Paperboy,
de Lee Daniels (2012).
Ceux qui ont lu et aimé
« Paperboy », le roman de Pete Dexter publié aux Etats-Unis en 1995
et traduit la même année en français aux éditions de l’Olivier, savaient que se
trouvaient réunis là tous les éléments pour que le cinéma s’en saisisse et le
transforme un jour ou l’autre en un grand film noir. Deux reporters qui mènent
une enquête pour provoquer la révision d’un procès ; une femme fatale qui
s’amourache par correspondance d’un prisonnier peut-être victime d’une erreur
judiciaire ; la chaleur moite d’un Sud où le racisme tient encore le haut
du pavé (l’action se déroule en Floride en 1969) ; des « hommes des
bois » qui vivent dans les marais, à l’écart du monde et de ses lois,
« avec des couteaux et des chiens, qui suspendent des peaux de bêtes aux
arbres de leur cour » et chassent les crocodiles ; des éclairs de
violence aveugle et la mort qui rôde sans cesse entre les mots -- il
y avait, on le voit, de quoi inspirer un cinéaste, pourvu qu’il fût de qualité.
La déception n’en est aujourd’hui que plus vive et à la hauteur de
l’attente -- autant dire immense.
Que dire en effet d’un film qui ne
retrouve aucune des qualités profondes du roman dont il s’inspire, sinon par
bribes ici ou là, et l’on distingue alors comme en filigrane ce qu’aurait pu
être une adaptation réussie ? Comment aussi comprendre qu’une entreprise
aussi ratée ait pu recevoir l’aval du romancier
-- crédité, il est vrai, comme coscénariste ?
Admettons que le cinéaste ait choisi de tirer l’histoire vers un grand-guignol
sanguinolent que le roman savait éviter en dépit d’une atmosphère de violence
récurrente : ainsi Ward (Matthew McConaughey), le frère journaliste de
Jack (Zac Efron), le jeune narrateur,
meurt-il ici dans des conditions dignes d’un mauvais film gore alors que dans
le roman sa disparition off et dans
des conditions qui n’ont rien à voir prenait un sens autrement plus fort. Mais
cette simplification racoleuse, cet aplatissement d’un récit dont la
narration à la première personne glisse
ici, on se demande pourquoi, du jeune frère au personnage secondaire de la
nounou noire (Macy Gray), perdant du même coup son caractère de récit
initiatique, ont-ils été voulus (ou au moins acceptés) par Pete Dexter
lui-même.
Admettons encore que Lee Daniels,
qui revendique haut et fort son identité de cinéaste gay, se soit cru autorisé à transformer Zac Efron, l’acteur plutôt
que son personnage, en une insistante icône homoérotique -- bien
qu’une telle approche relève davantage ici d’une auto-complaisance facile que
d’une nécessité absolue dans l’économie générale du récit. Mais là où rien ne
va plus, c’est dans les choix esthétiques d’un cinéaste dont, n’ayant vu aucune de ses productions
précédentes (Shadowboxer en 2005 et Precious en 2009), j’ignore s’il s’agit
de son écriture cinématographique habituelle (si tant est que l’on puisse
parler sérieusement ici d’écriture cinématographique) ou d’un choix ponctuel.
Peu importe d’ailleurs puisque le résultat est là, en tout point détestable --
insupportable festival d’effets voyants et chichiteux à coup de
ralentis, de couleurs plus ou moins désaturées, de fondus déchaînés, j’en
passe, et de bien pires encore. Face à tant d’incongruité, de désinvolture ou de
racolage, on s’interroge, mais sans trop y croire, sur le goût du cinéaste pour
l’outrance et le grotesque, et sur sa volonté de démonter par la caricature et
la dérision le sérieux et la gravité du roman qu’il adapte --
avec, et c’est un comble, l’active et incroyable complicité de l’auteur.
Ce que disant, je n’attaque nullement certains excès bien venus, comme le
personnage excellemment interprété par Nicole Kidman et qui a beaucoup défrayé
la chronique, mélange de poupée Barbie et de drag queen, bombe sexuelle que l’on dirait tout droit sortie de l’univers
sudiste de Tennessee Williams, et donc parfaitement dans le ton de ce qu’aurait
dû être le film.
Ce sont d’ailleurs les acteurs, et
seulement eux, qui sauvent le film d’un désastre complet. Outre Nicole Kidman,
qui relance intelligemment sa carrière avec un nouveau rôle à Oscar (après
celui de Virginia Woolf dans Les
Heures/The Hours de Stephen Daldry en 2002), Matthew McConaughey confirme, après Killer Joe et en attendant le Mud de Jeff Nicholls, qu’il peut être
autre chose qu’un bel animal inexpressif pour comédies insipides, mais c’est
peut-être John Cusack, bon comédien aux rôles trop souvent transparents, qui
impressionne le plus dans un rôle de primate mal dégrossi, les traits empâtés
et l’apparence négligée (cheveux gras et barbe douteuse). Eux seuls parviennent
à donner un peu de sens et d’épaisseur à ce qui demeure un échec aussi
monumental qu’incompréhensible.
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