Après
Mai, d’Olivier Assayas (2012).
Il y a des films (ou des livres, ou
les deux) qui nous intéressent d’abord parce qu’ils font surgir brusquement les fantômes d’un
passé qui fut aussi le nôtre et que l’on est plus curieux que content de
retrouver le temps d’une séance de cinéma (ou de la lecture d’un livre, ou des
deux). C’est le cas du dernier film d’Olivier Assayas, Après Mai, où quelques-uns de ceux nés dans le mitan des années 50
revivront certains moments de fièvre qu’ils connurent comme acteurs ou comme
témoins dans les années 70.
Mais pour autant, et c’est la force
principale de son film, Assayas (né en 1955) ne cultive aucune espèce de
nostalgie -- qui serait en l’occurrence pour le moins
déplacée. Chargé d’une forte teneur autobiographique et ponctué d’allusions qui
ne trompent pas (ainsi, indice parmi d’autres, son père, le scénariste Jacques
Rémy, a bien été avec Claude Barma un des responsables à la télévision de la
série des Maigret avec Jean Richard),
Après Mai frappe d’abord par la
justesse de sa reconstitution -- une reconstitution qui appartient déjà à l’Histoire.
Il y a là quelque chose de très exotique et d’un peu ridicule pour les jeunes
générations, celles des enfants de ces garçons et de ces filles que le film met en scène, et dont on peut se
demander s’ils s’intéresseront une seule seconde à cette chronique qui risque
de leur paraître antédiluvienne. On est soi-même parfois accablé en
redécouvrant ces discours politiques qui ne doutaient de rien et surtout pas de
la Révolution et de l’avenir de la classe ouvrière, cette phraséologie sculptée
dans la plus insupportable des langues de bois, ces illusions qui menèrent
certains sur les sentiers pour le moins hasardeux du terrorisme et les réveils
souvent douloureux qui s’ensuivirent. Ou ces militants purs et durs qui
rêvaient de faire le bonheur du prolétariat tout en renvoyant, et de quelle
façon, leurs compagnes à la cuisine où la vaisselle les attendait. Difficile de
trouver plus machos que certains gauchistes d’alors.
Mais ce retour vers le passé, il
faut le souligner, Assayas le fait avec une grande honnêteté. Il aurait été
facile soit de jouer de l’attendrissement en idéalisant ces années-là de façon
manichéenne, avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre, soit au
contraire de ridiculiser une époque rétrospectivement facile à brocarder. Après Mai propose une voie médiane assez
juste. Les jeunes que l’on voit ici répètent certes à l’envi un discours plutôt
pénible à entendre de nos jours, mais ils le font avec toute la maladresse et
la sincérité de leur extrême jeunesse et Assayas les filme avec empathie,
réservant une ironie un peu distante pour les adultes, maîtres à penser qui les
inspirent et les accompagnent. Mais il le fait sans mépriser personne, sachant,
pour reprendre la célèbre formule de Renoir, que « tout le monde a ses
raisons » -- du cinéaste révolutionnaire au proviseur du
lycée en passant par le vigile de service, un personnage secondaire qui ne
manque pas d’intérêt. C’est donc, et on lui en sait gré, une approche apaisée
de ces années de poudre qui suivaient des années de rêve[1]
qu’a choisie ici Assayas.
La chronique qu’il propose n’est d’ailleurs
pas uniquement politique. Gilles (Clément Métayer), double romanesque d’Olivier
Assayas, vit aussi une éducation sentimentale et artistique qui, de Londres à
l’Italie de l’art antique, l’éloigne de préoccupations politiques dont il comprend
la nécessité mais que trouble une dérive radicale. Il y a en lui un peu du
Frédéric Moreau de Flaubert, avec toute l’irrésolution d’un garçon qui craint
de « passer à côté de sa jeunesse », comme il le dit avec une candeur
un peu pompeuse, et, pourquoi pas, de sa vie d’homme. Il traverse son époque en
en évitant les dangers (il ne cédera ni à la drogue ni au terrorisme),
parvenant finalement à se construire contre vents et marées.
Dommage cependant qu’Olivier
Assayas, qui ne déteste pas donner parfois une certaine ampleur romanesque à
ses films, y compris dans la reconstitution historique, se limite ici à un
récit un peu étroit et contraint où les personnages manquent de consistance et
le scénario d’inattendu dans le déroulement de péripéties exagérément
démonstratives. La maladresse de ses jeunes acteurs, non-professionnels pour la
plupart, si elle rend bien compte du sérieux pontifiant de ces adolescents qui récitent le discours politique qu’on
leur a méthodiquement inculqué, n’arrange rien en nuisant à la crédibilité
d’une entreprise dont elle souligne trop souvent le caractère artificiel. C’est
au surplus de façon récurrente que l’on retrouve cette faiblesse dans la
direction des acteurs -- jusque dans le rôle du père où André Marcon,
un pourtant bon comédien, ne parvient jamais à se départir d’un jeu exagérément
théâtral.
Reste qu’il s’agit là d’une œuvre
d’une grande probité, certes bien moins accomplie qu’on l’aurait souhaitée,
mais mise en scène avec une rigueur classique parfaitement maîtrisée. Ce n’est
déjà pas si mal et l’on s’en contentera.
[1]
J’emprunte ces formulations à Hervé Hamon et Patrick Rotman dans leur livre
« Génération » (Editions du Seuil, 1987).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire