11 juin 2012

Une famille pas comme les autres.


Une Education norvégienne (Sonner av Norge/Sons of Norway), de Jens Lien (2011).

            C’est en fait le nom de Nikolaj Frobenius, auteur du scénario et du roman semi-autobiographique dont il s’inspire (Teori og praksis, 2004, non traduit en français) qui a attiré mon attention plutôt, je dois l’avouer, que le film lui-même, diffusé à la sauvette sur quelques écrans seulement et d’un intérêt cinématographique limité. Scénariste (on lui doit le script d’Insomnia, la version norvégienne d’origine[1] et son remake réalisé par Christopher Nolan en 2002), Frobenius est surtout un excellent écrivain, auteur de romans particulièrement originaux dont quelques-uns ont été traduits en français[2]. Jens Lien, le réalisateur, s’est fait remarquer, lui, par un précédent film sorti il y a quelques années, Norway of Life (2006), qui bénéficie d’une certaine réputation et qui s’attaquait sur un mode fantastico-farfelu au caractère très lisse du mode de vie nordique.


            C’est la même remise en cause que propose Une Education norvégienne, mais cette fois de façon réaliste, en s’attachant à l’histoire d’une famille pas comme les autres  --  celle, peut-on penser, de Nikolaj Frobenius. Il y a d’abord les parents, plutôt intellectuels et financièrement à l’aise (lui est architecte), moitié babas-cool, moitié gauchistes, bobos avant l’heure mais déjà un peu en retard sur leur temps (on est en 1978), et qui « éduquent » leurs enfants dans le mépris des règles et des conventions sociales jugées bourgeoises et rétrogrades ; et il y a les enfants, ou plutôt l’un des enfants, l’aîné, Nikolaj, qui, privé de repères et finalement conscient que quelque chose ne tourne pas rond, part à la dérive et, devenant punk, se massacre le corps et l’esprit. Il faut dire que la disparition de la mère dans un accident de la route n’arrange pas les choses puisque le père, après une période de profonde prostration, en rajoute alors dans la permissivité et l’immaturité en surenchérissant sur les provocations de son fils qu’il manque de perdre dans un nouvel accident.

            L’intérêt du film, au demeurant assez médiocre et plus riche sur le plan sociologique (ou historique) que cinématographique, son intérêt donc tient à ce qu’il raccorde curieusement avec deux productions récentes qui elles aussi s’attachent à décrire, directement ou en creux, les mouvements de révolte et de contestation dont nos sociétés occidentales ont fait l’objet au cours de la seconde moitié du  siècle passé. Ainsi y retrouve-t-on cette volonté de rébellion véhiculée par la Beat Generation, dont le mouvement hippie fut l’héritier et que décrit Sur la route  --  jusque dans la présence d’une de ces « boîtes à orgone » de Wilhem Reich que Nikolaj expérimente dans le camp de nudistes où le traîne son père. Quant à l’éducation permissive qu’il reçoit au nom de la liberté et de la (future)  révolution triomphante, on peut imaginer sans se tromper que c’est celle dont ont dû bénéficier à la même époque (c'est-à-dire il y a plus de trente ans) Not et Jean-Pierre, les deux frères égarés du Grand soir.

            Frobenius et Lien ne méprisent ni ne jugent leurs personnages, et c’est très bien ainsi.  Mais le constat qu’ils font est accablant à tous égards. Accablant le bilan d’une époque qui s’est bercée d’illusions et n’a pas su trouver les bonnes réponses aux questions pertinentes qu’elle posait, qui a vu ses enfants s’enfoncer dans le nihilisme tandis que les modestes centres commerciaux des années 70 (stigmatisés dans ce film-ci) se transformaient en ces hideuses mégalopoles consuméristes que dénoncent à juste titre Kervern et Delépine. Finis les grandes théories et les beaux discours, adieu le grand soir, bonjour la gueule de bois des lendemains qui déchantent. Même si les enfants sacrifiés de cette génération ont su retomber sur leurs pattes et gardent encore une certaine tendresse pour ces années-là  --  tant il est vrai que les mauvais souvenirs peuvent être les bienvenus quand ils sont l’image quelque peu mythifiée d’une jeunesse lointaine.



[1] Due à Erik Skjoldbjaerg en 1997.
[2] Et publiés par les éditions Acte Sud : Le Valet de Sade (1998), Le Pornographe timide, (2000), Je est ailleurs (2004) et Je vous apprendrai la peur (2011).

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