20 octobre 2012

Un marivaudage fitzgeraldien.


Au galop, de Louis-Do de Lencquesaing (2012).

            Un peu comme le Cherchez Hortense de Pascal Bonitzer, voici un film dont le titre n’a que peu de rapport avec son objet. Pas du tout même, bien que le récit s’efforce incidemment de lui donner un sens. Peut-être faut-il y voir en réalité un appel du pied, conscient ou pas, en direction de ces hussards de la littérature qui traversèrent au galop l’immédiate après-guerre  --  les positions politiques droitières en moins[1]. On retrouve ici ce même goût pour des personnages blessés mais qui taisent ou masquent leur douleur ; ce même ton doux-amer, désenchanté et désengagé, qui ne s’attache guère qu’aux intermittences du cœur ; ces mêmes pieds de nez qu’on adresse à la camarde  --  ce que l’on pourrait appeler, quitte à passer pour un peu cuistre, un marivaudage fitzgeraldien.

            D’abord metteur en scène et acteur de théâtre, mais que l’on voit beaucoup ces temps-ci à l’écran (et encore tout récemment dans Superstar) , Louis-Do de Lencquesaing a sans doute mis beaucoup de lui-même dans ce premier film que l’on devine aisément d’inspiration autobiographique et pour lequel, d’ailleurs, il s’est octroyé le rôle principal. Ecrivain, Paul entame une aventure sentimentale avec une jeune femme au prénom nabokovien, Ada (Valentina Cervi), tandis qu’il doit affronter la mort brutale de son père. Gravitent autour de lui quelques personnages plus secondaires mais bien campés, sa fille (Alice de Lencquesaing), d’une maturité supérieure à celle de son père mais confrontée à un premier amour difficile, sa mère (Marthe Keller), d’une attachante originalité et qu’on dirait sortie d’une screwball comedy américaine, son frère (Xavier Beauvois), restaurateur dont l’humour un peu lourd permet cependant d’alléger la peine qui les accable tous. Quant à Ada, elle navigue entre Paul et le père de sa fille de quatre ans qu’elle doit incessamment épouser. « Peut-on aimer deux hommes en même temps ? », demande-t-elle au détour d’un dialogue. Un peu comme le Sautet de César et Rosalie avec son personnage de femmes entre deux hommes, Lencquesaing termine son film en laissant ses personnages en suspens.

            L’intrigue, on le voit, est à la fois mince et riche  --  mince dans la mesure où elle ne s’intéresse qu’aux peines de cœur de ses protagonistes ; mais riche aussi puisque chacun peut comprendre et partager à la fois le charme et l’angoisse de ces « destinées sentimentales »[2]. Mais, revers de la médaille, elle n’échappe pas à une sorte de narcissisme presque candide, que Lencquesaing renforce encore en se donnant le premier rôle. Presque candide parce qu’il n’y a aucun personnage désagréable dans ce film qui évoque, on l’a beaucoup souligné ici et là, le « gentil » Truffaut[3], lui-même héritier de Renoir et de sa formule bien connue : « Tout le monde a ses raisons ».

            Homme de théâtre, je l’ai dit, Lencquesaing a particulièrement soigné l’écriture de son scénario et de ses dialogues, et l’ensemble fonctionne plutôt bien. On en regrettera d’autant plus que la mise en scène ne suive pas. Alors qu’au théâtre il sut naguère faire preuve d’originalité stylistique en s’attaquant à des textes pas toujours évidents (comme « Anéantis » de Sarah Kane), il ne parvient guère ici à dépasser le niveau d’un téléfilm moyen  --  ce qui réduit très sensiblement la force de son propos. Faut-il rappeler une fois encore que d’excellents acteurs et un scénario bien écrit sont des conditions certes nécessaires à la réussite d’un film, mais assurément pas suffisantes  --  et que, sans une mise en scène satisfaisante, c’est toute l’entreprise qui se révèle bancale ? Les hussards, eux, avaient du style. C’est sans doute tout ce qui fait la différence ici.



[1] Rappelons pour mémoire que furent réunis (un peu arbitrairement d’ailleurs) sous cette appellation Jacques Laurent, Antoine Blondin, Michel Déon et Roger Nimier, ce dernier considéré comme le chef de file  --  son roman « Le Hussard bleu » étant plus ou moins à l’origine du terme hussards qui leur fut donné par Bernard Frank dans un article célèbre publié dans la revue de Sartre Les Temps Modernes en 1952 (« Grognards et Hussards »).
[2] C’est à dessein que je cite là le titre d’un roman de Jacques Chardonne, personnage assez peu recommandable mais écrivain que certains placent très haut et qui fut un peu le colonel honoraire des hussards  --  roman adapté au cinéma par Olivier Assayas en 2000 et dans lequel jouait Louis-Do de Lencquesaing.
[3] Ce même Truffaut qui fut le critique cinématographique vedette dans les années 50 de l’hebdomadaire culturel Arts, alors dirigé par Jacques Laurent et où les hussards tenaient le haut du pavé.

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