Une
Education norvégienne (Sonner
av Norge/Sons of Norway), de Jens Lien (2011).
C’est en fait le nom de Nikolaj
Frobenius, auteur du scénario et du roman semi-autobiographique dont il
s’inspire (Teori og praksis, 2004, non
traduit en français) qui a attiré mon attention plutôt, je dois l’avouer, que
le film lui-même, diffusé à la sauvette sur quelques écrans seulement et d’un
intérêt cinématographique limité. Scénariste (on lui doit le script d’Insomnia, la version norvégienne
d’origine[1]
et son remake réalisé par Christopher
Nolan en 2002), Frobenius est surtout un excellent écrivain, auteur de romans
particulièrement originaux dont quelques-uns ont été traduits en français[2].
Jens Lien, le réalisateur, s’est fait remarquer, lui, par un précédent film
sorti il y a quelques années, Norway of
Life (2006), qui bénéficie d’une certaine réputation et qui s’attaquait sur
un mode fantastico-farfelu au caractère très lisse du mode de vie nordique.
C’est la même remise en cause que
propose Une Education norvégienne,
mais cette fois de façon réaliste, en s’attachant à l’histoire d’une famille
pas comme les autres -- celle, peut-on penser, de Nikolaj Frobenius.
Il y a d’abord les parents, plutôt intellectuels et financièrement à l’aise
(lui est architecte), moitié babas-cool, moitié gauchistes, bobos avant l’heure
mais déjà un peu en retard sur leur temps (on est en 1978), et qui « éduquent »
leurs enfants dans le mépris des règles et des conventions sociales jugées
bourgeoises et rétrogrades ; et il y a les enfants, ou plutôt l’un des
enfants, l’aîné, Nikolaj, qui, privé de repères et finalement conscient que
quelque chose ne tourne pas rond, part à la dérive et, devenant punk, se
massacre le corps et l’esprit. Il faut dire que la disparition de la mère dans
un accident de la route n’arrange pas les choses puisque le père, après une
période de profonde prostration, en rajoute alors dans la permissivité et
l’immaturité en surenchérissant sur les provocations de son fils qu’il manque
de perdre dans un nouvel accident.
L’intérêt du film, au demeurant
assez médiocre et plus riche sur le plan sociologique (ou historique) que
cinématographique, son intérêt donc tient à ce qu’il raccorde curieusement avec deux productions récentes qui elles
aussi s’attachent à décrire, directement ou en creux, les mouvements de révolte
et de contestation dont nos sociétés occidentales ont fait l’objet au cours de
la seconde moitié du siècle
passé. Ainsi y retrouve-t-on cette volonté de rébellion véhiculée par la Beat
Generation, dont le mouvement hippie fut l’héritier et que décrit Sur la route --
jusque dans la présence d’une de ces « boîtes à orgone » de
Wilhem Reich que Nikolaj expérimente dans le camp de nudistes où le traîne son
père. Quant à l’éducation permissive qu’il reçoit au nom de la liberté et de la
(future) révolution triomphante, on peut
imaginer sans se tromper que c’est celle dont ont dû bénéficier à la même
époque (c'est-à-dire il y a plus de trente ans) Not et Jean-Pierre, les deux
frères égarés du Grand soir.
Frobenius et Lien ne méprisent ni ne
jugent leurs personnages, et c’est très bien ainsi. Mais le constat qu’ils font est accablant à
tous égards. Accablant le bilan d’une époque qui s’est bercée d’illusions et
n’a pas su trouver les bonnes réponses aux questions pertinentes qu’elle
posait, qui a vu ses enfants s’enfoncer dans le nihilisme tandis que les
modestes centres commerciaux des années 70 (stigmatisés dans ce film-ci) se
transformaient en ces hideuses mégalopoles consuméristes que dénoncent à juste
titre Kervern et Delépine. Finis les grandes théories et les beaux discours,
adieu le grand soir, bonjour la gueule de bois des lendemains qui déchantent.
Même si les enfants sacrifiés de cette génération ont su retomber sur leurs
pattes et gardent encore une certaine tendresse pour ces années-là --
tant il est vrai que les mauvais souvenirs peuvent être les bienvenus
quand ils sont l’image quelque peu mythifiée d’une jeunesse lointaine.
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