17 novembre 2012

Un faux documentaire tout en épate et retape.


End of Watch, de David Ayer (2012).

            Scénariste (on lui doit notamment le script de Training Day, Antoine Fuqua, 2001, et de quelques autres films moins mémorables) et réalisateur, David Ayer s’intéresse avec obstination aux mœurs violentes des mégalopoles américaines  --  et notamment du quartier de South Central à Los Angeles où il a vécu adolescent. Autant dire qu’il nourrit son inspiration d’informations de première main  --  garantie, sinon de qualité, du moins d’une certaine authenticité. On ne lui reprochera donc pas d’ignorer ce dont il parle mais, pour autant, bien connaître son sujet ne signifie nullement bien le traiter, et Ayer nous en assène lourdement la preuve dans ce film détestable à bien des égards.

            Non pas que son propos soit le moins du monde dénué d’intérêt, qui s’attache au quotidien de deux policiers en uniforme et décrit sans fard la dégradation en forme de descente aux enfers de la vie urbaine. En dépit du langage fleuri de personnages qui savent admirablement décliner le mot fuck, on songe moins ici à James Ellroy qu’aux romans réalistes de Joseph Wambaugh, lui-même ancien policier, et aux adaptations cinématographiques qui en ont été faites dans les années 70, notamment Les Flics ne dorment pas la nuit (The New Centurions, Richard Fleischer, 1972) au sujet très voisin[1]. Mais là où Fleischer donnait de l’épaisseur à des personnages qu’il transformait en héros d’une tragédie désespérée, Ayer demeure obstinément à la surface des choses, se limitant à une description banale et convenue de ces deux policiers qu’on aimerait mieux connaître et dont on espère qu’ils sont autre chose que l’espèce de coquille vide qu’on nous propose.

            Mais il y a tout lieu de penser qu’il s’agit là d’une stratégie délibérée de sa part. Choisissant de réaliser un vrai faux documentaire, Ayer prétend décrire ses personnages et les situations dans lesquelles il les plonge avec un détachement et une soi-disant objectivité proches de ces reportages voyeuristes dont la télévision se repaît complaisamment. Démarche profondément malhonnête tant il est vrai que son film se soumet dans le même temps à un pittoresque spectaculaire bien fait pour capter l’attention du spectateur d’une façon aussi malsaine que racoleuse. Ainsi, quand il doit finalement sacrifier ses personnages, Ayer n’hésite-t-il pas à user des ficelles dramaturgiques les plus grossières, histoire de ménager un coup de théâtre artificiel pour mieux susciter une émotion complètement fabriquée.

            Fabriqué, c’est bien le mot qui convient pour qualifier une entreprise rien moins que sincère  --  un comble pour un film qui se veut une approche empathique du métier de policier. Non content de vouloir faire passer ses grossières roublardises scénaristiques pour la vérité saisie dans le feu de l’action, Ayer en rajoute une couche quand il paraît vouloir refuser toute mise en scène en adoptant l’esthétique confuse d’une réalité saisie par des caméras numériques, les deux policiers ne cessant curieusement de se filmer eux-mêmes  --  démarche dont, soit dit en passant, on doute fort qu’elle soit tolérée par une institution dont le discours d’un gradé rappelle d’entrée de jeu la rigueur et les exigences. Mais là encore on nage en pleine malhonnêteté puisque ce refus de toute mise en scène n’en est évidemment pas une et illustre au contraire des partis pris particulièrement à la mode où le n’importe quoi devient figure de style et fin en soi.

            On sort de là  d’autant plus furieux que la noirceur tragique d’un sujet éminemment respectable ne débouche que sur l’épate et la retape alors même qu’elle devrait être, comme l’écrivait jadis Jacques Lourcelles[2], « la couleur tout juste réaliste du gouffre dans lequel s’enfonce peu  à peu, sans espoir ni recours, l’habitant des cités modernes. » C’était à propos des Flics ne dorment pas la nuit, un film de 1972  --  mais on ne saurait mieux dire aujourd’hui encore.



[1] Mais il faut également citer, l’un et l’autre intéressants à des degrés divers, Bande de flics (The Choirboys, Robert Aldrich, 1978) et Tueurs de flics (The Onion Field, Harold Becker, 1980).
[2] Ecran 75, n°32, janvier 1975, p.14.

2 commentaires:

  1. Qu'aviez-vous pensé d'Au bout de la nuit (Street kings), du même David Ayer ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pas grand-chose, et j’en suis désolé. Je ne garde que le souvenir très confus d’un polar de série plutôt violent (mais par les temps qui courent ça n’est guère un signe de distinction) dont je n’avais pas retenu le nom du réalisateur et où James Ellroy au scénario témoignait d’un certain goût pour l’auto-caricature. Mais peut-être l’ai-je vu un peu trop distraitement et faudrait-il le revoir, comme je le dis régulièrement. Il arrive bien souvent hélas que l’on passe à côté d’un film ou, à l’inverse, qu’on s’emballe un peu vite. Ce sont les limites de tout exercice critique opéré sans recul, et il est parfois douloureux de relire des années plus tard ce que l’on a écrit dans le feu de l’enthousiasme ou de la détestation. C’est pourquoi je suis convaincu que les films se jugent en appel. Mais ce n’est pas « End of Watch » qui va aujourd’hui m’inciter à revoir ou voir les autres films d’Ayer (je n’ai pas vu « Bad Times »). J’attendrai sa prochaine production pour, éventuellement, y aller renifler de plus près. Quant à « Training Day », dont il a écrit le scénario et qui bénéficie d’une réputation certaine, je ne l’apprécie que moyennement -- la performance de Denzel Washington mise à part. D’Antoine Fuqua qui, de « Larmes de soleil » en « Roi Arthur » a beaucoup déçu, je préfère de loin son dernier film, « L’Elite de Brooklyn » (« Brooklyn’s Elite »), un excellent polar lui aussi attaché à décrire la vie quotidienne de policiers dans une grande métropole moderne, bien plus réussi que « End of Watch ». Mais je peux évidemment avoir tout faux -- voir plus haut…

      Supprimer