
historique des contradictions américaines »[1].
Aventurier errant et solitaire, il est l’image même du « poor lonesome
cow-boy » ; sans domicile connu, voyageant en autocar, il surgit
quand on a besoin de lui et rend la justice d’une façon brutale et sans guère
se soucier de lois qu’il estime parfois inadaptées. Les armes semblent la seule
réponse aux questions que pose le film
-- qui lui-même, à l’inverse,
pose la question des armes et des massacres qu’elles provoquent. La séquence
d’ouverture, où un sniper abat cinq
personnes froidement et sans raisons apparentes, illustre une réalité
américaine aussi sinistre que récurrente. McQuarrie explore le monde des
amateurs de tirs et d’armes à feu
-- mais ne l’exalte ni le
critique. Pas plus qu’il ne justifie ou combat la guerre d’Irak, où le suspect
a perdu son âme. Il opère un froid constat, sans le moindre jugement politique
ou moral, à la façon d’un professionnel jaugeant une situation avant
d’intervenir. Et son personnage, qui se veut lui aussi un vrai professionnel, agit de même
-- sans regrets ni compassion, et
encore moins remords, sans quitter d’un pouce la trajectoire qu’il doit suivre,
dans le seul souci de ce qu’il croit être juste, même quand celui qu’il
innocente ne lui est en aucune façon sympathique et mériterait le sort qui lui
est promis. Jack Reacher pourrait être le fils lointain de l’inspecteur Harry (Dirty Harry, Don Siegel, 1971, et ses
suites). Les méthodes de pistolero
que celui-ci employait à l’époque choquaient au point d’être considérées comme
fascisantes ; celles de Jack Reacher aujourd’hui ne dérange plus personne
dans un monde qui a décidément bien changé[2].
Tout cela se construit pour et
autour de Tom Cruise, également producteur, en un tout plutôt harmonieux en
dépit d’un contexte un peu trop complaisamment narcissique. On y sent à chaque
instant la volonté de la star de
contrôler son image -- ce qui rend l’entreprise moins libre et
personnelle que The Way Of the Gun.
Même si Jack Reacher, intéressant et bien mené, ne
manque pas d’atouts, il est malheureusement à craindre (mais on peut toujours
se tromper) que Christopher McQuarrie ne tienne guère à l’avenir les promesses
bien réelles de ses débuts.
[1]
Bernard Dort, « La Nostalgie de l’épopée », in « Le
Western », ouvrage collectif, 10-18, Union Générale d’Editions, 1966,
p.64.
[2]
On pourrait d’ailleurs tenir le même raisonnement à propos de la carrière d’un
Clint Eastwood (le metteur en scène aussi bien que l’acteur) dont les idées et
le discours ont sans doute moins changés que le regard que nous jetons sur eux.
Quant aux méthodes de Jack Reacher, un certain Jack Bauer a largement ouvert la
voie avec infiniment moins de scrupules.
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